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Full text of "Direction_et _Sujets_de_Méditation_Retraites_Dom_Innocent_le_Masson"

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Direction et Sujets de Meditation 
pour les retraites 

A l'usage des Religieuses Chartreuses 



par Dom Innocent le Masson 

PRIEUR DE LA GRANDE CHARTREUSE 
ET SUPERIEUR DES RELIGIEUX DU MEME OrDRE 



Imprimi Potest Imprimatur 

Fr. Anselmus-Maria, Prior Cart. Car. Leleux, Vic. Gen. 

In festo SS. Simonis et Judae, apostolorum Atrebati, prima Novembris 

1890 1890 



Montreuil sur Mer 

Imprimerie Notre Dame des Pres 

1890 



Table des matieres 

Preface 3 

Chapitre Premier 

Sur la Charite 7 

Chapitre Deuxieme 

sur la maniere de vaquer a l'unique necessaire, a l'exemple de la Tres Sainte Vierge 13 

Chapitre Troisieme 

sur les avantages de la solitude, a laquelle notre etat nous engage, 

et les moyens qu'elle fournit pour ben vaquer a l'unique necessaire 19 

Pour les choses purement raisonnables - Pour les choses qui appartiennent au salut - Pour parvenir a 
l'union avec Dieu - La solitude du coeur - La solitude de L'Esprit - La solitude de Lame. 

Chapitre Quatrieme 

Sur l'estime et la pratique que nous devons faire de ces paroles de Jesus-Christ, 

de se renoncer soy-meme, de porter sa croix, et de le suivre 31 

Se renoncer soy-meme - Qu'il porte sa croix - Et qu'il me suive 

Chapitre Cinquieme 

sur les paroles et les voeux de notre profession 37 

Chapitre Sixieme 

Sur les obligations et les usages de la pauvrete, 

tels que nos devons les observer en conformite des statuts de l'Ordre 41 

Chapitre Septieme 47 

Sur le bon usage de la liberte, sur les livres qui sont ouverts sans cesse devant nos yeux, 

et sur l'amour de la correction 47 

Sur la liberte - Sur les livres ouverts - Sur l'amour de la Correction 

Chapitre Huitieme 

Sur la renaissance a laquelle notre Institut dispose les rehgieux de l'ordre pour representee 

chacun dans leur employ, l'enfance, la jeunesse, et l'age parfait de Jesus-Christ 55 

Son Enfance - La jeunesse - L'age parfait 

Chapitre Neuvieme 

Sur la ceremome de la consecration des vierges, et sur les dispositions qu'ony doit apporter 62 

Dans le Bapteme - Dans votre Profession - Dans votre Consecration 

Chapitre Dixieme 

sur l'etat des ames du Purgatoire 70 

Premiere Meditation 70 

Seconde Meditation 72 

Troisieme Meditation 73 

Quatrieme Meditation 75 

Cinquieme Meditation 77 

Sixieme Meditation 79 

Septieme Meditation 81 

Fin des Meditations 83 

Edition numerique 
salettensisfgigmail.com 

disponible sur 
http : //www, chartreux. org 

et sur 
http://www.scribd.com/doc/37583035/Direction-Sujets-de-Meditation-Dom-Innocent-Le-Masson 



PREFACE 
Mes filles en Jesus-Christ 

J'ay receu avec consolation la demande que vous m'avez faite de quelque Direction pour faire chaque annee 
une retraite, dont plusieurs d'entre vous ont deja pris l'usage, et je viens presentement satisfaire a votre desir ; mais 
auparavant que de venir au detail de cette Direction, je veux vous remettre devant les yeux les grands principes de 
conduite que l'Ordre nous donne, et que tous les enfants de l'Ordre doivent estimer et honorer, comme les bons enfants 
estiment et honorent le testament de la derniere volonte de leur pere. 

Souvenez-vous de ce que j'ay tache de vous mettre bien avant dans l'esprit, que tous les religieux doivent 
considerer les observances des leur Regie comme la tache et l'espece d'ouvrage que le celeste Pere de famille leur a 
donne a faire dans sa maison, et que toutes ces observances doivent etre pratiquees selon l'esprit de l'Ordre, c est a dire 
en ne s ecartant point de la fin et des manieres que leur Institut leur present. 

La principale fin du notre est de nous faire representer quelque chose de la vie retiree et cachee de Jesus- 
Christ ; et aussi toutes les regies et les usages ne tendent qu'a nous cacher aux yeux du monde et des creatures, a nous 
tenir dans le secret de la face du Seigneur, et a ne rien faire au dehors qui tende a nous distinguer, je ne dis pas aux yeux 
du monde, car nous ne le voyons pas, mais meme aux yeux les uns des autres. II veut que ces paroles du Psalmiste 
s'accomplissent dans nous a la lettre : Toute la gloire de cette fille du Roy (il parle des ames saintes) vient du dedans. 
C'est ce dedans du cceur qui doit animer le dehors, et qui ne paroit qu'aux yeux de Dieu : car il est le seul qui connoit le 
fond des coeurs ; et c'est pour cette raison que nos premiers Peres ont proscrit d'entr'eux tout ce qui ressent la singularite, 
et nous ont enseigne a le fuir comme une chose opposee a l'esprit de notre Institut. 

C'est de quoy nous trouvons de beaux temoignages de paroles et d'exemples dans les premieres Regies de 
l'Ordre, ramassees et composees par notre R. Pere Guigues, ou non seulement on deffend tout ce qui outre-passeroit la 
Regie, et s'entreprendroit arbitrairement, mais mesmes on reduit dans les bornes de l'usage commun des choses qu'on 
pourroit en croire exceptees. II s'y trouve un exemple remarquable de cecy au chap. 54. ou il est parle des soulagemens 
en recreation et en nournture qu'on doit dormer aux Freres les jours de saignees qui etoient ordonnees quatre fois l'annee 
en ce temps-la. II y est done dit, que le cas arrivant que quelque Frere ne soit point saigne, il ne laisse point de prendre 
les mesmes soulagemens que les autres, et s'il en fait difficulte, comme disant qu'il n'en a point besoin, le mot latin porte 
compellitur, cela veut dire qu'on le contraint de faire comme les autres. 

Dans un endroit il est dit, que les Freres doivent rendre au depensier le plat de leur pitance, de peur, dit le texte, 
que quelqu'un n'entreprenne de faire quelque abstinence singuliere qui ne luy soit point permise. Cela suffit pour vous 
faire connoitre quel est l'esprit de l'Ordre a l'egard des singularitez ; et si c'est un principe incontestable que l'obeissance 
vaut mieux que le sacrifice, vous devez etre convaincues que l'attachement et le respect rendu a l'esprit de votre Institut, 
vaut mieux que tout ce que vous pouriez entre-prendre par votre propre volonte. II n'est done point question dans l'Ordre 
des Chartreux d'ajouter des choses nouvelles a la Regie ; mais de travailler de jour en jour et sans cesse a l'observer avec 
plus d'exactitude, plus de fidelite, et plus de charite, et a relever toujours la matiere par une plus grande abondance de 
charite, qui en est fame et la vie. 

L'esprit de notre Institut demande une conduite fondee sur la discretion et sur l'obeissance, et l'une et l'autre se 
trouvent non seulement repandues dans toutes ces premieres Regies de l'Ordre, dont ce que nous venons de rapporter 
touchant la singularite, fait une preuve convaincante ; mais elles y sont recommandees tant aux Superieurs qu'aux 
inferieurs. Nous vous en citerons ici seulement quelque chose, qui sera suffisant pour vous faire juger de tout le reste. II 
est done dit au chap. 35. des coutumes de notre R. Pere Guigues : Qu'il n'est licite a aucun de nous de faire aucunes 
abstinances, des veilles, des disciplines, ou d'autres semblables exercices d'austerite religieuse, sans le sqeu et le 
consentement du Prieur ; mais au contraire, s'il juge a propos de donner a quelqu'un du soulagement, soit en 
nourriture, soit en sommeil, soit en quelqu' autre chose, outre ce que le Statut ordonne, il n est point permis de luy 
resister, non plus que s'il ordonnoit quelque chose de plus dur a la nature, de peur qu'en luy resistant, ce ne soit point a 
luy qu'on resiste, mais a Dieu dont il tient la place a notre egard ; car bien que nous pratiquions dans l'Ordre plusieurs 
observances differentes, ce n'est que par la seule obeissance que nous esperons quelles nous seront utiles et 
fructueuses. Voila mot a mot ce que dit le R. P. Guigues ; par ou vous voyez qu'en imposant aux Superieurs le soin de 
prevoir et de prevenir les besoins de leurs inferieurs, et aux inferieurs une soumission entiere aux ordres des Superieurs, 
il nous enseigne a bannir d'entre nous toutes sortes de chois et d'entetement sous pretexte de plus grande austente, et de 
captiver notre entendement et notre volonte sous la Regie de l'obeissance, et qu'il veut que la discretion soit la guide de 
l'austerite pour la faire observer avec proportion et selon les forces des particuliers, en pesant tout a la balance d'une 
sainte et charitable discretion. La discretion et l'obeissance sont done une partie essentielle de l'esprit de l'Ordre, aussi 
bien que l'eloignement des singularitez. La simplicite interieure et exterieure est encore une autre partie essentielle de 
l'esprit de notre Institut, qui nous separe du monde, de ses usages et de ses pratiques, pour nous aider a regagner par la 
simplicite quelque chose de la rectitude du premier homme, que Dieu avoit fait droit, ainsi que parle l'Escriture, c'est a 
dire simple et Equitable ; mais cet homme s'etant mele dans un nombre innombrable de questions, c'est a dire dans une 
infinite de pensees, de cunositez, de recherches superflues, de subtilitez, de vanetez, et de multiplicite, elles ont tout 
altere la rectitude de sa raison, et Font rendu moms capable de contempler l'unique necessaire en la maniere qu'il le 
merite et qu'on le doit faire. 



La simplicity interieure demande de nous la fuite de tout ce qui peut chatouiller ou occuper la curiosite 
naturelle de nos esprits, les attirer par la nouveaute, les partager, les embarrasser par des connoissances trop vagues, les 
arrester par des choses extraordinaires, dont la variete agreable aux esprits des enfans d'Adam les trompe facilement, et 
les empeche ainsi de suivre en simplicite de cceur la tres-haute et tres-samte simplicite des paroles et des maximes de 
l'Evangile. C'est ce que nos Regies veulent eloigner de nous, en prescrivant entre autres choses un si exact examen de 
tous les livres qui entrent dans nos cloistres ; et vous en trouverez les raisons plus au long expliquees dans les premiers 
advis du second volume de 1' Introduction a la vie Interieure. Pour ce qui est de la simplicite exterieure, vous n'avez qu'a 
ouvrir vos Statuts, et vous la verrez par tout si bien recommandee dans les paroles, et dans les habits, dans les meubles 
et dans les manieres d'agir et de converser, que tout y parle, tout y preche la sainte simplicite, qui retranche de ses 
usages toutes les superfluitez, les curiositez, et les nouveautez, et qui nous enseigne a nous reduire a ce qui est 
simplement necessaire, a ce qui est humble et eloigne des vanitez du siecle, et a ce qui ressent la sainte rusticit&. 

Ayant done bien etably dans votre raison ces principes d'esprit de retraite, et d'imitation de la vie cachee de 
Jesus-Christ, de la fuite des singularitez, d'une discretion obeissante, et de la simplicite sur lesquels doivent rouler toutes 
nos actions, venons a ce qui regarde ces retraites que vous avez commence de faire, et que je consens que vous 
continuiez aux conditions et en la maniere que vous trouverez icy exprimees. 

Ce n'est point l'usage de l'Ordre que les Religieux fassent des retraites singulieres ; car la vie d'un bon 
Chartreux est une retraite continuelle. On sortiroit des bornes de la discretion, et on interromproit mesme le cours regie 
de ses exercices qui sont tous de retraite, si on introduisoit quelque chose de nouveau sur cette matiere : la solitude luy 
fait voir sans cesse a quoy il en est de son etat interieur, et elle le met en etat de pouvoir dire a Dieu ces paroles dei 
David : La meditation de mon cceur est toujours devant vos yeux. Mais comme votre solitude proportionnee a l'etat de 
votre sexe n'est point si grande que celles des Religieux, et que vous avez des colloques et des entretiens de recreations 
plus frequens entre vous, et que d'ailleurs vous avez plus besoin de direction, j'en approuve l'usage, et par ce moyen il 
n'aura rien de cette singularity que l'esprit de notre Institut ne veut point souffrir. 

Mais afin que la discretion et l'obeissance ayent dans cette action la part que nos premiers Peres veulent 
qu'elles ayent dans celles que nous faisons, j'ordonne que les Superieurs locaux ne permettent de la faire qu'a celles de 
nos Filles qu'ils jugeront avoir force, sante, et capacite pour la faire, sans prejudicier aux autres observances ordmaires 
de l'Ordre ; car en parlant mesme humainement, la raison et la prudence veulent que nous nous acquitions bien de nos 
devoirs avant que d'en venir a des choses de surerogation. La bonne Fille qui voudroit done faire une retraite, sachant 
qu'au sortir de la sa sante affoiblie, la mettroit hors d'etat de suivre la communaute, et dans la necessite d user de 
relachemens et de delicatesses, ressembleroit a ces personnes qui pour vouloir faire des aumosnes extraordinaires, 
different ou se mettent hors d'etat de payer leurs debtes. 

II faut considerer que dans l'Ordre nos Offices divins de jour et de nuit sont fort longs et que nos Statuts estant 
bien observez, ils ne nous laissent gueres de temps de reste ny de moyens pour faire des applications d'esprit 
extraordinaires. La trop grande application d'esprit le lasse et gaste le corps, et la sante du corps etant alteree, l'esprit est 
mis comme hors de combat. La discretion doit done proportionner toutes choses a la portee des esprits et des corps, qu'il 
ne faut jamais pousser au dela de la mesure, pour pouvoir faire vie qui dure, ainsi que dit le vieux proverbe. 

II n'est point question dans une communaute reguliere d'aller comme par bonds et par sauts, de courir un jour 
pour se reposer en suite quatre, faire un exces d'un mois pour se rendre inhabile une annee, et quelquefois meme toute la 
vie aux exercices de communaute. II n'est point question de cela, mais il s'agit d'aller d'un pas regie, modere et 
proportionne, qu'on puisse continuer avec egalite, et dont je vous ay donne pour modele ces braves anciennes Filles 
chartreuses, qui a l'age de quatre -vingts ans suivoient la communaute et faisoient leur devoir comme de jeunes filles, 
sans vouloir s'exempter de rien. Un travail modere et qui est continue d'une meme force, est bien meilleur que celuy qui 
est violent, mais qui ne dure gueres. 

La retraite des Religieuses ne se fera que de dix jours chaque annee, et ne s'etendra point plus loin, mais les 
Superieurs les pourront fixer a un plus petit nombre de jours aux personnes particulieres quand ils le jugeront a propos. 
Celle des Soeurs donnees a qui on jugera a propos de l'accorder, ne durera qu'une semaine entiere. 

La retraite qu'on a coutume de faire pour se preparer au sacre se pourra faire de plus longue etendue, comme 
aussi celle des novices avant leur profession. Car cela n'arrivant qu'une fois en la vie, on n'a point tant de suite a 
considerer ; mais la chose demeurera neanmoins toujours soumise a la discretion des Superieurs locaux, qui nous 
consulteront sur ce sujet, afin de tout reduire aux coutumes anciennes de chaque maison, et a un juste milieu autant qu'il 
se pourra. 

Le temps pour les retraites ordinaires se prendra depuis les octaves de l'Assomption de la Sainte Vierge jusqu'a 
la Loussaints, afin qu'on puisse faire sept bandes, et on divisera ainsi la communaute en diverses bandes, qui feront leur 
retraite l'une apres l'autre ; mais ce sera a la Mere prieure, avec l'avis de D. Vicaire, de regler et de choisir celles quelle 
jugera a propos de mettre dans chaque bande, sans avoir aucun egard a l'anciennete. Ce temps que nous prescrivons ne 
sera point tellement limite, que si quelqu'une de nos Filles est empechee de faire sa retraite dans ce temps-la, on ne 
puisse luy permettre de la faire dans un autre. 

Pour la distribution du temps et des exercices 

Vostre temps est si bien remply par les assignations de votre Directoire, qu'il y a peu de chose a changer de 



votre reglement ordinaire. 

Apres l'oraison faite en communaute a l'ordinaire, vous retournerez dans vos chambres, ou vous continuerez 
votre oraison et votre lecture spirituelle jusqu'a Sexte, relachant seulement votre esprit par quelque petit travail de mam 
fait en solitude et en silence. L'office et le refectoire suivent, ou vous agirez comme a l'ordinaire. 

On ne prendra point la recreation en communaute pendant le temps de la retraite ; mais la Mere prieure en 
joindra deux ou trois ensemble, qui prendront leur recreation pendant trois quarts d'heure ou environ, se tenant separees 
des autres a l'egard de qui elles garderont le silence, et ne parleront qu'entr'elles. Estant retournees en leur chambre elles 
feront quelque petit travail de main en silence. 

Elles employeront en suite un quart d'heure en oraison, et un autre a commencer un examen sur les fautes 
principales qu'elles ont commises pendant l'annee, en prenant mois par mois, et elles en feront une note sur le papier ; 
mais tout cet exercice d'apres disne se fera suavement et sans contention d'esprit, parce que le grand office du chceur 
doit suivre incontinent. 

Apres cette demie heure d'exercice spirituel, qu'elles pourront, si elles veulent, aller faire a l'eglise devant le S. 
Sacrement, elles feront quelque petit travail de main en silence et en solitude jusqu'a Vespres. 

Apres Vespres, c'est a dire dans les maisons ou Ton donne un peu de temps entre Vespres et le refectoire, elles 
se relacheront l'esprit par quelque petit ouvrage de main ; elles iront en suite au refectoire, et de la a la recreation une 
demie heure durant, qu'elles prendront comme celle de l'apres disne. 

Elles se retireront apres dans leurs chambres, ou elles employeront le temps qui leur restera jusqu'a Complies, 
moitie a l'oraison et a l'examen, et moitie a la lecture spirituelle. 

Complies etant sonnees, elles les diront, et se coucheront, ne faisant rien ny apres Complies, ny pendant toute 
la nuit qu'a leur ordinaire. 

Elles se serviront des petites notes qu'elles auront faites chaque jour pour faire une reveue aux pieds de leur 
confesseur a la fin de la retraite, de toutes les principales fautes de l'annee, choisissant les plus notables et les plus 
humiliantes ; mais ne se faisant point ny une gehenne, ny un mystere, comme si elles etoient obligees de tenir registre, 
et de rendre compte de tout ; car le solide consiste a concevoir un regret amoureux de ses fautes, et une bonne resolution 
de se corriger. 

Nous conseillons a nos Filles qui seront en retraite, de ne point etendre leurs entretiens avec leurs confesseurs 
au dela du necessaire, afin de mieux tenir renfermez dans leur cceurs les bons sentimens que Dieu leur donne ; car on les 
diminue souvent, ou bien ils s'evaporent par le trop d'entretien et de communication. Souvenez-vous que quand on a mis 
d'excellent vin dans une bouteille, on la tient bien bouchee, de peur qu'il ne perde sa force et qu'il ne s'aigrisse. II faut 
faire le meme a l'egard de nos coeurs et de notre langue, si nous voulons bien conserver le vin des impressions de la 
grace qui enyvre les ames de la sainte yvresse dont l'Epouse des Cantiques provoque tous ses amis a s'enyvrer. La Mere 
prieure pourra permettre une communion extraordinaire, et une fois la discipline moderee pendant le temps de la 
retraite. 

Pour ce qui regarde le sujet de lecture et d'oraison 

II n'est point question, mes Filles, de chercher en cecy des choses extraordinaires et relevees en speculation, car 
cela ne sert souvent a Fame que comme un ragout sert aux corps, qui deguise un peu la viande, mais pour etre deguisee, 
elle ne laisse point d'etre toujours la mesme chose. II arrive meme quelque fois, que ces deguisemens dimmuent les 
effets de la bonne viande, qui feroit une meilleure nourriture si elle etoit laissee toute simple, qu'etant ainsi deguisee, et 
ce qui reste de toute cette preparation, n'est qu'un chatouillement d'appetit. II en arrive souvent de meme dans la matiere 
dont nous parlons. Les tournures nouvelles, subtiles, et qui donnent un peu dans le metaphysique, reveillent un certain 
appetit dans l'esprit par de nouvelles et belles idees, mais cela passe bien vite, et on se trouve au meme etat 
qu'auparavant. 

Pour s'appliquer done solidement dans la retraite, mon sentiment est, qu'il faut en former l'idee sur le besom 
qu'on a d'examiner et comme developper l'etat de son ame pour le bien reconnoitre devant Dieu, et pour accomplir cette 
parole de David, ut sciam quid desit mihi, afin que je scache ce qui me manque. II faut s'y representer les solides 
principes de la vie chrestienne, religieuse et Interieure, afin de s'en penetrer mieux qu'auparavant, et qu'en y voyant 
comme dans un miroir ce que nous devons desirer et faire, nous y reconnoissions en meme temps ce que nous avons 
omis de faire, ce que nous devons faire, et qu'elles doivent etre d'orenavant nos applications et nos occupations. Vous 
trouverez au 2. volume de votre Introduction les douziemes advis, qui vous expliqueront encore plus au long mes 
sentimens sur cecy. N'allons done point chercher d'autres lectures que celles que nous trouvons dans V Introduction a la 
vie Interieure, et dans Rodriguez ; mais choisissons-en seulement quelques-unes des plus convenables a notre fin, et 
faisons-les attentivement devant Dieu plutot par mamere de priere que par maniere de simple lecture. 

Je vous assigne dix lecons de votre Introduction pour les dix jours de votre retraite, qui sont, 

1. La quatrieme ou il est parle de la purification de fame, de limitation de Jesus-Christ, de l'humble 
sentiment qu'on doit avoir de soy -meme, et de la conversation Interieure avec Dieu. 

2. La sixieme, ou il est parle des moyens de purifier fame, de la componction, etc. 

3. La quatorzieme, ou il est parle de se purifier de l'affection aux choses inutiles, de fair les vaines 
esperances, l'amour de nous-meme, etc. 



4. La quinzieme, ou il est parle d'examiner et moderer ses desirs, et negliger les creatures, des moyens 
pour attirer la grace, et du besoin que nous en avons. 

5. La seizieme, ou il est parle du travail, de se defaire de ses mauvaises inclinations, de la paix, et du zele 
pour son avancement, etc. 

6. La dix-septieme, ou il est parle de la vie monastique. 

7. La dix-huitieme, ou il est parle de l'etude de se corriger, etc. 

8. La trente-deuxieme, ou il est parle de la patience. 

9. La trente-troisieme, ou il est parle de l'humilite interieure et exterieure. 

10. Et la quarante-deuxieme, ou il est parle qu'il faut etre fidele dans les grandes et petites occasions. 
Vous pourrez adjouter a cela la lecture de la cinquantieme et de la cinquante-deuxieme lecon, ou vous 

apprendrez a faire votre examen dans la retraite. Et si ces lecons ne remplissent point assez votre temps du matin, vous 
en choisirez vous-meme d'autres dans le meme livre. 

Pour vos lectures d'apres le disne, vous prendrez Rodriguez, et vous en lirez les traitez 2, 3, 4, 5, et sixieme de 
la quatneme partie, ou il parle des vceux principaux de la religion, et des avantages de la vie religieuse, des vceux de 
pauvrete, chastete, et obeissance, et de l'observance des Regies. 

Je vous diray en passant, une chose qui est a remarquer au sujet de la lecture de cet excellent livre, c'est que 
son autheur a dit plusieurs choses par rapport aux Regies de l'lnstitut des Reverends Peres Jesuites, et comme chaque 
Institut a son esprit et ses Regies particulieres, tout ne convient point a tous, et par consequent chacun doit s'en tenir aux 
usages et aux Regies de son propre Institut, comme par exemple les Reverends Peres J6suites ont des Regies 
singulieres, sur la maniere de faire la correction, et sur la perspicuite, qui sont sans doute tres-utiles a toutes les 
personnes de leur Compagnie, occupees aux fonctions exterieures de la charite, et destinees a des emplois qui 
demandent beaucoup de circonspection et de mesures, et c'est pourquoy Dieu les a ainsi inspirees a leur S. Instituteur 
Mais notre vie solitaire n'ayant rien de cela, il faut nous contenter d'en demeurer aux termes generaux de lEvangile et a 
ce que nos Statuts et les usages de l'Ordre nous prescrivent sur ces matieres et sur d'autres semblables dont traite ce 
saint autheur par rapport a son Institut. Cet advis vous servira done pour bien user de la lecture de ce livre, et sans vous 
jeter dans quelque inquietude ou indiscretion. 

Pour ce qui est des sujets de meditation, comme il n'est question, amsi que je vous ay deja dit, que de vous 
remettre devant les yeux les solides principes de la vie chretienne et religieuse, je vay vous en donner un bon nombre, 
afin qu'ils puissent servir non seulement pour la retraite annuelle des dix jours, et pour plusieurs annees, mais aussi pour 
la retraite des quarante jours, qui se fait dans quelqu'une de vos Maisons pour se preparer au Sacre. Ce qui vous restera 
de surabondant des sujets de meditation que vous en tirerez, vous servira de lecture, et ainsi vous pourrez vous servir 
utilement de tout. Nous vous en fournirons done icy des sujets. 

1 . Sur la charite, qui est le principe, fame et la vie de tout le bien. 

2. Sur la maniere de bien vaquer a l'unique necessaire, a l'exemple de la Sainte Vierge. 

3. Sur les avantages de la solitude, a laquelle notre Statut nous engage, et sur les moyens qu'elle fournit de bien 
vaquer a l'unique necessaire. 

4. Sur l'estime et la pratique que nous devons faire de ces paroles de Jesus-Christ, de renoncer a soy -meme, de 
porter sa croix, et de le suivre. 

5. Sur les obligations et les usages de la pauvrete, tels que nous devons les observer, en conformite des Statuts 
de l'Ordre. 

6. Sur les paroles et les vceux de notre profession. 

7. Sur le bon usage de la liberte, sur les trois grands livres ouverts sans cesse devant nos yeux ; et sur l'amour 
de la correction. 

8. Sur la renaissance a laquelle notre Institut dispose les Rehgieux de l'Ordre pour representer chacun dans leur 
employ l'enfance, la jeunesse, et l'age parfait de Jesus-Christ. 

9. Sur la ceremonie de la consecration des Vierges, et les dispositions eloignees et prochaines qu'on y doit 
apporter. 

10. Et enfin nous y adjouterons des sujets de meditations et d'oraisons sur l'etat des ames du Purgatoire, afin de 
satisfaire a la demande que plusieurs d'entre vous m'ont faire de vous en fournir des sujet pour vous mieux acquitter du 
devoir des suffrages que vous devez rendre aux trepassez, selon ce qui vous est present par les Statuts, et par le 
Directoire. Vous vous vservirez aussi, soit au commencement, soit a la fin de votre retraite, des cinq meditations sur 
l'obligation d'etre a Dieu sans reserve, que vous trouverez a la fin des quarante, dans le deuxieme volume de votre 
Introduction. Voila tout ce que je croy pouvoir faire de mieux pour vous aider a employer solidement le temps de vos 
retraites et pour en bien profiter. Je prie l'Autheur et le Principe de tout bien qu'il vous conduise luy-meme dans la 
solitude, et qu'il vous y parle au coeur ; car c'est luy qui touche et frappe le coup comme la bale du mousquet, et tout ce 
que nous saunons dire ne ressemble qu'au bruit du canon. A lui soyons-nous a jamais. 

Votre tres-affectionne Confrere 

F. INNOCENT, Pneur de Chartreuse, 
General des Chartreux 

En Chartreuse ce 9 Janvier 1691 



Chapitre Premier 
Sur la Charite 



1 . Dieu nous a donne la vie et toutes les autres choses avec une liberalite digne de sa grandeur ; mais tout cela 
n'est rien en comparaison de sa charite, qu'il nous a communiquee en nous aimant et en nous rendant capables de 
l'aimer. 

2. Cette charite est le plus beau caractere que nous ayions de sa ressemblance, et c'est elle qui nous met en etat 
de bien user de toutes choses, de nous memes, et des creatures, en recevant de Dieu les effets de son amour, en dormant 
des temoignages du notre, et en agissant comme Dieu qui fait tout par amour. 

3. Tout ce qu'il y a au monde ne nous donneroit aucune satisfaction, si nous ne scavions aimer, et par 
consequent rien ne doit etre compare dans notre estime a la communication que Dieu nous a faite de sa charite qui nous 
rend capables d'aimer et d'agir avec amour. 

4. L'amour est ce que Dieu a luy-meme de plus precieux ; et nous pouvons dire que sans l'amour, la Sainte 
Trinite ne seroit point, puisque c'est l'amour substantiel, qui joint la Personne adorable du Pere a celle du Fils, et qui unit 
les trois Personnes dans une meme substance. C'est l'amour qui a fait connotire Dieu ; car si l'amour ne l'avoit porte a 
tirer du rien les creatures, il seroit demeure renferme dans luy meme ; et n'y ayant ny hommes, ny anges pour le 
connoitre, il seroit demeure inconnu. 

5. II ne faut done pas s'etonner, si S. Jean mterroge de ce que Dieu est, ne nous repond que ces deux paroles, 
Deus charitas est, Dieu est charite. II Test a notre egard, l'experience nous l'apprend, et nous n'en pouvons pas douter ; 
mais il Test encore plus a l'egard de luy meme, puisque c'est pour luy meme qu'il a tout fait. C'est tout ce que nous 
pouvons dire de l'etre de Dieu qui soit proportionne a notre facon de concevoir et de sentir. II est charite, nous le 
ressentons par les effets. 

6. Si l'amour est ce que Dieu a de plus precieux ; nous pouvons bien dire que e'estoit aussi ce meme amour 
communique qui faisoit toute la richesse de l'homme dans son etat d'innocence. Tout luy obeissoit, et le servoit dans 
l'ordre d'une grande tranquillite, lors qu'il avoit cet amour dans l'etat de sa creation et de la justice origenelle, l'amour 
etoit cette mumiere de la face de Dieu, repandue sur l'homme, dont parle David, qui imprimoit le respect et la 
soumission envers luy dans les animaux les plus farouches ; mais des qu'ils n'ont plus vu sur la face de cet homme ce 
rayon d'amour efface par le peche, tout s'est revolte contre luy. 

7. Nous avons done tout perdu en perdant la charite ; nous avons ete rejettez de Dieu, nous sommes devenus 
troublez dans nous-mesmes, et nous sommes tombez dans le mepris des creatures. Les animaux nous fuyent, la terre ne 
nous produit que des chardons, et les autres creatures ne nous servent plus que par violence. Depuis que nous avons 
perdu le beau rayon de cette lumiere, ce caractere de charite, elles n'ont plus rien vu dans nous que de vil et de 
meprisable. Nous avons tout perdu. 

8. Dans cet etat de disgrace ou la perte de l'amour nous avoit jetes, qu'est ce que l'amour de Dieu pouvoit faire 
de meilleur pour nous, que de nous rendre un autre amour ? Or, c'est ce que sa sagesse a resolu de faire pour nous ; c'est 
le dessein qu'elle a pis sur nous ; et pour se rendre plus admirable et plus aimable, elle a voulu comme s'epuiser soy- 
meme dans les regies de sa justice, pour nous redonner une charite plus sublime et plus precieuse que celle que nous 
avions perdue ; elle a voulu que Jesus-Christ, dans lequel cette sagesse divine s'est incarnee, fut luy-meme l'executeur 
de ce dessein. 

9. Dieu a voulu montrer icy l'excellence de sa charite, en faisant toute autre chose pour nous reparer, qu'il 
n'avoit fait pour nous tirer du rien ; son amour n'avoit fait que tirer un souffle de luy-meme, et prononcer une parole 
pour tirer du rien la boue dont il a voulu nous former, pour nous dormer la vie, et pour nous faire a sa ressemblance ; 
mais pour nous reparer, sa parole meme et l'image de sa bonte s'est faite a notre ressemblance, en se faisant homme. 
C'est icy, Seigneur, c'est icy que nous trouvons une admirable preuve de ce qui se dit, que l'amour trouve ses 
semblables, ou qu'il les fait, aut pares invenit, out facit, et que nous voyons qu'il n'y a rien d'impossible a l'amour, 
puisqu'il a reduit un Dieu a se faire homme. 

10. Dieu avait compose le corps de l'homme avec de la boue dans sa creation avant que d'y repandre L'Esprit ; 
et on peut dire qu'il est le seul ouvrage de ses mains, puisqu'il a tire du rien le reste des creatures, non pas en composant 
leurs corps, mais en parlant. Jesus-Christ fait homme a voulu aussi composer le corps de son Eghse dans sa reparation 
par un travail, non pas d'un jour, d'une parole, ou d'un acte ; mais par l'application entiere de ses soins, de ses travaux, et 
de sa vie mortelle. 

1 1 . Toute cette composition n'a ete qu'une execution du dessein de sa charite ; et toute la vie de Jesus-Christ n'a 
ete qu'un exercice continue, et comme une officine de charite ou il a travaille incessamment par charite pour nous 
reformer a la veritable charite, dont son enfance nous montre la douceur et la tendresse, sa vie laborieuse nous en fait 
voir la force et la diligence, et sa mort nous en montre la perseverance, qui ne peut etre surmontee par la mort. 

12. Mais quand nous considerons ce sceau de sa charite, qu'il nous a laisse dans le mystere de l'Eucharistie 
pour le mettre encore sur notre coeur apres sa mort, nous sommes contraints de dire que Salomon n'a pas assez dit en 
faisant l'amour aussi fort que la mort. Car il est ici plus fort que la mort, il l'emporte par-dessus tout, et la foy nous 



enseigne qu'il ne peut se resoudre a quitter ceux qu'il aime, qu'ils ne l'ayent auparavant quitte et chasse. 

13. On peut juger par les oeuvres du dessein et de l'intention de l'auteur. Sa charite epuise tout le possible, et le 
produit pour nous dans son enfance, dans sa vie et dans sa mort. Elle le rend semblable a nous pour nous rendre 
semblables a luy ; elle luy fait dire qu'il nous veut consommer dans son unite ; et enfin elle le porte a s'engager de parole 
de ne nous point quitter. Que peut-on desirer de plus ? 

14. Toutes ses actions nous prouvent done assez par l'exercice d'une charite plus admirable que celle de la 
creation, que son auteur nous veut disposer a une charite bien plus sublime que celle que nous avons perdue en 
pechant ; et que si nous ne correspondons pas a ses desseins, notre ingratitude merite une pumtion aussi extraordinaire 
que sa charite est admirable. 

15. La premiere charite etoit toute tranquille et elle n'avoit pas de contradiction a vaincre. Mais celle que Dieu 
a voulu nous rendre est une charite forte, et qui fait des victoires par le combat d'une genereuse fidehte. C'est pourquoy 
cette seconde se preparoit avec plus de travail. 

16. Tout le travail de la vie de Jesus-Christ a ete employe comme pour former le corps de la nouvelle charite 
dans l'Eglise ; et nous voyons meme qu'apres tant de travaux et de paroles qui l'avoient animee, cette animation ne 
ressembloit encore qu'a celle des enfant qui ont la raison, mais qui n'en ont pas encore l'usage. Nous en avons une 
preuve dans S. Pierre, qui renie son Maistre, et dans les autres disciples qui l'abandonnent a la premiere attaque. 

17. Mais pourquoy la sagesse de Dieu en a-t-elle voulu user ainsi ? Ne pouvoit-elle pas nous rendre la charite 
sans observer toutes ces mesures ? II lui a plu de nous conduire par divers degrez d'experience, afin que notre durete a 
bien concevoir les veritez, et a les bien entendre, fut par ce moyen mieux convaincue que tout notre veritable bien, toute 
notre assurance, et toute notre bonne conduite devoit naistre du veritable amour, confirme et soutenu par la grace, et que 
sans lui nous ne pouvions pas avoir de bien qui fut stable, ny de vertu solide. 

18. La Sagesse incarnee a voulu ainsi former ce corps, et nous ay ant premierement disposes a faire place a 
l'esprit de charite par l'humble connoissance de nous-memes, elle s'est alle rasseoir a la dextre de son Pere, pour de la 
envoyer le S. Esprit, qui est l'amour substantiel du Pere et du Fils ; et l'ayant envoye, cet corps de l'Eglise a recu l'usage 
de cette nouvelle et forte charite, qui a aussi-tot fait paroitre dans les membres de cette Eglise qu'elle etoit capable de 
tout faire, de tout souffrir, et de tout vaincre, jusqu'a surmonter meme la mort et les supplices. 

19. Puisque l'Eglise n' etoit qu'un corps imparfait, et comme une raison foible avant l'infusion du Saint -Esprit et 
de la charite ; puisque le Verbe incarne nous a voulu composes de ses mains avec tant de travail pour nous disposer a 
recevoir l'Esprit, et a devenir des creatures vivantes de l'Espnt de sa charite ; cela prouve assez que le dessein de Dieu 
dans l'oeconomie de notre redemption n'a ete que de nous rendre la charite, que son Fils n'a converse parmy nous que 
pour nous former par ses actions et par ses paroles a une charite excellente d'eeuvres et de pratique ; et que son propre 
Esprit en nous venant animer de la vie de la charite, nous a voulu faire connoitre que hors la charite nos ames n'auront 
point de veritable vie. 

20. Toute la Sainte Trinite s'est employee dans le dessein de nous rendre la charite. Jugez done de la, mes filles, 
l'estime que nous en devons faire. Mais je veux vous faire paroitre icy notre bienheureux pere S. Bruno comme un 
fidele ministre du dessein de la charite de Jesus-Christ. Car il est encore venu a notre secours en nous fournissant des 
moyens et des exemples pour nous aider a aimer selon ce dessein, en nous eloignant de l'esprit du monde, des interets 
du monde, et de la conversation du monde, qui sont les trois grands ecueils de la charite. 

21 . L'esprit du monde ne tend qu'a se repaitre de curiosite et de nouveaute. II veut penetrer toutes les actions du 
prochain pour en juger a sa mode. II veut se faire des intrigues par tout, et se rendre le maistre ou l'arbitre des sentimens 
des autres. La charite tout au contraire, comme dit l'Apotre, est patiente et benigne, elle ne pense pas au mal, elle souffre 
tout, elle supporte tout. L'esprit du monde etant done bien contraire a toutes ces precieuses quahtez, que l'Apotre donne 
a la charite, faut-il s'etonner si l'auteur et le reparateur de la charite les hait comme son ennemy. 

22. Notre saint Instituteur nous eloigne de cet ecueil par la solitude, qui nous met dans une heureuse necessite 
non seulement d'etre separes du monde, mais aussi d'en oublier l'esprit. Car si un solitaire vouloit entretenir dans son 
esprit l'intrigue, la nouveaute et la curiosite, il se serviroit de tourment a luy-meme, et s'il ne s'etudioit a reduire son 
jugement aux regies de la charite, pour ne point penetrer plus avant qu'il ne faut dans les actions du prochain, il n'auroit 
ny repos, ny consolation dans la solitude. Nous n'avons point receu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, ce 
doit etre la devise d'un religieux, et d'une religieuse de l'Ordre de S. Bruno. 

23. L'interet du monde ne cherche qu'a contenter son ambition et ses inclinations dans les honneurs et dans les 
plaisirs, sans avoir aucun egard a l'utilite, ou aux interets du prochain. Cela est bien contraire a la charite, qui selon S. 
Paul n'a point de jalousie, n'a point d'ambition, et ne cherche point ses commoditez. Mais notre Institut nous eloigne de 
cet ecueil par la vie cachee et penitente qui ne veut paroitre qu'aux yeux de Dieu, et qui considere son corps comme une 
victime de charite. 

24. La conversation du monde ne tend qu'a perdre le temps precieux de la vie par des discours de vanite, par 
des mensonges et par des detractions. La charite tout au contraire selon S. Paul, ne veut pas tirer sa satisfaction de 
l'iniquite ; mais elle se rejouit de sa verite. Notre Institut nous eloigne de cet ecueil par le silence qui nous met a 
couvert des conversations du monde, qui nous preserve des pieges subtils de la langue, et qui nous apprend a transporter 
avec S. Paul notre conversation dans les cieux. 

25. J'ay done bien raison de vous faire paroitre icy S. Bruno comme un fidele ministre du dessein de Dieu sur 
nous, en nous fournissant tant de moyens pour vivre en charite et selon la charite, et en eloignant de nous ces trois 



ecueils de la charite, qui sont la curiosite, le propre interet, et la conversation vaine et superflue. Scachant done les 
dessems de la charite de Dieu sur nous ; qu'elle est la fin de la naissance, de la vie, de la mort, et des travaux de Jesus- 
Christ, quelle estime devons-nous avoir de la charite, puis qu'elle est le principe et la fin de toutes les merveilles de la 
charite de Dieu sur nous ? 

26. II ne faut pas s'etonner si l'amour de Jesus-Christ le presse si fort de nous provoquer a la charite, e'est qu'il 
y va de l'interet de Dieu son Pere, du sien, et de celuy de tous les hommes qu'il a rachetez. C'est un sujet de joye aux 
peres de voir dans leurs enfans la ressemblance des traits de leur visage ; si done notre Pere celeste est amour, il y va de 
sa satisfaction que nous aimions, puisque nous ne pouvons luy ressembler qu'en aimant ; mais plus nous aimons selon 
son intention, plus nous donnons d'ouverture aux ecoulemens de sa charite. 

27. On ne peut mieux, ce me semble, exprimer l'inclination de l'amour de Dieu envers nous, que par la 
comparaison d'une nourrice abondante en lait. Tant qu'elle a un petit enfant pour le sucer, elle se porte bien ; mais quand 
l'enfant vient a luy manquer, on est contraint de luy en aller chercher quelqu'autre, ou bien il faut qu'elle se suce elle 
meme, car autrement son lait l'etoufferoit. Appliquons cette comparaison a Dieu, et soyons persuadez qu'en aimant, 
nous ouvrons le cours aux mamelles de sa charite pour se repandre sur nous ; nous accomphssons ses desseins, et nous 
contentons ses desirs. II y va done de l'interet de Dieu que nous aimions. i 

28. Qu'a-t-il coute a Jesus-Christ pour accomplir sur nous sa charite ? et comment pouvons-nous reconnoitre 
ses travaux qu'en aimant, puis qu'il ne les a soufferts que pour nous apprendre a aimer, et pour nous attirer a aimer ? II y 
va done du grand interet de Jesus-Christ que nous aimions. 

29. Mais il y va aussi de notre grand interet ; car ce ne sera qu'en aimant que nous serons disposez a recevoir 
les secours de Dieu. He, que deviendrions-nous sans ce secours ? 

30. Ce ne sera qu'en aimant bien que nous mettrons l'ordre dans nous-memes. Car la ou la charite ne se trouve 
pas honoree, il n'y a que des contradictions a attendre au dedans aussi bien qu'au dehors. Chacun veut etre le maistre. 
Les passions et les inclinations veulent s'eriger en maistresses, et mettent le divorce et la confusion dans nous-memes. 
He, quel repos trouverons-nous parmy cette confusion ? 

31. Ce ne sera qu'en aimant selon le dessein de Dieu que nous ressentirons les consolations de la charite, qui 
sont telles qu'on peut les ressentir, mais non pas les exprimer. Ce sont les consolations veritables et uniques, hors 
desquelles il ne s'en trouve point. Car celles du monde n'ont que des objets insuffisans pour nous contenter, inconstans, 
perissables, suivis de mille remords, de mille craintes et de mille inquietudes, et qui ne frappent que les sens grossiers et 
exterieurs ; mais les consolations de la charite ont un objet pur, parfait, spirituel, qui penetre fame pour remplir tous ses 
desirs, qui ne peut changer, qui ne peut perir, et qui ne laisse jamais d'amertume ny de regret. He, quelle joye pouvons- 
nous done avoir dans la vie, si nous ne goutons celle de la charite ? 

32. On a souvent regret d'avoir aime les creatures, mais on n'a jamais eu regret d'avoir aime Dieu, et d'avoir 
aime pour Dieu. N'y va-t-il done pas de notre grand interet d'aimer, puisque sans la charite pratiquee nous n'avons ny 
secours, ny ordre dans nos inclinations, ny consolation dans notre raison. 

33. II y va du grand interet du prochain que nous aimions. Car ce n'est qu'en aimant que nous adoucissons les 
peines communes de la vie, autant qu'elles peuvent etre adoucies en participant aux maux les uns des autres par la 
compassion, en nous communiquant les secours dans le besoin, et en dormant de ce que nous avons a celuy qui n'en a 
pas. 

34. N'est-ce pas en aimant que nous gardons la paix avec le prochain ; et sans la paix qu'est-ce que notre vie ? 
On peut comparer la paix a la lumiere du jour, sans laquelle on ne voit pas ce qu'on tient, quoy qu'on ait des yeux, et on 
ne jouit pas de ce qu'on possede ; mais en aimant, nous accomphssons le grand dessein de Jesus-Christ sur le prochain, 
dont les interets sont melez avec les siens, et avec les notres d'une maniere qui les rend inseparables. Tout se trouve uny 
en luy, parce que tout luy appartient. 

35. Son desir et son dessein sont assez exprimez, quand il dit a son Pere eternel : Ut sint unum, sicut et nos, 
qu'ils soient unis entr'eux comme je le suis avec vous, il souhaite de nous une union si etroite, que nous representions 
celle qu'il a avec son Pere eternel ; et les raisons de ce desir de notre Maistre sont assez evidentes. Ne sommes-nous pas 
tous sortis d'un meme Pere celeste ? Ne sommes-nous pas tous les productions d'une meme charite ? N'est-ce pas cette 
meme charite qui s'etend sur nous tous, qui nous contient tous, et qui nous donne a tous les secours dont nous avons 
besoin ? II ne faut done pas nous etonner si notre celeste Reparateur nous veut mettre tous en un par la charite pratiquee, 
puis qu'elle est la seule qui peut faire cette union. 

36. Le ressemblance de Dieu que nous portons, le dessein de Dieu, les desirs de Jesus-Christ, et nos propres 
besoins nous engagent a aimer. Que faisons-nous done a l'egard de Dieu, si nous n'aimons pas selon son dessein ? Nous 
luy faisons injure ; nous effacons dans nous les traits de son image ; nous detruisons les ceuvres de Jesus-Christ, nous 
aneantissons ses travaux ; nous banmssons Dieu de nous. He, que deviendrions-nous si Dieu refermoit aussi a notre 
egard les entrailles de sa charite, et s'll nous abandonnoit ? 

37. Que faisons nous a notre egard, si nous n'aimons pas ? nous mettons de l'obstacle au cours des graces de 
Dieu ; nous entretenons le desordre dans nous-memes ; nous nous privons des veritables consolations, n'y ayant rien qui 
puisse consoler l'ame que ce qui la remplit, et n'y ayant que l'esprit de charite qui puisse la remplir. C'est pourquoy nous 
disons dans notre pnere au Saint-Esprit, qu'il vienne et qu'il remplisse les cceurs de ses fideles. Car hors de cet Esprit de 
charite, il n'y a que de la vanite et de la vacuite. Nous demeurons done sans secours, sans paix, sans ordre et sans 
consolation, si nous n'avons point l'amour de la charite. 



38. Que faisons nous a regard de notre prochain si nous n'aimons pas ? Nous nous accumulons des maux qui 
servent a s'affliger les uns les autres, a nous tenter, et a nous jeter dans les pieges du demon. He, pourquoy pensez-vous 
que Dieu a voulu permettre cette grande inegalite de conditions des hommes sur la terre, ou nous voyons les uns estre 
dans les richesses, et les autres dans la pauvrete ? Ce n'a ete a mon avis que pour engager les hommes a reconnoitre la 
necessite de la charite, et a la pratiquer, en ressentant par leurs experiences combien les secours de la charite sont doux 
et agreables dans les besoins, et envoyant combien de peines et de douleurs on souffre par le manquement de charite. 

39. Si nous aimons bien nous avons tout : Dieu, nous-memes, et le prochain. Si nous n'aimons pas nous 
reperdons tout d'une maniere plus miserable que nous ne l'avions perdu la premiere fois ; puisque nous adjoutons aux 
premieres peines de la perte de l'amour qu'a fait notre premier Pere, d'autres peines bien plus grandes, qui nous rendent 
doublement criminels, et qui naissent de la division. 

40. Si nous n'aimons pas, quels supplices pouvons-nous souffnr qui egalent le mepris que nous faisons de 
l'amour d'un Dieu qui l'a comme aneanty ; qui l'a fait enfant ; qui l'a fait vivre, et qui l'a fait mourir par amour, pour 
nous rendre l'amour, et pour nous former au nouvel amour de la charite ? 

41. Jettez encore icy les yeux sur notre P. S. Bruno qui nous est en cecy un excellent mimstre de Jesus-Christ ; 
car en nous separant par ses exemples, et par nos Regies des vains amusemens du monde et de ses plaisirs trompeurs, il 
nous reduits a une heureuse necessite de rechercher les consolations de la charite, si nous voulons avoir quelque 
satisfaction au monde ; et d'apprendre par nos experiences que pour gouter les consolations intimes de la charite, il faut 
aimer comme Jesus-Christ nous a aimez. Comment est-ce que Jesus-Christ nous a aimez ? 

42. Jesus-Christ avoit bien raison de dire, que le commandement d'aimer qu'il donnoit etoit nouveau ; car la 
maniere d'aimer qu'il donnoit aux hommes leur etoit toute nouvelle. L'amour qu'ils se portoient les uns aux autres n'etoit 
plus un amour veritable. lis avoient perdu le veritable amour en pechant ; et il ne leur en restoit plus qu'une ombre. 

43. II ne faut qu'ouvrir les yeux sur l'experience pour connoitre quel est l'amour du monde, et ce que peut ce 
vieil amour. S'il aime, ce n'est que ce qui contente ses inclinations, ce qui est dans ses interets, et ce qui luy donne du 
plaisir. Si le plaisir ou l'interet se retire, il n'aime plus, et il se retire aussi luy-meme. Est-ce aimer, que d'aimer ainsi ? Si 
c'est aimer, c'est s'aimer soy-meme, et non plus aimer Dieu et le prochain. 

44. Ce vieil amour ressemble au feu, qui depend de la matiere, et qui s'eteint des qu'elle luy manque. II est done 
bien different de celuy de la charite que Jesus-Christ nous enseigne ; car celuy de la charite est une flamme celeste qui 
brule toujours, et qui se nourrit par soy-meme ; c'est un buisson ardent qui briile sans se consumer. 

45. Distinguons trois sortes d'amours ; l'amour naturel, l'amour de raison, que nous appellns amitie, et l'amour 
de la charite, afin que nous connaissions combien ils sont differents les uns des autres, et que nous nous attachions 
uniquement au bon. 

46. L'amour naturel se trouve represente au naif dans les animaux. II se termine a l'interet, ou au plaisir ; et sans 
aucune autre consideration, il se sert de l'astuce, ou de la violence pour parvenir a ses fins, ou pour eloigner ce qui luy 
deplaist, ou ce qui le traverse. De quoy cet amour peut-il servir aux hommes ? Sinon a les faire devenir semblables aux 
bestes ; a les deregler ; a se detruire les uns les autres par la jalousie, et par la fureur ; et enfin a changer leur gloire en la 
ressemblance d'un veau qui broute le foin, ainsi que parle l'Ecriture. 

47. L'amour de raison est fonde sur des principes de convenances d'humeur et d'esprit ; sur le merite des 
personnes qui sont ou scavantes, ou vertueuses ; mais comme la raison est fort inconstante dans celuy qui aime, et 
qu'elle est extremement defectueuse non seulement dans celuy qui aime, mais aussi dans celuy qui est aime : cela ne 
peut aller loin sans degout, sans alteration, sans mepris et sans chagrin. A quoy done nous peut servir cet amour ? Qu'a 
nous etre un sujet d'amusement et d'attache, d'inquietude et de chagrins, qui se forment a mesure que nous 
reconnoissons l'inconstance et les defauts du prochain. 

48. Mais l'amour de la charite est fonde sur l'umque principe de toutes choses, qui soutient tout et qui ne 
change point. Cet amour aime, par ce que tout ce qui vient de ce principe est aimable. Celuy-ci se soutient par soy- 
mesme ; et quand tout manqueroit a la creature, il subsisteroit sans changement ; car son objet qui est Dieu est toujours 
aimable et immuable. 

49. Lequel de ces amours merite done notre estime, et notre choix ? N'est-ce pas celuy de la charite qui nous 
est uniquement honorable, parce qu'il nous fait aimer comme Dieu aime ? N'est-ce pas celuy-cy qui nous est 
uniquement utile, puis qu'il nous rend capables de recevoir les bienfaits de Dieu, sans que nos miseres y mettent de 
l'empechement ? Et n'est-ce pas cet amour de la charite qui nous est uniquement desirable, puis qu'il est le seul qui est 
capable de nous consoler dans la vie, et de nous rendre heureux dans l'eternite ? 

50. Nous pouvons comparer ces trois sortes d'amours a la chair, aux nerfs, et aux os dont est compose le corps 
humain. Si nous n'avions que de la chair, nous ne pourrions marcher, et nous demeurerions couchez contre terre. C'est 
ce que fait l'amour naturel. II est rempant sur la terre, et il ne va pas plus loin que l'interet et le plaisir. Si nous n'avions 
que des nerfs nous n'irions pas loin sans tomber. C'est tout ce que peut faire l'amour de raison. II ne va gueres loin, etant 
sujet a l'inconstance, et ne s'appuyant que sur l'humain. Mais les os nous mettent en etat d'agir, de marcher, et de 
travailler. Voila ce que fait l'amour de la charite. 

51. C'est de ce noble amour dont Jesus-Christ nous a donne l'exemple dans son humanite sacree, qui nous 
apprend a aimer par amour, et non pas par interet, et qui nous donne par sa bouche divine le commandement le plus 
aimable que nous puissions souhaiter, puis qu'il contient ce qui nous est le plus honorable, le plus utile, et le plus 
desirable. 

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52. Aimons comme Dieu nous a aimez ; car il n'y a rien de plus juste. II nous a aimez purement ; puisque nous 
estions dans le rien quand il nous a creez ; il n'y avoit que son pur amour qui le put faire agir. II nous a aimez sans 
interet ; car que pouvoit-il recevoir de nous, et qu'en pouvoit-il attendre, sinon d'avoir de quoy exercer sa misericorde et 
sa patience ? II nous a aimez de toute eternite et pour l'eternite ; aimons done aussi purement et sans melanger notre 
humain avec le surnaturel ; aimons sans interet, en ne considerant que le veritable bien, et le salut les uns des autres ; 
aimons enfin avec perseverance, sans que les defauts du prochain soient capables de nous faire interrompre le noble 
exercice de la veritable charite, qui ne consiste pas en paroles, mais en oeuvres ; qui ne consiste pas en temoignages 
d'affections sensibles, mais en exercices utiles et salutaires. 

53. Souvenons-nous pour cela de deux choses : l'une, que puisque Dieu nous a voulu rendre le veritable amour 
que nous avions perdu, et nous retablir dans un amour qui est tout nouveau et tout admirable, son amour ne peut etre 
content du notre, si le notre ne convient avec le sien. L'autre est, que puisque Dieu a voulu repandre dans nous son 
propre Esprit pour nous faire aimer, il faut que nous aimions comme Dieu aime, et aimer pour Dieu ; autrement nous 
ferions injure a l'Esprit de la charite. 

54. Considerons les effets que ce saint Esprit de charite a produit dans la sainte amante de Jesus-Christ sainte 
Magdelaine, et dans notre saint Instituteur, afin qu'ayant vu ce qu'il a opere dans ces saintes ames, nous aspirions au 
meme bonheur auquel notre saint Instituteur nous attire par son exemple, et nous veut disposer par les Regies de notre 
Institut. 

55. L'eloge de sainte Magdelaine, que Jesus-Christ a fait luy-meme, et qui est compris dans ces deux paroles, 
dilexit multum, elle a aime beaucoup, convient aussi a S. Bruno. Sainte Magdelaine blessee d'un trait de charite, qui luy 
donnoit une sainte horreur du peche, comme etant l'ennemy mortel de la charite, a quitte sa maison et ses 
divertissemens ; elle s'est oubliee de toutes les bienseances du monde et a surmonte toutes les repugnances de la nature, 
pour aller arroser les pieds de Jesus-Christ par ses larmes, qu'elle repandoit au dehors pendant qu'au dedans la charite 
brisoit son coeur de la douleur de ses pechez. 

56. Saint Bruno blesse d'un coup de charite, qui en luy penetrant le coeur, avoit aussi transperce tous ses 
sentimens de la crainte salutaire des jugemens de Dieu, a quitte sa maison et ses honneurs ; et quoy qu'il n'eut pas mene 
une vie scandaleuse comme Magdelaine, il s'est separe du monde et s'est venu retirer dans le desert pour y adorer Dieu 
dans la solitude, et pour y trouver en le cherchant avec une entiere tribulation de son coeur, comme parle le Prophete, et 
en faisant de ses yeux un torrent de larmes, qu'il versoit sur les pieds de Jesus-Christ. II ne les voyoit pas des yeux du 
corps, comme Magdelaine, mais en les regardant seulement des yeux de la foy, sa charite n'en etoit pas moins forte pour 
etre depouillee du sensible. 

57. Magdelaine a suivy Jesus-Christ sans plus s'en separer ; elle n'a plus pense au divertissement, ny a la bonne 
chere ; la parole de Jesus-Christ luy suffisoit pour tout ; elle a meme oublie a ses pieds le festin que Marthe sa soeur 
preparoit. Saint Bruno tout de meme a suivy Jesus, et pour ne plus se separer de luy, il s'est separe de tout. II n'a plus eu 
de gout que pour sa parole ; elle luy a servy de nourriture et de delices ; et en imitant sa vie penitente ou plutot en 
menant une vie morte au monde il a fait connoitre que Jesus-Christ etoit sa vie et qu'il trouvoit un grand gain dans la 
mort a limitation de S. Paul. 

58. Sainte Magdelaine a accompagne Jesus-Christ jusqu'a la mort, et elle est demeuree ferme, ou les hommes 
ont pris la fuite ; elle a embaume son corps ; et non contente du temoignage qu'elle avoit receu de la bouche vivante de 
son Sauveur, que ses pechez luy etoient remis, parce qu'elle avoit aime beaucoup, elle s'est retiree dans un desert, pour y 
continuer une rude penitence jusqu'a sa mort, ne voulant survivre a son Maistre que dans l'etat d'un amour douloureux, 
apres l'avoir vu mourir d'amour dans les douleurs dont nos pechez etoient la cause. 

59. Saint Bruno tout de meme a suivy Jesus jusqu'a honorer sa mort par une mort entiere a soy -meme ; et il 
n'est pas seulement demeure ferme dans son entreprise pendant que ses premiers enfants etoient prets a fuir ; mais 
meme il les a arretez par ses paroles. II a verse dans sa retraite le baume de ses contemplations sur la teste de son 
Maistre, et celuy de ses instructions sur ses membres mystiques. Mais apres avoir vu sur ce grand theatre de Rome, ou 
le service de l'Eglise l'avoit appele, combien de fois Jesus-Christ etoit recrucifie par les enfans du siecle, il a pris la fuite 
; il a renonce une seconde fois aux honneurs et aux delicatesses ; il s'est rendu inconnu aux hommes et s'est alle cacher 
dans un desert, afin d'y achever sa carriere dans les gemissemens dune sainte penitence. 

60. L'eloge de sainte Magdelaine convient done bien a S. Bruno : et tous les rapports de leur vie, et tout ce 
qu'on peut dire d'eux est compris dans ces deux paroles : ils ont aime beaucoup. Mais ce saint homme a exerce une 
grande charite envers nous, en nous ouvrant le chemin d'une charite excellente, en nous formant un genre de vie, ou 
nous avons les moyens les plus avantageux pour entrer dans les sentimens les plus purs de la charite de Jesus-Christ, 
pour accomplir son precepte nouveau d'aimer comme il a aime, et pour perseverer dans la charite par l'eloignement de 
tant d'occasions de tomber dans l'infidelite. 

61. C'est Jesus-Christ luy meme qui nous a ramassez dans l'Ordre de saint Bruno, comme dans une ecole de 
charite, afin de nous l'y enseigner. II ne nous a separes des usages du faux amour du monde, que pour accomplir sur 
nous le dessein de sa charite, en vous faisant connoitre et gouter les consolations du veritable amour de la charite. Ne 
mettons done pas d'obstacles a de si grands avantages. 

62. Vous y sentirez les effets de la promesse de Jesus-Christ, si vous vous etudiez a honorer la charite comme 
vous le devez. Sa parole y est engagee, ad eum veniemus et mansionem apud eum faciemus , nous viendrons a luy, et 
nous demeurerons chez luy. Toute la Sainte Trinite viendra a vous pour vous secourir, et elle demeurera chez vous pour 

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vous consoler et pour vous soutenir Mais si vous n'avez la charite, quand vous auriez toute la science des anges, et toute 
la foy des martyrs ; et quand meme vous pratiqueriez des austeritez, non seulement de veilles, de silence, et de solitude ; 
mais aussi de macerations du corps autant sensibles que le feu, vous ne serez rien, et tout cela ne sera pas plus estime 
devant Dieu que le rien ; c'est de quoy S. Paul vous avertit. 

63. Si vous vous etudiez sur toutes choses a la pratique de la charite, vous connoitrez que tout ce que vous avez 
quitte au monde n'est rien en comparaison de la charite ; mais si vous ne vous etudiez pas a la charite, n'attendez guere 
de consolation inteneure en votre vie, et tenez pour certain que la privation des consolations celestes ne procede souvent 
dans les monasteres que des blessures qu'on fait a la charite ; mais quand la veritable pratique de la charite y abonde, la 
consolation du Ciel y abonde aussi. 

64. Puisque l'interet de Dieu, le votre et celuy du prochain vous engagent a pratiquer la charite, ayez soin de la 
conserver envers les autres, suivant la parole du saint Apostre : Solliciti servare unitatem spiritus. Car la charite etant 
une, et tendant a l'unite, il y va de l'interet de la votre de contnbuer de tout ce que vous pourrez a l'union des coeurs et 
des esprits, et pour vous y animer souvenez-vous que Jesus-Christ a tout souffert, a quitte tous ses interets, et a fait tout 
le possible pour la charite. Travaillez sur son exemple ; et soyez resolus de tout supporter, de tout excuser, et de tout 
pardonner ; et par ce moyen vous serez du nombre des vrais enfans de votre Pere celeste qui n'est que charite. 

65. Quand nous entendons saint Paul qui nous dit, marchez dans la dilection de la meme maniere que Jesus- 
Christ nous a aimez, ne disons point que c'est nous mettre comme le soleil dans les yeux, que de nous donner la charite 
de Jesus-Christ pour modele. Quoy qu'elle soit toute divine et inimitable dans sa perfection, il y a divers degrez de 
perfection dans une meme espece de vertu ; et pourvu que vous suiviez les attraits de sa grace, et que vous ayiez le 
meme objet, et la meme fin dans votre amour, vous aimerez comme luy. 

66. Mais Jesus-Christ nous dit bien autre chose quand il dit luy-meme, que nous soyions parfaits comme son 
Pere celeste est parfait. Pouvons-nous done douter que nous ne le puissions imiter dans sa charite ? C'est la Verite qui 
parle, la Sagesse de Dieu qui parle, l'Auteur de la grace qui parle. La Verite ne dit rien que de vray ; la Sagesse rien que 
de sage ; et l'Auteur de la grace sait ce que nous pouvons avec le secours de sa grace. II n'y a done point moyen de s'en 
excuser. 

67. Personne ne peut s'excuser de devenir humble et doux de coeur, ny d'aimer meme ses ennemis. Et si nous 
voulons nous en rapporter an coeur enflamme de saint Augustin, voici ce que nous en a communique par sa plume. 
Quelqu'un dira, He ! qui pourra imiter les Martyrs ? Et moyje luy reports que nous pouvons non seulement imiter les 
Martyrs, mais meme le Seigneur des Martyrs avec le secours de sa grace, si nous le voulons. Ecoutez non pas moy, 
mais notre Seigneur luy-meme qui crie a tout le genre humain : Apprenez de moy que je suis doux et humble de coeur. 
Ecoutez aussi I 'Apostre S. Pierre, qui nous exhorte, en nous disant : Jesus-Christ a souffert pour nous, et nous a laisse 
Vexemple, afin que nous suivions ses vestiges. Saint Paul nous crie tout de meme : Soyez les imitateurs de Dieu comme 
des enfans qui luy estes tres chers. Que repondrons-nous a cela, mes freres, et quelle excuse pourrons-nous avoir ? Si 
quelqu'un vous disoit que nous devons imiter la vertu de la puissance de Dieu, pour lors votre excuse seroit juste, puree 
que Dieu ne donne point a tous le pouvoir defaire des miracles : mais de mener une vie juste et chaste, et de garder la 
charite avec tous ; la chose est entre vos mains avec le secours de Dieu. Jesus-Christ ne vous dit pas : Apprenez de moy 
a ressusciter les morts, a marcher a pied sec sur la mer, il ne vous dit point cela. Mais bien d'apprendre de luy a etre 
doux et humbles de coeur. II vous dit encore : Aimez vos ennemis ; faites du bien a ceux qui vous haissent, de meme que 
votre Pere celeste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les medians. // vous dit encore : Soyez parfaits comme 
votre Pere celeste est parfait. Et quoy qu'ily ait plusieurs autres choses dans lesquelles nous devons imiter Dieu et les 
Martyrs, ce sont la neanmoins les deux choses principalis : etre humbles et doux de coeur, et aimer nos ennemis de 
toutes nos forces. C'est ainsi que parle ce saint Docteur de charite ; et si nous devons aimer de toutes nos forces nos 
ennemis, comment devons-nous aimer nos freres et nos amis. 

68. Dieu ne commande point des choses impossibles. C'est une verite de foy, que le saint concile de Trente 
nous enseigne. Mais en commandant, il nous avertit de faire ce que nous pouvons, et de demander ce que nous ne 
pouvons point, et il nous assistera pour le pouvoir faire. O quel secours ne nous donnera-t-il pas pour accomplir son 
cher commandement de la charite ? Disons done avec Moise : Ce commandement n'est pas loin de vous ; mais il est 
dans votre coeur et dans vous-memes. L'excellence, la justice, la necessite et la possibility de la charite, les desks et les 
discours du Maistre de la charite nous etant connus, et ses secours ne pouvant point manquer, nous sommes 
mexcusables si nous ne la pratiquons. He, qu'y a-t-il de plus aimable que le precepte d'aimer ? 

69. Pour conclusion de tout cecy, considerons e6sus-Christ mourant sur la Croix, et consommant le sacrifice de 
la charite ; il ne donne point seulement sa vie pour ses amis, mais il souffre une mort violente pour l'amour de tous les 
hommes bons et medians. Dans cet etat il prie pour ses bourreaux, et il tache d'excuser leur crime par des raisons que 
1'industrie de charite trouvoit dans elle-meme. Qu'avons nous done a dire apres cela ? Si pour un petit deplaisir receu du 
prochain, pour un ressentiment, pour un chagrin qui procede de quelque action, ou parole mal digeree ; si pour une 
aversion qui n'a pour fondement qu'une mauvaise humeur, nous balancions sur l'exercice de la charite cordiale et sincere 
envers le prochain ; si nous ecoutions les sentimens de nos pensees et de nos coeurs dereglez, et si nous suivions leurs 
mouvemens, nous ne meritenons point le nom de Chretien, et encore moins celuy de Religieux. 



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Chapitre Deuxieme 

sur la maniere de vaquer a l'unique necessaire, 
a l'exemple de la Tres Sainte Vierge 



Ces paroles de Jesus-Christ : il n'y a qu'une chose uniquement necessaire, Marie a choisi la meilleure part, qui 
ne luy sera point otee, se disent a l'Evangile de la messe de l'Assomption de la Sainte Vierge, et plusieurs croyent qu'on 
a applique cet Evangile a ce jour, a cause de la convenance qui se trouve entre Marine et l'Eglise, laquelle voyant la 
sainte et triomphante Marie etre enlevee au Ciel, et qu'elle l'abandonne, fait la meme plainte que Marthe fit a Jesus- 
Christ lors qu'elle vit sa sceur Marie assise a ses pieds, attentive a sa parole, et mettant en oubly tout ce qui regardoit le 
materiel. Mais je croy qu'on peut joindre a cette convenance une autre raison qui est d'une verite indubitable ; c'est que 
Marie, Mere de Dieu, a pratique dans un degre de perfection absolue ce qui est dit icy du choix de la meilleure part, et 
de l'application a l'unique necessaire. Jamais personne n'a mieux pratique qu'elle les exercices de la vie contemplative, 
et jamais personne n'a mieux accorde la vie contemplative avec la vie active. S. Francois de Sales dit agreablement qu'il 
luy semble qu'il auroit pu mettre d'accord ces deux soeurs Marthe et Marie, en disant que l'une prit un peu la place de 
l'autre, et qu'elles se relevassent ainsi tour a tour. Mais la Sainte Vierge a si bien accorde l'une avec l'autre, que jamais 
Taction ne l'a detournee de la contemplation, ny la contemplation ne l'a retiree de Taction, a laquelle les devoirs de son 
etat et de la charite pratiquable selon son etat, Tavoient engagee. Considerons-la done dans Tun et dans l'autre exercice, 
afin d'apprendre sur son exemple a vaquer a l'unique necessaire, soit en priant, soit en agissant, selon les regies de notre 
etat et de notre profession. 

1. L'esprit refuit de produire des raisons qui prouvent la sublimite de la contemplation de la tres Sainte Vierge, 
et son application a Dieu, dont la connoissance et Tamour pratique font l'unique necessaire. II suffit de penser qu'il s'agit 
de Marie choisie de Dieu meme pour etre sa Mere. Dieu se vouloit donner tout a elle d'une maniere inconcevable et 
ineffable, he, comment auroit-elle pu n'etre point aussi toute a luy ? 

2. C'etoit une creature qui n'avoit rien d'humain et de terrestre que le corps ; le peche n'avoit jamais eu d'entree 
chez elle, ny par origine ny par action ; son ame avoit communique a son corps la purete avec laquelle elle etoit sortie 
des mains de Dieu. C'etoit done comme une flamme qui s'elevoit toujours vers le Ciel, et qui ne tenoit a ce bas monde 
que comme le feu tient au bois, et jusqu'a ce que la matiere qui le retient soit consumee. 

3. Elle etoit un vaisseau d'election, non seulement comme saint Paul pour porter le Nom de Jesus-Christ devant 
les roys et les nations du monde ; mais pour porter Dieu meme dans son sein. Son ame etoit remphe de grace, et son 
corps remply de Dieu. Une ame en cet etat que Dieu occupoit entierement, remplie de la connoissance de Tamour et du 
gout de la suavite de Dieu, pouvoit-elle etre retiree un moment de son attention a Dieu et de son application a l'unique 
n6cessaire. 

4. Elle est pleine du Seigneur, elle ne se rejouit qu'au Seigneur, ainsi qu'elle le dit dans son cantique ; elle 
pouvoit done dire avec bien plus de raison que saint Paul : Je vis, mais ce n' est pas moy, c'est Dieu qui vit en moy. Et si 
les paroles de Jesus-Christ tenoient Magdelaine si occupee de Dieu, qu'elle oublioit les devoirs les plus pressans de la 
famille, que pensons-nous que le Verbe divin Jesus-Christ, Dieu et homme, qui occupoit et remplissoit la celeste Marie, 
operoit dans elle ! 

5. Je dis que e'estoit un miracle continuel que la Sainte Vierge ainsi occupee et remplie de Dieu, put vaquer a 
Taction. N'avons-nous pas veu dans sainte Therese, et dans tant d'autres saintes ames, que les vetles que Dieu leur 
donnoit dans leur contemplation, les mettoient dans le ravissement, qui les privoit meme de Tusage de leurs sens. He, y 
a-t-il jamais eu sainte qui ait approche de Dieu et qui ait receu des impressions de grace comme notre celeste Marie ? 
Dieu dit a Moise, qu'un homme ne le peut voir, et demeurer en vie ; cela s'est neanmoins accomply en quelque maniere 
dans Marie, et elle n'en est pas morte. C'est done un miracle. 

6. Son etat de contemplation est comme un soleil qui nous ebloui ; rejouissons-nous avec elle de ses 
perfections et de ses graces. Mais en voyant ce que la grace de Dieu a opere dans elle, honorons comme nous devons la 
vocation de Dieu, qui nous a appeles a la part de Mane, et demandons-luy son secours pour apprendre a y bien vaquer 
selon son exemple, et accorder nos actions avec Tattention a Dieu, si ce n'est comme elle, du moins d'une maniere 
proportionnee a notre portee. 

7. Si nous en voulons croire S. Denis TAreopagite qui assista a sa mort, il nous dira que si la foy ne luy eut 
enseigne qu'il n'y a qu'un Dieu, il auroit pris cette creature pour une Divinite. He, que pouvoit-il voir pour lors dans 
cette fille et mere mourante, sinon une contenance modeste et des regards si saints, qu'il sembloit que des rayons de la 
Divinite sortoient de ses yeux ? Qu'est-ce done que ce pouvoit etre de voir cette sainte et celeste creature faire ses 
actions pendant sa vie ? 

8. Suivons-la dans quelques-unes de ses actions pour la considerer, et commencons par ce quelle fit quand 
TAnge luy vint annoncer de la part de Dieu qu'il la choisissoit pour etre sa Mere. Pesez mot a mot ce que nous disons 
tous les jours dans les lecons de ses Matines, et vous y verrez une modestie, et une pudeur virginale qui se trouble a la 
vetle d'un homme, mais qui des qu'elle connoit que c'est un ange, revient a soy avec une presence d'esprit et une 
prudence admirable, qui interroge, qui entend la reponse qu'on luy donne, qui delibere, et qui s'abandonne a la volonte 

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et aux operations de Dieu en qualite de sa tres-humble servante. Quand vous aurez bien considere sa conduite et ses 
paroles dans cette action, vous pourrez vous servir des paroles d'acclamation que le peuple donnoit a Herode, et dire : 
Ce sont les paroles d'un Dieu, et non point d'un homme, sans crainte d'encounr le meme chatiment que l'orgueil de cet 
homme luy attira. Ce n'est point une fille qui parle, c'est Dieu dont elle est remplie, qui parle par sa bouche. 

9. Si nous la considerons dans l'exercice de sa visitation au temple, ou elle retrouva son Fils ; aux noces de 
Cana, et partout ailleurs, la modestie, Thumilite, la sagesse, la confiance, la simplicite qu'elle exerce dans ses actions et 
dans ses paroles nous raviront le cceur, et nous feront dire ces memes paroles : ce sont des paroles divines et non point 
humaines. 

10. En quelque lieu et en quelque etat que nous la considerions, nous trouverons tant de sagesse, tant de 
prudence, tant d'exactitude, et tant d'eloignement de toute superfluite dans toutes ses actions, qu'il semble qu'elle soit 
toute appliquee a Taction, tant elle la fait d'une maniere accomplie et parfaite. Peut-on done mieux accomplir ce que 
Marie pratiquoit aux pieds de notre Seigneur, et ce que Marthe devoit faire ? Et peut-on plus parfaitement accorder la 
vie active avec la contemplative ? 

1 1 . Mais de quels moyens s'est servie cette sainte et admirable creature pour demeurer attachee a Dieu par la 
contemplation sans en etre retiree par Taction ? Elle s'est servie de la separation du monde dans une vie retiree et 
cachee, de la solitude et du silence ; en un mot des memes moyens que Tinstitut de TOrdre vous fournit. Vous la devez 
done regarder non seulement comme votre dame, votre protectrice, et votre reine, mais aussi comme votre fondatrice. 

12. Elle s'est separee du monde pour vivre dans la pratique de la solitude et du silence. La fete de la 
Presentation que nous celebrons, fait une preuve qu'elle fut consacree a Dieu des sa tendre enfance, et ce fut plus par 
son choix, que par la devotion de ses parens, qu'elle fut mise au nombre de ces vierges qui vivoient pour lors renfermees 
et comme cachees dans le temple, separees du monde, et toutes occupees au culte divin. 

13. Voila Toriginal de votre profession chartreuse, que la celeste Mane vous donne dans elle-meme, et sur 
lequel vous devez former votre copie. L'ange, dit saint Ambroise, Ta trouvee dans sa maison, in penetralibus sine 
comite, cela veut dire non seulement seule, mais dans le lieu le plus retire de sa maison, de peur que quelqu'un 
n'interrompit son application et son attention a Dieu. Les entretiens superflus sont autant importuns aux ames elevees, 
comme Tetoit celle de Marie, que le bruit Test a ceux qui ont bien envie de dormir. 

14. Elle ne s'estimoit jamais moins seule, que quand elle etoit seule, et l'ange Gabriel, dit ce S. Docteur, la 
trouva oil il avoit coutume de Valler voir. Si Marie a eu peur en entendant la salutation de l'ange, c'est parce qu'il avoit 
la figure d'un homme ; mais des qu'elle s'entendit appeler par son nom, elle le reconnut ; elle s'est effaree de voir un 
homme, mais non point de voir un ange. 

15. Le silence est le compagnon inseparable de la solitude, mais la Sainte Vierge le gardoit en toutes occasions, 
ne parlant que peu lors qu'il faloit parler, en sorte que dans tout TEvangile il n'est fait mention que de sept fois qu'elle a 
parle ; deux fois avec l'ange qui luy annoncoit le mystere de TIncarnation : la premiere fois en Tinterrogeant, la seconde 
en donnant son consentement. Deux fois avec sainte Elisabeth : la premiere en la saluant, la seconde en prononcant son 
Magnificat. Sa salutation fut courte, mais son Cantique fut long, car son cceur se dilatoit quand il etoit question de loiler 
Dieu, et sa bouche parloit de Tabondance du cceur. Elle a parle deux fois a son Fils : une fois dans le temple, en luy 
faisant un reproche amoureux de Taffliction qu'il luy avoit causee, et une autre fois aux noces de Cana, ou elle dit 
seulement : ils n' ont point de vin. Et enfin la septieme fois elle parla aux serviteurs de la noce, en disant : Faites tout ce 
qu'il vous dira. Nous ne trouverons que le necessaire dans toutes ces paroles, et nous verrons la forme du silence 
vertueux, qui ne parle que quand il faut parler, autant qu'il est necessaire de parler, et en la maniere qu'on doit parler. 

16. Notre celeste Marie Mere de Dieu a joint a la solitude et au silence la vie cachee d'une maniere admirable. 
Ou trouve-t-on qu'elle ait jamais rien fait qui tendit a la distinguer des autres, a luy attirer de Testime, ou a faire voir 
qu'il y avoit quelque chose de grand cache dans elle ? Au contraire elle a tache de cacher tous les miracles qui etoient 
renfermez dans sa personne ; elle les connoissoit, mais elle ne les a confessez que lors que sainte Elisabeth luy fit 
connoitre que Dieu les luy avoit revelez. S. Joseph etoit dans le soupcon au sujet de sa grossesse, elle a tout abandonne 
a la Providence, sans declarer le mystere ; il a fallu qu'un ange fit connoitre a S. Joseph sa saintete en luy declarant son 
innocence. Elle etoit une Mere vierge, et elle Ta cache sous le voile de la Purification, qu'elle a observee comme une 
femme du commun. C'est ainsi que cette sainte ame occupee de Dieu, attentive a cet unique necessaire, cachoit tout 
sous le voile de Thumilite, afin que ne se detournant jamais de Dieu le moins du monde pour paroitre aux yeux des 
creatures, son humilite attirat aussi sans discontinuation les regards de Dieu sur elle, et c'est de quoy elle se glorifie 
saintement dans son Cantique, en disant qu'il a regarde Thumilite de sa servante. Que Tame est heureuse qui s'etudie a se 
cacher comme Marie, et qui provoque ainsi Dieu a la regarder des yeux de sa complaisance. 

17. Mais qu'a-t-elle fait du vivant de son Fils lors qu'il eclatoit en miracles, qu'il mamfestoit ainsi sa gloire, et 
que chacun la connoissoit pour sa Mere ? On ne dit rien de Marie dans TEvangile ; elle demeure toujours cachee dans le 
secret de la face du Seigneur, et on ne parle non plus d'elle, que si elle n'etoit rien. II luy suffit d'etre connue de Dieu, et 
d'etre unie a luy. L'ame qui connoit et aime vrayment Dieu, a repugnance d'etre connue des creatures ; pourvu que Dieu 
son unique bien-aime et son unique necessaire soit connu et aime, il luy suffit. 

18. Apres la mort et la glorieuse resurrection de son Fils, dit-elle quelque chose des entretiens qu'elle a eus avec 
ce divin Fils ressuscite ? Fait-on mention d'elle entre les temoins de sa resurrection ? On parle des autres femmes, mais 
on ne dit mot d'elle. On ecrit les actes des Apotres, parle -t-on des actions de Marie ? On en parle une seule fois, et on dit 
seulement que les Apotres et les fideles etoient perseverans dans Toraison avec Marie Mere de Jesus ; on dit son nom et 

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sa qualite, et voila tout. 6 sainte vie cachee, que vous trouvez d'attraits a demeurer cachee dans Dieu avec Jesus-Christ, 
puisque vous choisissez plutot d'etre estimee comme morte, que de vous montrer au yeux des hommes ! Vous avez bien 
raison, puisque de se detourner de Dieu pour regarder l'humain, c'est quitter tout pour prendre le rien. 

19. Et pourquoy le S. Esprit qui etoit l'epoux de Marie, a-t-il permis que son epouse ait ete ainsi traitee ? he, 
pourquoy cette sainte epouse s'est-elle ainsi gouvernee ? L'humain n'est point comparable au divin. L'epouse honoroit 
ainsi son divin epoux ; elle entroit dans ses intentions, et le divin epoux nous vouloit faire connoitre par la que l'union 
de Mane avec luy, et l'exercice de sa contemplation etoient si relevez et si contmuels, qu'elle eut voulu pouvoir se 
rendre invisible aux yeux des creatures mortelles, comme Dieu Test, et il vouloit aussi enseigner a toutes les filles de 
l'ecole de Marie, que c'est par la vie cachee et humble qu'on s'eleve a Dieu, et qu'on s'unit a luy ; qu'on s'apphque bien a 
vaquer a l'unique necessaire, et qu'on apprend a faire ses actions avec sagesse et sans dissipation, a l'exemple de Marie 
Mere de Dieu. 

20. O si nous pouvions voir de quelle maniere cette sainte Mere de Dieu se comportoit dans toutes ses actions, 
faisant tout le petit menage de sa famille de ses propres mains ; etant elle -meme la maitresse et la servante ; etant dans 
le voyage et dans l'etable de Bethleem ou elle fit ses couches, et dans celuy de la fuite en Egypte ! Si nous la voyions 
dans l'occupation de la nourriture et l'education du Fils de Dieu, des soins qu'elle prenoit de saint Joseph, et de tout le 
necessaire de la famille, nous serions ravis en admiration, de voir cette sainte Mere vierge, femme et fille tout ensemble, 
agir comme si la Divinite s'etoit deguisee sous la forme d'une fille ; et aussi son devot S. Ambroise dit, que sa maniere 
d'agir etoit si sainte et si sage, qu'elle ne faisoit point une demarche de son corps qu'elle ne montat d'un degre dans la 
vertu, ita ut non gradum figeret quin potius gradum virtutis attolleret. 

21. II n'y a que vos grands devots, 6 sainte Mere de Dieu, et des ames epurees qui meritent d'avoir part a ces 
merveilles ; et la seule impression qui s'en fait dans leurs esprits les ravit en admiration. Faut-il done s'etonner si les 
anges et les filles de la celeste Jerusalem, c'est a dire toutes les ames bienheureuses, expnment trois fois leur 
etonnement et leur admiration dans le Cantique des Cantiques par des paroles mysterieuses qui conviennent a la 
naissance, a la vie, et a la mort de la tres-sainte Mere de Dieu. C'est elle que l'Epoux appelle la bien-aimee, l'immaculee, 
la toute belle, la colombe, la parfaite, l'epouse, la soeur, et l'unique aimee pardessus toutes les autres ; car ce sont les 
termes dont son Epoux et son Fils se servent dans ce Cantique. 

22. Dans les premieres paroles de leur admiration, ils disent : Qui est celle-ld qui se leve comme Vaurore 
naissante, belle comme la lune, choisie comme le soleil, et terrible comme une armee rangee en bataille ? Ils 
considerent icy cette incomparable Vierge dans sa naissance, ou elle a paru comme une aurore, puis qu'elle a ete comme 
la fin de la nuit qui avoit precedee, et le commencement du jour eternel qu'elle devoit concevoir et enfanter au monde. 
Belle comme la lune, puis qu'elle sert a temperer et a rendre agreable aux pauvres enfants d'Adam l'obscurite de la nuit 
de cette vie, a consoler et rejouir ceux qui marchent dans les tenebres. Comparee a bon droit a la lune, qui recevant sa 
lumiere du soleil, nous le represente dans la nuit, nous communique ses influences, et nous rend ses rayons 
supportables. Elle est choisie comme le soleil ; car de meme que cet astre excelle par dessus tous les autres, tout de 
meme Marie a ete choisie de Dieu pour etre unique en son espece et elevee par dessus toutes les creatures. Enfin elle 
paroit aux Filles de Jerusalem comme une armee rangee en bataille. Sa naissance immaculee, ses graces, ses vertus et 
ses merites sont icy representez comme des escadrons bien rangez, qui donnent de la terreur au Prince des tenebres, 
dont la domination devoit etre detruite par l'entremise de Mane. Joignons nos congratulations aux admirations de ces 
saintes ames ; regardons cette Aurore qui nous conduit au jour et au Soleil ; suivons-la en la prenant pour la guide de 
notre vie, et mettons nous sous la protection de celle qui est ainsi terrible a nos ennemis. 

23. Dans la seconde parole d'admiration, ces filles de Jerusalem disent : Qui est celle-ld qui monte dans le 
desert comme une petite verge de fumee qui sort de la myrrhe, de Vencens, et de toutes les poudres de senteur dont se 
servent les parfumeurs. Elles voient icy Marie dans sa vie, pendant laquelle sa sainte ame a fait monter vers le ciel sans 
aucune interruption, la douce exhalaison de ses vertus, qui composoit cette verge de fumee, de sa purete dont la myrrhe 
est le symbole, de sa devotion representee par 1'encens, et de toutes ses autres vertus qui repandoient partout la suavite 
du bon exemple, comme les poudres de senteur repandent leur odeur quand elles sont allumees par le feu. La charite 
incomparable du coeur de Marie etoit le feu qui enflamoit les parfums de ses vertus et de ses oraisons, dont la fumee 
montoit jusqu'au trone de Dieu, et on peut dire, d'une maniere qui luy a ravy le coeur, puis qu'il est venu habiter dans son 
sein. Mais remarquons que c'est du desert et par le desert que ces filles de Jerusalem voient sortir toutes ces merveilles ; 
ce qui nous marque l'abstraction des creatures, la solitude, le silence, et la vie cachee de la celeste Marie, qui s'etoit 
ainsi fait du monde un desert pour vaquer a Dieu et a l'unique necessaire. Joignons aux admirations de ces saintes ames 
nos desirs et nos resolutions, de suivre Marie, et de nous servir des moyens que notre etat nous fournit pour l'imiter, en 
nous composant comme elle un desert interieur qu'elle portoit partout, et l'imiter dans son application a l'unique 
necessaire. Que nous considerions le monde comme une prison, et la solitude comme un Paradis. 

24. Enfin dans leurs troisiemes paroles d'admiration elles disent : Qui est celle-ld qui monte par le desert 
comblee de delices, et appuyee sur son Bien-Aime ; elles voient icy Marie Mere de Dieu dans sa mort, et dans sa 
glorieuse Assomption. Ce bien-aime est son propre Fils, qui luy sert icy comme de chevalier d'honneur dans son 
triomphe. Ce Fils est Dieu tout puissant. Nous ne pouvons point douter qu'un si bon et si puissant Fils n'ait honore le 
triomphe de sa Mere d'une maniere convenable a sa puissance, a son amour envers sa Mere, et au merite de sa Mere, et 
par consequent il faut dire avec S. Bernard : Qui pourra expliquer la generation du Verbe divin, et V Assomption de 
Marie ? personne ; car Vune et V autre sont ineffables. Remarquez que c'est du desert qu'on voit monter en triomphe la 

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celeste Marie ; ce qui nous fait connoitre que le monde a ete toujours un desert pour elle jusqu'a la mort, et que ny le 
triomphe, ny les trophees de la Resurrection de son Fils qu'elle voyoit eclater de son vivant par tant de miracles et par 
tant de conversions, n'ont ete capables de la retirer de son desert, de sa vie cachee, humble, modeste, separee du 
commerce du monde, ou elle ne vivoit que de la contemplation des choses divines, ou pour mieux dire, elle ne vivoit 
point, mais c'etoit Dieu qui vivoit dans elle. 

25. Joignons a l'admiration de ces saintes ames nos soupirs et nos desirs de voir un jour cette admirable Reine 
du ciel dans sa gloire. Mais appliquons nous a considerer ce qui nous regarde et ce que nous avons a faire pour y 
parvenir. Disons luy ces paroles du Cantique : Tirez-nous apres vous ; mais proposons-nous en meme temps de mettre 
en pratique les paroles qui suivent : Nous courrerons apres I'odeur de vos parfums, c'est a dire, nous imiterons les 
exemples de votre vie. 

26. Les regies de notre profession, et l'esprit de notre Institut nous y engagent, et ils nous en fournissent 
les moyens les plus convenables. N'y sommes-nous point appelez, receus et instruits pour vaquer aux exercices de 
Marie ? Mais bien plus nous pouvons dire que la vie de la tres sainte Mere de Dieu est le modele sur lequel S. Bruno a 
forme les regies de la notre. 

27. Notre S. Instituteur n'a fuy le monde ne s'est retire dans sa solitude, que pour mieux ecouter parler Dieu 
dans son interieur, en s'eloignant du bruit des creatures a l'exemple de la celeste Mane. C'est la ou il a appris a eloigner 
de son esprit le tumulte des impressions que les objets de vanite y forment ; c'est la ou il s'est dispose a recevoir les 
connoissances et les impressions de la grace par le detachement des choses de la terre ; c'est la ou il s'est mis en etat 
d'etre plus attentif a Dieu, et de contempler les choses celestes, en s'etudiant a jeter dans l'oubli les terrestres ; et c'est 
sur l'exemple de la Maistresse et du Disciple que nous devons former notre conduite dans l'etat de separation du monde 
et de solitude que nous avons embrasse. 

28. C'est sur l'exemple de Marie que nous devons former nos intentions et notre etude au detachement des 
creatures, pour nous attacher uniquement a Dieu, et a l'oubly des choses du monde, pour pouvoir n'appliquer nos soins 
et nos pensees qu'a l'unique necessaire. He, de quoy nous serviroit notre retraite, si nous y laissions occuper nos esprits 
des desirs et des pensees des choses du monde ? Ce seroit etre de corps sur le chemin de la terre promise, et etre de 
coeur en Egypte. L'ame ne peut jouir d'aucun repos ny d'aucun contentement, se trouvant entre deux choses si opposees 
l'une a l'autre. 

29. C'est sur le silence de Marie que S. Bruno a forme le sien, afin d'apprendre a ne parler que comme elle, 
c'est a dire, quand il est besoin, autant qu'il est besoin, et en la maniere qu'il faut parler, et afin de se disposer a son 
exemple a ecouter parler Jesus-Christ pour se remplir de ses celestes instructions. C'est aussi sur le silence de la 
Maistresse et du Disciple que nous devons former la fin et la pratique du notre, afin de nous disposer comme Marie a 
gouter combien Dieu est suave, et combien sa parole interieure est vive et efficace, penetrante et consolante. Ce seroit 
peu de chose de garder le silence par la necessite ou nous engage notre etat, il ne nous serviroit qu'a eviter des paroles 
oyseuses ; mais si nous avons en veile de nous servir du silence afin de nous rendre plus attentifs a la parole interieure 
de Dieu, de nous elever et de nous unir a luy, nous participerons par notre silence au tresor de Marie ou etoit son coeur. 

30. C'est enfin sur la vie humble et cachee de Marie que notre S. Instituteur a forme la sienne, et qu'il a renonce 
a tout ce qui peut attirer apres soy de l'eclat et l'applaudissement des hommes, pour ne vivre qu'a Dieu seul. C'est d'elle 
qu'il a appris la maniere de se cacher dans le secret de la face du Seigneur, pour ne quitter j amais le respect de sa 
presence, et pour etre preserve des impressions du mauvais air de la vanite. Ayions done toujours devant les yeux 
l'exemple de Marie, qui a voulu meme que les secretaires de son Fils la missent comme en oubly dans les Actes des 
Apostres, et ne souhaitons point de nous attirer l'estime ou l'attache d'aucune creature. Suivons les regies que son fidele 
Disciple nous a donnees, qui ne tendent qu'a nous faire bien chercher et trouver le secret de la face du Seigneur, et qu'a 
nous y tenir renfermez, afin de ne point eprouver les dangers et les pertes qui se rencontrent en sortant de ce divin secret 
pour respirer si peu que ce soit l'air de la vanite du monde. 

31. Puisqu'il n'y a au ciel et en la terre, dans la vie, dans la mort, dans l'eternite qu'un unique necessaire ; 
puisque c'est Marie la tres sainte Mere de Dieu qui est la souveraine Maistresse dans l'art d'y bien vaquer ; attachez- 
vous a ses exemples et aux instructions de votre Instituteur, qui a appris d'elle tout ce qu'il vous enseigne ; et moyennant 
cela vous chercherez bien, et vous trouverez heureusement cet unique uniquement necessaire. 

32. Adressez vous done a la tres sainte Vierge non seulement comme a votre protectrice, mais comme a votre 
institutrice, et dites luy du fond du coeur ces paroles du Cantique : O tres sainte Mere de Dieu, tirez nous apres vous. Ce 
sont vos enfants, vos disciples, vos sujetes, vos Religieuses qui crient a vous et qui vous prient de les tirer apres vous 
par les liens de votre incomparable charite, et par le pouvoir que vous avez aupres de Dieu, qui s'estan fait votre Fils, 
vous a rendu obeissance comme un bon fils a sa chere mere. C'est I'odeur de vos parfums qui luy a ravy le Coeur et qui 
l'a attire dans votre sein, afin de se faire a votre image et ressemblance, et cette meme odeur nous ravit en admiration, 
etc. 

33. Dites luy que c'est elle qui vous a fait Chartreuse, puisque c'est sous ses auspices, et sur ses exemples que 
votre Institut a este forme, soutenu, conserve, et qu'il luy plaise de vous tirer apres elle d'une maniere a ne souffrir 
jamais que vous vous en ecartiez. Que I'odeur du bon exemple que vous devez donner a l'Eglise de son Fils ne degenere 
jamais de celuy de ses vertus, et ne soit jamais deshonore par quel que mauvais exemple de dereglement ou de 
relachement dans votre conduite. 

34. Priez-la de se souvenir de ce que dit son grand devot saint Bernard en la considerant couverte du soleil et 

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ay ant la lune sous ses pieds, qu'elle ouvre son sein de misericorde a tous, et que chacun recoit des bienfaits de sa 
plenitude de grace : le captif la delivrance, le malade la guerison, l'afflige la consolation, le pecheur le pardon, le juste 
l'accroissement de grace, et l'Ange de la joye ; bref la Sainte Trinite une grande gloire, et la Personne du Fils la 
substance de notre chair humaine ; en sorte que tout se ressent de la chaleur de sa charite. 

35. Demandez et esperez d'elle les secours de sa singuliere protection, pour honorer comme vous le devez, la 
part de Marie que vous avez choisie, pour bien vaquer, a son exemple, a l'unique necessaire, et pour jouir avec Marie de 
ce que possede Marie, qui ne luy sera jamais ote. 



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Chapitre Troisieme 

sur les avantages tie la solitude, a laquelle notre etat nous engage, 
et les moyens qu'elle fournit pour ben vaquer a l'unique necessaire 



Rien ne se peut dire de plus touchant sur ce sujet, que ce que nous en dit notre Reverend P. Guigues. C'est 
pourquoy je commenceray par vous rapporter icy mot a mot ses paroles. C'est done ainsi qu'il parle. 

1. « Vous voyez dans le vieux Testament, et surtout dans le Nouveau, que Dieu a revel e presque tous ses 
secrets les plus grands et les plus particuliers a ses serviteurs lorsqu'il etoient seuls, et non pas au milieu de la foule et du 
bruit ; et que s'ils ont voulu mediter plus subtilement, ou prier avec plus de liberie ou s'e lever en esprit au dessus des 
choses de la terre, ils ont presque tous evite les empechemens que donne la compagnie des hommes, et recherche les 
commodite de la solitude. 

2. « Et afin de prouver par quelques exemples ce que nous venons d'avancer ; c'est par ces motifs qu'Isaac alia 
seul mediter dans un champ ; car il faut croire que ce fat moins par hasard que par coutume qu'il le fit ; et que Jacob 
ayant envoye tous les siens devant luy, et etant demeure seul, a eu le bonheur de voir Dieu face a face, lequel apres 
avoir change son nom en un plus glorieux, luy donna encore sa divine benediction. De sorte qu'il gagna plus en un 
moment etant seul, qu'il n'avoit fait pendant toute sa vie etant accompagne. 

3. « L'Ecriture nous apprend aussi, quel amour eurent pour la solitude Moise, Elie et Elisee ; combien ils 
entrerent avant par ce moyen dans la communication des secrets de Dieu, et en combien de manieres ils furent exposez 
a de continuels dangers parmy les hommes, et comment au contraire ils furent visitez de Dieu dans la retraite. 

4. « Jeremie penetre des menaces de Dieu, etoit seul lorsqu'il le prioit de donner a sa teste une source d'eau, et 
de faire couler de ses yeux une fontaine de larmes pour pleurer les morts de son peuple, et qu'il luy demandoit un lieu 
propre a se devoiler tout entier a une si sainte occupation : Qui me donnera dans la solitude, disoit-il, une retraite de 
voyageurs ? comme s'il n'avoit pas eu la liberty de pleurer au milieu d'une ville ; mais il vouloit montrer par la combien 
la societe des hommes met d'empechement au don des larmes. Le meme Jeremie apres avoir dit qu'il est avantageux 
d'attendre le salut de Dieu dans le silence, a quoy la solitude peut extremement contribuer, dit aussitot : Qu'heureux est 
l'homme qui des sa tendre jeunesse a porte le joug du Seigneur ! et c'est en cela qu'il nous console extremement nous 
qui avons presque tous embrasse cet etat des notre jeunesse. Mais il ajoute encore par dessus toutes ces choses, et dit 
qu'il demeurera solitaire et se taira, parce qu'il s'elevera au dessus de luy-meme ; exprimant par le repos, la solitude, le 
silence, et l'amour des choses celestes, presque tous les avantages de notre profession. 

5 « II decouvre ensuite les effets que l'amour de ces choses produit dans celuy qui s'y applique, lorsqu'il dit : II 
tendra la joue a celuy qui le frappera, il sera rassasie d'opprobres ; nous proposant dans le premier de ces effets, 
l'exemple d'une extreme patience ; et dans l'autre un modele d'une parfaite humilite. 

6. « Saint Jean-Baptiste meme, a qui le Sauveur a donne cet eloge, qu'entre les enfants des femmes il n'y en a 
point eu de plus grand que luy, nous montre evidemment ce que la solitude donne d'assistance, et apporte d'utilite. II ne 
se repose pas sur les divins oracles qui avoient predit qu'il seroit remply du Saint Esprit des le ventre de sa mere, et qu'il 
devoit marcher devant notre Seigneur Jesus-Christ dans l'esprit et dans la vertu d'Elie : il ne se repose ny sur les 
miracles de sa naissance, ny sur la saintete de ses parents ; il fuit la compagnie des hommes, parce qu'il la croit 
dangereuse ; il recherche les lieux mhabitez et solitaires, les estimant plus surs ; et il n'est point expose a la mort, ny aux 
perils tandis qu'il demeure seul dans un desert. Or combien il y acquit de mente et de vertu ; c'est ce que le bapteme de 
Jesus-Christ, et une genereuse mort enduree pour la justice ont fait assez connoitre ; car ce fut dans la solitude qu'il 
devint digne de laver seul dans les eaux du bapteme Celuy qui a lave tous les hommes dans son Sang, et qu'il apprit a ne 
fuir ny les prisons, ny la mort meme pour la defense de la verite. 

7. « Enfin Jesus-Christ notre Dieu et notre Seigneur, dont la vertu ne pouvoit trouver de secours dans la 
solitude, ny d'obstacles parmy le monde, a voulu pour nous instruire par son exemple, etre eprouve dans le desert par 
des tentations, et par des jeunes avant que de commencer a precher. L'Ecriture rapporte que s'etant separe de ses 
Disciples, il alia seul prier sur une montagne ; et que le moment de sa Passion approchant, il quitta ses Apotres pour 
aller seul faire oraison ; nous insinuant principalement par cet exemple, combien la solitude est favorable a la priere, 
puis qu'il ne veut pas prier en compagnie meme de ses Apotres. Et pour ne passer pas icy sous silence un mystere qui 
merite toute notre attention ; ce meme Seigneur et Sauveur des hommes a daigne nous donner en sa Personne un vivant 
et illustre modele de notre Institut, en s'occupant a l'oraison et a des exercices mteneurs pendant qu'il etoit seul dans le 
desert, en y mortifiant son corps par le jeune, les veilles, et les autres fruits de la penitence ; et y demeurant victorieux 
des tentations, et du demon avec des amies spirituelles. 

8. « Apres cela considerez vous-memes combien ces saints et venerables PP. Paul, Antoine, Hilarion, Benoit, et 
tant d'autres dont il seroit impossible de rapporter le nombre, ont fait progrez dans les choses de l'esprit au milieu de la 
solitude, et vous trouverez que rien ne peut faire plus facilement gouter la douceur des psalmodies, l'amour de la lecture, 
la ferveur de la priere, la subtilite des meditations, les ravissemens des contemplations, l'epanchement et l'abondance 
des larmes, que la pratique de la solitude. » 

Ce sont jusqu'icy les paroles du R. P. Guigues. Mais nous allons considerer encore la meme chose, en la 

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prenant de plus haut et dans son principe. 

9. On a pris l'usage de mettre en bas de limage de SI Bruno ces paroles de David : Ecce elongavi fugiens et 
mansi in solitudine ; voila que je me suis eloigne en fuyant, et j'ay demeure dans la solitude. Ces paroles sont devenues 
comme sa devise, et elle luy est convenablement appliquee ; car les attraits de la grace, et les exemples que le R. P. 
Guigues rapporte dans 1 'usage de la vie solitaire l'avoient presse de les mettre en pratique, en s'eloignant des mauvais 
exemples et des affections du monde, en fuyant les conversations inutiles des hommes, et en etablissant sa demeure 
dans la solitude du desert de Chartreuse. C'est la ou il a fait une predication d'exemple pour attirer de bonnes ames a se 
retirer des dangers de perdre leur salut, par le moyen du secret de la solitude. Nous devons done le considerer comme un 
guide que Dieu nous a donne pour nous conduire dans la solitude. 

10. II y est devenu un sage et experiments directeur de la vie solitaire ; et si nous voulons bien apprendre de luy 
la maniere de pratiquer la vie solitaire, de soutenir celle que nous avons embrassee dans son Ordre, et d'en bien profiter, 
comme il a profite de la sienne, jusqu'a devemr saint, pensons que ce grand Saint nous prononce de sa bouche les 
paroles de David qui se lisent au bas de son image, et qu'il s'en sert pour nous montrer en peu de mots tout le secret de 
notre conduite dans la vie solitaire, qui consiste : 

1. a s'eloigner encore plus de coeur, que de corps de toutes les vanitez du monde ; 

2. a fuir l'oisivete et les entretiens superflus des hommes ; 

3. et a demeurer en solitude selon les regies de notre profession, afin de nous en former une sainte habitude par 
l'usage. 

1 1 . Dieu est le premier solitaire ; car il est seul en toutes manieres. II est seul par nature ; et 1'impossibilite qu'il 
y ait plusieurs Dieux est si evidente, qu'on ne peut rien alleguer au contraire sans blasphemer contre la foy, et sans faire 
violence a la raison. L'existence des trois adorables Personnes de la tres Sainte Trmite n'empeche pas cette solitude ; au 
contraire elle nous montre qu'elle est son occupation par la generation du Fils, et la procession du Saint Esprit, dont la 
premiere se fait par Taction de l'entendement ; et la seconde par celle de la volonte. Cette production est tres intime et 
tres solitaire, puisque les creatures n'y ont aucune part, et qu'il est impossible qu'elles y participent, y ayant une 
disproportion infmie entre le cree et l'mcree. Nous trouverons done dans l'Essence divine le modele de la solitude que le 
Prophete David a proposee et que S. Bruno a reduite en pratique habituelle par l'eloignement, par la fuite, et par la 
demeure dans la solitude. Car dans celle de Dieu ces trois choses s'y rencontrent. 

l'eloignement des creatures, qui consideree en elles-memes, sont absolument separees de sa nature. 

la fuite de l'oisivete, par la production d'un acte continue, qui ne finira jamais, qui ne sera jamais interrompu 
dans sa generation du Fils et dans la procession du S. Esprit, et qui sera pendant toute l'eternite l'occupation de la 
solitude divine. 

et la demeure dans cette solitude sans jamais en sortir. Car tout ce que Dieu fait au dehors, il le fait sans sortir 
hors de luy, et sans desister un moment de son application solitaire. 

12. II est seul dans la domination et dans la puissance, et rien ne peut interrompre cette solitude par resistance 
ou par violence. II est seul par operation ; puisque rien ne se fait au ciel et en la terre qu'il ne le fasse, operator omnia in 
omnibus. Et enfin il est seul dans ses secours, sans que pas une des creatures en puisse trouver dans elle-meme hors de 
luy. Sans moy, dit le Fils de Dieu, vous ne pouvez rien faire. Ouy, mon Dieu, il est vray, sans aucune exception, je le 
confesse ; et si au lieu de chercher tout aupres de vous, et d'attendre tout de vous j'ai recours a moy-meme, la foiblesse 
que j'y rencontreray servira de punition a ma superbe, en me faisant tomber plus bas qu'auparavant. et la convaincra 
d'extravagance. Vous estes le seul qui gouvernez tout, qui operez tout, et qui disposez de tout selon le conseil de votre 
volonte : et j'avoue que si ma conduite et ma volonte ne dependent absolument de la votre pour recevoir avec respect et 
fide lite les impressions de ses mouvements, et pour luy etre entierement soumis, je prendray insensiblement le chemin 
de l'aveuglement dans mes pensees et dans mes desirs, et je ne meriteray pas que vous me preserviez de tomber dans le 
precipice de mes passions, ou il me conduira. 

13. Vous estes le solitaire par excellence, et votre solitude m'est bien avantageuse, puisque c'est d'elle que je 
recois toutes choses, et que vous m'apprenez par L'exercice de votre adorable solitude, et par votre etat solitaire, a aimer 
celuy auquel vous m'avez fait la grace de m'appeler, et a vous imiter par une fedele application a bien entendre, et a 
bien vouloir. Mais pour cela, 6 mon Dieu, il faut done que mon entendement et ma volonte soient attentifs a vous et 
qu'ils vous soient soumis, comme un ecolier Test a son maitre. Faites m'en la grace, etc. 

14. je dis de plus qu'il est aise de connoitre que c'est une necessite a Dieu d'etre solitaire ; car s'il ne peut 
changer etant Dieu ; s'il agit dans un degre de perfection infinie ; s'il est le seul incree sans que les creatures puissent 
jamais participer a cette qualite, il ne peut jamais agir que comme solitaire. 

15 De la nous pouvons decouvrir un petit mystere de l'etat de l'homme, et connoitre d'ou vient qu'il a tant 
besoin de solitude pour pouvoir se bien servir de sa raison. Je dis que cette necessite est un des caracteres de la 
ressemblance de Dieu, un moyen qu'il a voulu etablir our engager l'homme a rentrer dans soy-meme, afin d'imiter la 
facon d'operer de Dieu, et de produire devant ses yeux des exercices de solitude qui ayent du rapport avec ceux qu'il fait 
luy-meme dans la sienne. O Seigneur mon Dieu, si je pouvois bien vous ressembler en cela, et me trouver seul comme 
vous et avec vous sans melange d'attache et d'affections a autre chose, que je serois heureux ! 

16. C'est done une necessite a Dieu d'etre solitaire, et d'agir en solitaire. Mais II est aise de nous convaincre, 
que la solitude nous est aussi fort necessaire pour trois choses qui renferment tout ; a savoir : 

1 . Pour apprendre a bien user de notre raison. 

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2. Pour bien travailler a notre salut qui est l'unique moyen de vaquer a l'unique necessaire. 

3. et enfin pour parvenir des cette vie a la sainte union de nos ames avec Dieu qui est l'unique necessaire. 
Si cela est ainsi et que nous voulions nous attacher a l'unique necessaire, et le desirer comme nous le devons : combien 
devons-nous aimer et honorer les saintes pratiques de la vie solitaire ? combien devons-nous nous servir volontiers de la 
necessite de la pratiquer, a laquelle nous nous sommes engagez par etat, puisque la necessite est heureuse qui nous 
pousse a quelque chose de meilleur, et que celle-cy nous fournit un puissant moyen pour paroitre agreablement devant 
les yeux de de notre Pere celeste avec la ressemblance de solitaire et pour mieux converser avec luy. Venons-en a 
present a la preuve. 

Pour les choses purement raisonnables 

17. La solitude est necessaire: La necessite de l'usage de la solitude en cecy le prouve incessamment par 
l'experience. De quoy est capable la raison d'un homme qui a demeure tout repandu au dehors par les fenestres de ses 
sens et qui a employe tout son temps en regards, en promenades, en divertissemens, et en entretiens ? Helas! de peu de 
choses. Et ce seroit se tromper que d'attendre de lui quelque connoissance solide, quelque meure deliberation, quelque 
conseil ou raisonnement prudent, qui put dormer du secours dans les affaires importantes, et le retirer luy-meme ou son 
prochain des peines et des miseres de la vie. Au contraire tout ce qu'on en pourroit esperer, ce seroit des productions 
imparfaites, ou ridicules, ou miserables, qui seroient non-seulement inutiles, mais souvent fort prejudiciables. 

18. Si on veut apprendre les sciences, il faut de la retraite et de la solitude : si on veut faire quelque production 
d'esprit, il faut de la solitude pour la former et pour la preparer : si on veut prendre des resolutions et faire des projets 
sur des affaires d'importance d'oii depende le repos et l'utilite des autres, il faut de la solitude ; bref il semble que la 
raison demeureroit brute, qu'elle ne pourroit se connoitre et se servir d'elle-meme sans l'usage de la solitude, nous la 
pouvons done appeler a bon droit la pierre qui sert a aiguiser la raison, et la disposer a connoitre et a penetrer la verite, a 
separer le vrai et le raisonnable d'avec le faux et le deraisonnable, puisque sans son secours on ne pourroit point se 
mieux servir de la raison, que d'un couteau sans tranchant et sans pointe. Cette verite se prouve par l'experience 
commune de tous les hommes qui se retirent de la conversation, et demeurent seuls quand ils ont besom d'aplication et 
de travail d'esprit. C'est pourquoy passons a l'autre necessite de la solitude. 

Pour les choses qui appartiennent au salut 

19. La foi nous enseigne l'etat auquel le peche a reduit la nature. II l'a rendtle rebelle a la raison, et passionnee 
pour les creatures, peu sensible sur l'avemr, et ingrate envers Dieu. Mais nous le sentons par experience, quand nous 
entrons dans le commerce des hommes et du monde ; car on y encourt des dangers, on s'y endort facilement, et on s'y 
endurcit au mal par des habitudes ; d'ou il arrive qu'etant devenus comme des pilotes de navire enyvrez, on brise son 
vaisseau contre les ecueils du peche, ou la tromperie des passions le jette, et le vent de ces commerces du monde le 
pousse. Ces malheurs se rencontrent hors de la solitude, qu'on auroit souvent evites, si on y etoit demeure. Si peu de 
gens deviennent sages a leurs depens, au moins sont-ils contraints d'avouer, que s'ils etoient demeurez seuls, ils ne 
seraient pas tombez dans de tels malheurs. 

20. L' affaire du salut merite une bien plus grande application que celles qui ne sont que purement raisonnables. 
II y a beaucoup de mesures a prendre pour eviter et combattre tout ce qui s'y oppose, qu'on trouve et qu'on sent assez 
dans soy-meme, sans qu'il soit besoin d'en aller encore chercher ailleurs dans le commerce des hommes et du monde. 
Elle demande des occupations serieuses et raisonnables pour rendre ce qu'on doit a Dieu et a soy-meme ; et par 
consequent cette grande affaire du salut a beaucoup plus besoin de la solitude que les autres. Mais pour vous faire 
toucher au doigt cette verite, rappelons dans notre idee ce que font quatre sortes de personnes : un ecolier, un marchand, 
un avocat, et un juge. 

21. Que fait l'ecoher qui a sa lecon a apprendre ? II se separe de ses compagnons, il quitte le jeu et les champs 
pour se retirer seul dans un petit coin ; car sans cela il ne pourrait pas apprendre sa lecon, ny eviter la punition de la 
ferule du maistre. II y demeure autant de temps qu'il en est besoin jusqu'a ce qu'il la sache ; car s'il interrompoit son 
application pour retourner avec ses compagnon et pour jouer, il oubliroit ce qu'il auroit appris, il ne pourroit apprendre 
le reste, et ce seroit presque toujours a recommencer. 

22. Nous sommes des ecoliers qui avons Jesus-Christ pour Maistre. Ses lecons sont contenues dans l'Evangile. 
Elles sont admirables, capables de remplir les ames de sagesse et de consolation ; elles sont naturelles a Lame puis 
qu'elles luy enseignent la connoissance et l'amour de Dieu, qui sont son pain et sa nourriture ; elles sont capables de 
convertir les cceurs. Bref, ce sont des lecons qui meritent que Dieu s'en soit rendu luy-meme le pedagogue, et qu'il n'y 
ait que lui seul qui les puisse efficacement enseigner. Apprenez de moy, dit Jesus-Christ ; ouy mon Seigneur, il n'est rien 
de plus vrai. C est par vous seul que nous pouvons etre instruits ; et c'est a vous que nous devons avoir recours pour 
bien apprendre les lecons de notre salut. Car la parole du Docteur sonneroit en vain a nos oreilles, si vous ne nous 
ouvriez les sens et le cceur pour la faire penetrer. 

23. O mon Dieu si je vous avois toujours considere comme mon unique Maistre, je serois bien plus avancee 
que je ne suis dans vos lecons divines, et j'aurois evite bien des erreurs et des fautes, etc. 

24. Entrons icy dans les sentiments des ecoliers qui ont fache leur maistre, et qui tachent de se remettre bien 

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avec luy ; car nous avons bien fait les mediants ecoliers a l'egard de Jesus-Christ. 

25. Si done un ecolier a besoin de retraite, et d'une solitude autant etendue qu'il est necessaire pour apprendre 
une lecon du Donet ; combien devons-nous l'estimer necessaire pour apprendre une science si haute, si excellente, si 
necessaire que celle du salut que l'Evangile nous enseigne ; une science qui nous engage a monter au-dessus des sens, 
des creatures, et de nous-memes, pour mieux connoitre Dieu, et satisfaire a 1 'obligation que nous avons de rainier sous 
peine d'un chatiment eternel. 

26. Combien devons-nous estimer la solitude avantageuse, puisqu'elle nous retire de mille occasions de 
transgresser ce que ces saintes lecons nous enseignent ? Combien devons-nous volontiers en pratiquer l'usage toute 
notre vie, puisque dans ces lecons du salut il y a toujours a apprendre, et que ce sera un grand coup si nous les savons 
bien en mourant ; et puisque nous ne saurions sortir de la solitude sans encourir quelque danger d'oubliance ou de chute 
par infirmite ou par malice. 

27. O mon Dieu, il n'y a que vous seul qui voyez de combien de perils la solitude me dehvre. Combien en 
connoissez-vous que je ne connois pas, qui m'auroient fait faire des chutes, si je m'etois trouvee dans les conversations 
des hommes, et dans plusieurs occasions que vous savez, puisque les choses possibles vous sont connues aussi bien que 
les autres, et que tout est a decouvert a vos yeux ? Je vous en doit des actions de grace, et j'en dois etre plus fidele a 
demeurer a vos pieds comme Marie, puisque la grace de ma vocation m'y ayant attiree, m'y fait trouver non seulement 
de la facilite a bien entendre et comprendre vos lecons ; mais aussi m'y fait trouver la preservation de beaucoup de 
maux, qui seroient cause de la perte de mon salut. 

28. Que fait le marchand qui a des comptes a dresser, ou il y va de tout son bien et de toute sa fortune ? II 
s'enferme dans son cabinet sans vouloir recevoir de visites de personne ; il dit qu'on lui rompt la tete si quelqu'un de sa 
famille approche pour luy parler de quelqu'autre affaire. II faut meme qu'il en use de cette maniere ; parce que s'il etoit 
interrompu dans son calcul, il courreroit risque de se tromper ; ou a tout le moins d'etre oblige de recommencer 
plusieurs fois les discussions et les calculs d'un compte qu'on le pressera peut-etre de rendre tout incontinent. II est de la 
derniere importance que ce compte se trouve tout prest et sans erreur : car on doit conclure sur l'etat ou il sera, sans que 
Ton puisse obtenir du temps pour le refaire. 

29. Nous sommes des marchands entre les mains de qui Dieu a mis ses biens pour en faire un bon negoce. II 
nous en donne la qualite et l'office quand il dit dans l'Evangile : Negotiez en attendant que je sois de retour. Et il nous 
marque dans la parabole des talens d'une facon terrible le profit qu'il veut que nous en retirions, le compte que nous luy 
en devons rendre, et la punition qui doit servir de chatiment au serviteur s'il ne trouve ses comptes en bon estat. 

30. Si done ce marchand pour dresser un compte ou il ne s'agit que d'un bien passable, se rend volontiers 
solitaire, et ne fait point d'etat des conversations des hommes, combien devons-nous estimer la solitude, qui nous est 
beaucoup plus necessaire pour tenir toujours prets ceux de nos ames, ou il s'agit de notre salut eternel ? Combien 
devons-nous prendre a coeur d'en bien continuer l'usage toute notre vie, puisque chaque jour et a tous moments il y a des 
choses a marquer et a regler sur les registres de nos consciences. 

31. Disons a Dieu sur cet article : O Seigneur, je suis redevable a vos bontez infinies de beaucoup de 
reconnoissances pour les avantages que je recois de ma solitude ; et je confesse que je dois faire une fidele application 
pour ne nen perdre de l'usure qui vous en est deile. Mais mes comptes ont besoin d'une bonte aussi grande qu'est la 
votre pour pouvoir pretendre d'en sortir sans condamnation. Car je say que si vous voulez entrer en debat avec moy, a 
peine pourrai-je vous rendre une bonne reponse sur mille articles. Et si vous voulez examiner a la rigueur toutes les 
iniquitez, qui est-ce qui pourroit se soutenir devant vous ? Je me souviens de l'ouverture que votre misericorde m'a 
donnee dans la parabole du serviteur qui devoit a son maistre dix mille talens, et je ferai a votre egard la meme chose 
qu'il a faite ; mais ce sera avec un ferme propos, 6 mon Dieu, de ne plus abuser insolemment de votre clemence, et de 
me servir du temps et des moy ens que vous me mettez entre les mains pour augmenter le plus que je pourray l'usure que 
je vous dois de toutes vos graces, et pour me tenir prest a obeir a votre voix quand elle m'appellera pour luy presenter le 
compte de ma negotiation. 

32. Que fait un avocat qui a une cause d'importance a instruire dans un procez qu'il a en son nom ou il y va de 
tout son bien ? II se retire dans son etude pour remuer tous ses memoires, et consulter ses livres de droit, afin d'en tirer 
des conclusions a son avantage. II se fache quand quelqu'un le va interrompre ; et s'il arrive qu'il soit interrompu, il 
regagne le temps sur son repos ; il prend sur luy-meme, et renferme plus avant dans la solitude pour reparer le temps 
perdu, et pour se tenir prest a plaider cette cause, qui s'appellera peut-etre des le lendemain. He, que seroit-ce s'il ne se 
trouvoit pas prepare ? II perdroit son procez, et ce seroit un homme mine. 

33. Nous ne pouvons pas douter que nous n'ayions l'exercice d'avocat a pratiquer pour nous-memes, puisque 
nous avons une cause d'importance a instruire, ou il y va de notre salut eternel ; et il est aise de connoitre par la qualite 
de la cause, combien la solitude nous est plus necessaire pour nous preparer a la bien soutenir, qu'a celuy qui n'a qu'un 
interet temporel a defendre. Combien devons-nous estimer la solitude avantageuse, puis qu'elle nous fournit de grands 
moyens pour apprendre a parler a Dieu, et pour marcher en sa presence, dont l'exercice nous dispose a paroitre plus 
facilement devant lui. Combien devons-nous volontiers en continuer l'usage toute notre vie, puisque chaque jour il y a 
quelque chose a augmenter ou a diminuer a l'etat de notre cause, et qu'a tout moment nous devons etre prests a la 
plaider. 

34. Q mon Sauveur, ma cause seroit bien foible et bien mal defendue si je ne vous avois pour protecteur et pour 
Avocat General. Votre eloquence parle par autant de bouches que vous avez souffert de playes pour mon salut : vous 

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pouvez exiger par vos merites le gain de ma cause ; et c'est ce qui fait que bien loin d'en desesperer, j'en ay une bonne 
esperance,par la confiance que j'ay en votre protection et en vos merites, qui se feront paroitre avec plus d'eclat en 
delivrant des pecheurs, qu'en sauvant des justes. 

35. Que fait le juge qui aune cause de la derniere importance a juger, dont les parties sont tres puissantes, et ou 
il est menace d'etre pris a partie, s'il ne juge bien ? II se reserre dans le cabinet et y demeure jusqu'a ce qu'il ait examine 
les sacs et les pieces pour proferer un jugement equitable en faveur de celui qui a le bon droit. II etudie bien son affaire, 
et la tient bien imprimee dans son esprit, jusqu'a ce qu'il ait fait son rapport ; car autrement il seroit en danger d'encourir 
le blame, et les dommages d'un mauvais jugement. 

36. Nous sommes aussi des juges, puisque Dieu a la bonte de mettre entre nos mains le jugement de notre 
propre cause. C'est une verite que l'Ecriture sainte nous apprend, lorsque David dit hardiment : J' ai fait jugement et 
justice, ne me livrez pas a mes calomniateurs ; et quand saint Paul nous assure, que si nous nous jugions nous-memes, 
Dieu ne nous jugeroit pas . Si nous comparons le jugement de la cause de notre salut eternel avec celuy d'un procez 
temporel, nous trouverons une disproportion presque infinie ; et dela nous connoitrons combien la solitude nous est plus 
necessaire qu'a ce juge temporel, et combien elle nous est avantageuse pour eviter la prise a partie qui nous feroit passer 
par le rigoureux jugement de Dieu. Mais nous trouverons de plus que la solitude nous servira de matiere pour faire 
bonne justice aussi bien que bon jugement. Car puisque pour un bon jugement, il faut se servir de la solitude, ainsi que 
nous venons de dire, il faut aussi que pour faire bonne justice nous nous condamnions nous-memes a bien garder la 
solitude, puisque ce que nous trouvons qui merite le plus de punition dans notre cause, ce sont les pechez auxquels le 
commerce des hommes et du monde nous a attirez. 

37. O mon Dieu, je me condamne moy-meme, et je m'estimeray trop heureux si en me livrant a votre 
correction paternelle, j'evite le chatiment de votre rigoureuse justice. Je dois volontiers demeurer solitaire et me taire, 
pour m'elever au-dessus de moy-meme ; puisque les conversations et les paroles m'ont fait commettre contre vous tant 
de pechez, qui m'ont mis au dessous des creatures. Je passe condamnation non seulement pour cela, mais aussi pour 
toute autre chose ; sauf mon recours sur votre misericorde qui accompagne toujours votre jugement pour le tourner a 
l'avantage de ceux, qui en se condamnant eux-memes lui font un sacrifice de penitence. 

38. La necessite de la solitude pour bien vaquer a l'unique necessaire de notre salut, vous est icy mise en 
evidence. Mais l'exemple des saints solitaires nous en rend l'entreprise plus facile, et nous pouvons dire avec verite que 
celuy de notre Pere saint Bruno a fraye le chemin d'une solitude qui est tres prudente et tres discrete. Car elle eloigne les 
pieges de la propre volonte par la vie commune, et les desavantages de la conversation par une solitude reguliere qui 
s'observe dans la communaute. L'une et l'autre font un temperament qui est tres avantageux par les secours et les 
exemples qu'on se fournit l'un a l'autre, et qui est tres discret par les dangers de la propre volonte qu'on en eloigne, par 
l'obeissance qu'on doit rendre a un Superieur. 

Pour parvenir a Vunion avec Dieu 

39. C'est a cette solitude que la grace de la vocation appelle les enfants de l'Ordre ; car ils n'y sont pas attirez 
pour apprendre simplement a se bien servir de leur raison, puisque c'est une obligation commune a tous les hommes ; ny 
pour satisfaire seulement aux necessites de leur salut, puisqu'ils y sont obliges en tant que Chretiens. C'est done pour 
quelque chose de plus releve que Dieu demande de nous dans notre etat, a savoir l'union intime de nos ames avec luy, a 
laquelle le renoncement que nous faisons a toutes choses, et la promesse de nous perfectionner dans les vertus nous 
engagent d'aspirer. 

40. Si la necessite de la solitude est grande dans les deux autres choses, elle Test encore bien davantage pour 
parvenir au bonheur de cette union, qui fait ressentir des cette vie un avant-gout de la beatitude eternelle par la liberie 
qu'elle donne a 1'ame, par la paix et par l'unique desir de Dieu, qu'elle regarde comme l'unique objet de son amour. Mais 
c'est icy ou il faut imiter Moise, qui mena son troupeau bien avant dans le desert de la solitude, ou etant seul et eloigne 
de tout, Dieu luy appariit dans le buisson ardent et luy parla. Car il faut pousser notre solitude jusques dans nous- 
memes, comme pour en faire un desert par l'eloignement de tout ce qui pourroit partager ou interrompre la resolution 
d'une volonte desireuse d'etre seule a seule avec Dieu, sans rien nourrir de volontaire qui puisse etre entre Dieu et elle. 

41. C'est cette resolution qui fait la premiere demarche necessaire pour parvenir a cette union ; et cette solitude 
interieure doit etre consideree comme l'ame de l'exterieure. Car sans elle l'exterieure est quelque chose de sec, qui se 
sent de la durete de la necessite, et qui n'a d'onction, ny de paix, specialement dans ceux qui ont entrepris d'etre 
entierement a Dieu, qui ont choisi la solitude pour etat, et qui se sont reduits par le renoncement volontaire qu'ils ont fait 
aux choses du monde a n'attendre de joie et de consolation que de la part de Dieu. 

42. Ces sortes de personnes peuvent etre compares a des soldats qui ont rompu le pont apres eux, afin de 
s'engager a poursuivre l'ennemi sans avoir moyen de fuir, et sans pou voir retourner en arriere qu'en se noyant. Car tout 
de meme elles ont rompu le pont des consolations du monde apres elles, pour n'en avoir plus que de la part de Dieu. 
Elles ne peuvent meme retourner a celles du monde qu'en se perdant miserablement, comme un homme qui se jette dans 
un fleuve profond sans avoir de quoy s'en retirer. De quoy leur serviroit done la solitude exterieure sans l'interieure ? 

43. La solitude interieure est a l'exterieure ce que les roues de l'horloge sont a la montre, qui ne peut marcher 
qu'a tour de bras, d'une facon inegale et avec beaucoup de peine, si les roues ne vont bien au dedans, et que le poids ne 
soit remonte. Si la solitude interieure ne marche comme il faut, et que le poids de l'amour et la crainte de Dieu ne soit 

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fidelement remonte par le moyen de l'exercice de l'oraison, l'exterieure n'est que comme une montre d'horloge qui ne 
marche qu'a la main, avec peine, avec travail et sans egalite. O mon Dieu, qui etes le parfait solitaire interieur, les 
chemins de cette solitude sont fort inconnus a la grossierete de mes sens ; et mon ame, qui s'est si fort enveloppee dans 
leurs usages, a grand besom de votre secours et de votre conduite pour y avancer. 

44. Nous y avancerons beaucoup, et nous parviendrons a celle dont il est question, qui nous met dans l'union 
avec Dieu, si nous nous servons bien de la solitude exterieure comme d'un moyen pour avancer dans la pratique de trois 
sortes de solitudes que je vais vous expliquer, qui sont : celle du coeur, celle de l'esprit, et celle de l'ame. C'est par ce 
moyen que nous irons au profond du desert, comme Moise, et que nous verrons Dieu dans le buisson ardent de la 
charite, qui brule sans se consumer. C'est la que nous l'entendrons parler a nos couers, et que nous trouverons le 
detachement des creatures, qui nous disposera a tout quitter avec autant de facilite que Moise en eut de quitter ses 
souliers, quand Dieu le luy commanda. 

La solitude du c&ur 

45. Celle-cy se peut facilement comprendre en se servant de la comparaison de celle du corps. La solitude du 
corps est un eloignement volontaire de la conversation des hommes ; celle du coeur n'est aussi rien autre chose qu'un 
eloignement volontaire du commerce et de l'entretien de ses affections sensibles. Sans celle du coeur, celle du corps sera 
toujours imparfaite et troublee. Car pour quelle fin se sert-on de la solitude du corps, si ce n'est pour disposer l'ame par 
la separation des objets et des compagnies a se recolliger, afin de pouvoir se mieux servir de ses puissances, et mieux 
faire son application a Dieu ? Si elle veut done nourrir un tumulte d'affection dans son coeur, la separation des 
conversations luy servira de peu, puisque les affections qui sont au dedans seront plus importunes a son repos, que les 
conversations qui ne sont qu'au dehors. De meme que le bruit qui se fait chez nous, nous importune bien plus que celui 
qui se fait dans la rue. 

46. Nous connaissons assez par experience l'etat pitoyable ou le pche a mis les mouvements de nos affections 
sensibles. Elles sont dans une inconstance presque continuelle, dont nous pouvons tirer un exemple de l'etat d'un enfant 
qui appete et demande souvent sans jugement et sans raison aussi bien l'impossible que le possible ; qui desire une 
chose avec empressement, et puis qui la rejette quand il l'a ; qui se chagrine pour avoir ce qu'on luy refuse, et qui pleure 
sur ce qu'on lui ote, sans considerer si on a raison, ou non ; bref qui se rendroit insupportable, si on ne se servoit de la 
verge pour arreter ses importunitez par le chatiment. Mais ce qui est de plus facheux, c'est que ses sentiments d'affection 
ne s'arretent souvent que par le succez d'un autre ; et ce n'est que la douleur d'un chatiment qui empeche l'enfant de 
poursuivre ses premieres affections. 

47. Voila ce qui nous represente l'etat des affections du coeur humain ; et il ne faut point alleguer le 
resserrement et la correction que fait un homme raisonnable de plusieurs puerilitez qu'il commettoit quand il etoit 
enfant, et qu'il ne commet plus etant homme. Car le fond de cette misere luy demeure toujours. II est meme certain, que 
le mauvais usage qu'on a fait des affections y ajoute le poids de la mauvaise habitude, qui ne fait souvent que changer 
l'objet de la puenlite. Car si on n'en vient pas a l'execution de ces mouvements pueriles, qui naissent du dereglement et 
de l'inconstance des affections du coeur, ce n'est qu'a l'egard des hommes dont on s'attireroit le mepris, si on se laissoit 
aller a faire l'enfant ; mais a l'egard de Dieu et de l'unique affaire du salut, on demeure toujours enfant a proportion 
qu'on ecoute ses affections sensibles au prejudice des regies de l'Evangile, et de la droite raison. II est done vray de dire 
qu'on ne fait que changer l'objet. Car si on s'empeche de paroistre enfant aux yeux des hommes, on Test toujours aux 
yeux de Dieu. 

48. II est facile de connoistre de la l'incompatibilite qui se rencontre entre ces affections du coeur humain quand 
elles sont nourries et entretenues, et le repos de l'ame qui est si necessaire pour s'avancer dans l'union avec Dieu. II est 
aise de voir que c'est une necessite de travailler a mettre le coeur en solitude pour pouvoir parvenir a ce repos, puisque 
la societe de ces affections nous sera une inquietude continuelle qui nous rendra inhabiles a jouir du repos interieur, et 
empechera par consequent le profit de notre solitude exterieure. II faut done se former une volonte bien resolile de ne 
nourrir pas une de ces affections qui ait la moindre opposition a la purete de l'amour de Dieu. 

49. Mais comment parvenir a cette solitude puisqu'on n'est pas maitre des mouvements des affections du coeur 
et qu'on les ressent malgre soy ?C'est en cecy meme que nous pouvons rendre notre solitude du coeur plus volontaire, et 
par consequent, plus meritoire. Ces mouvements s'excitent dans tous les hommes, et paroissent aux yeux des ames les 
plus solitaires, il est neanmoins vray que l'eloignement des objets fait qu'on ne les ressent point si vivement que quand 
ils sont presents. Mais ce qui attaque l'ame de cette maniere et qui l'engage a vaincre, luy sert d'occasion favorable pour 
faire un agreable spectacle aux yeux de Dieu en demeurant volontairement et genereusement solitaire par le rejet qu'elle 
fait de la compagnie de ces affections qui voudroient etre bien receues chez elle, mais qui ne le sont pas. 

50. Elle demeure solitaire tant qu'elle se defend contre ces ennemis de la solitude de son coeur, et qu'elle les 
combat pour les vaincre ; et il arrive que par sa genereuse perseverance dans ce combat, la pointe de ces mouvements 
s'emousse, en sorte que si elle ne peut eviter de les sentir, leur piqueure n'est plus si sensible, ny capable d'interrompre 
son repos. Elle mene ces sentiments par tout, la verge de la mortification a la main pour les reduire a la raison, comme 
on reduit les enfants quand ils veulent crier ou pleurer 

5 1 . Si ces affections font toujours du bruit chez elle, il n'est point capable de l'empecher ny d'entendre, ny de se 
faire entendre, ny d'agir librement ; non plus que les cris d'un petit chien qu'on a coutume d'entendre j apper dans la cour 

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du logis n'interrompt plus ceux qui y sont habituez. Mais pour faire progrez dans cette solitude, revenez toujours a ces 
trois principes de la devise de S. Bruno. 

Eloignez-vous volontairement de ce qui peut nourrir la pente de vos affections. 

Fuyez ce qui vous cherche pour captiver votre coeur par le chatouillement de ses affections naturelles. 

Et demeurez ferme dans votre solitude volontaire, malgre les mouvements d'affections, et les ennemis qui 
l'attaquent, et vous ferez tout ce que doit faire une ame qui veut s'avancer dans la solitude du coeur. 

52. O mon Dieu, qu'est-ce que le coeur cherche en courant de toutes parts pour y trouver quelque 
contentement ? II cherche et trouve de l'inquietude et de la dissipation qui le rend onereux a luy-meme, parce qu'il ne 
peut presque plus demeurer avec soy-meme. Que trouve-t-il en exercant ses affections comme pour s'en faire une 
compagnie, sinon de la douleur et de la servitude ? Ce qu'il cherche et ce qu'il trouve est done bien eloigne de ce qu'il 
souhaite. Ha ! que je seray done delivre de beaucoup de peines et de dangers en retirant mon coeur dans la solitude, 
puisque je l'empecheray d'etre trompe dans ses recherches et dans ses desirs, et de se servir a luy-meme de supplice. Je 
seray heureux, puisque je seray dans l'etat que vous voulez qu'on soit pour vous entendre parler au coeur. Car vous dites 
par votre Prophete : Je la meneray dans la solitude, et la je luy parler ay au coeur. C'est vous qui etes la guide qui 
conduisez dans cette solitude, ou Ton vous entend parler au coeur par des impressions qui se font dans l'ame ; et ces 
impressions luy font entendre, sans qu'il soit besoin d'autres paroles, tout ce que vous luy voulez dire, luy faire 
connoitre, et luy faire ressentir. C'est done aussi de votre sainte grace que j 'attends le secours pour accomplir les 
resolutions que je fais de vous suivre dans cette sainte solitude ou vous voulez mener l'ame ; et c'est sur cette infime 
grace que je fonde mon esperance d'y avancer beaucoup sous la protection de votre conduite. 

La solitude de Vesprit 

53. Cette solitude d'esprit demande de nous que nous retranchions a l'esprit humam ce qui luy sert 
ordinairement de compagnie, et que nous n'entretenions point volontairement ce qui s'y retrouve malgre nous ; de meme 
que nous l'avons dit des affections du coeur : et nous mettrons par ce moyen notre esprit en solitude aussi bien que le 
coeur, autant que nous le pouvons. 

54. Cette compagnie qu'il traine apres luy est une multiplicite de pensees et de reflexions superflues ; ce sont 
des sollicitudes qui s'etendent souvent jusques sur les choses qui ne dependent pas de luy, sur les choses cachees, et sur 
les futures ; et on peut l'appeler a bon droit un miserable reste de la fausse divinite que notre premier Pere a desiree. Ce 
pauvre esprit veut contrefaire la Providence divine ; et le surprendrons comme un voleur qu'on prend le larcin a la main, 
si nous voulons le suivre de pres. Car nous le trouverons qui regarde les succes de ses entreprises comme si elles 
dependoient de ses soins ; qui veut s'appliquer sur les choses cachees comme s'il pouvoit les rendre evidentes ; et qui 
voudroit agir sur les choses futures, comme si elles etoient en son pouvoir. C'est en cela que la parole de Salomon est 
verifiee, qui dit qu'il y a un nombre infiny d'insensez, parce que tous les enfants d'Adam sont compris dans cette 
maladie d'esprit, qu'ils ont heritee de leur Pere ; et il n y a que ceux qui travaillent genereusement a corriger cette folie 
qui en sont exceptez. II n'y a pas d'autre moyen pour la corriger que de s'etudier a mettre cet esprit dans la solitude, qui 
ne nourrisse point volontairement les pensees superflues ; mais qui les meprise sans s'etonner du bruit qu'elles font a la 
porte ; qui retranche les affections inutiles, et qui rejette les sollicitudes, sachant bien qu'on ne peut rien ajouter, ny 
changer dans l'ordre de la Providence, a qui seule appartient d'avoir soin de tout. Elle se contente de s'appliquer a ce que 
cette sainte Providence luy met entre les mains, et pour le reste elle met toute son esperance en sa sainte conduite. 

55. La necessite de cette solitude pour avancer dans l'union avec Dieu, est aussi grande que celle du coeur. Car 
quel repos peut avoir l'ame dans la solitude du corps, si elle nourrit volontairement dans son esprit le tumulte des 
pensees, des reflexions, et des sollicitudes ? 

56. C'est dans la paix que Dieu fait sa demeure ; et par consequent ce tumulte est incompatible avec l'union de 
l'ame avec luy. Ce tumulte ressemble au vent qui agite l'eau de la fontaine, ou le soleil n'imprime pas sa figure qu'elle 
ne soit reposee ; et c'est d'ou nous pouvons tirer une comparaison qui nous represente naivement l'estat ou l'ame doit 
etre pour recevoir les impressions divines. Elle ne sera jamais dans cet etat tant qu'elle nourrira volontairement ses 
pensees inutiles, ses reflexions superflues, et ses sollicitudes. Car elles seront comme un vent qui rendra son eau 
trouble, et qui excitera incessamment des tempetes. 

57. O Seigneur, c'est en cecy que j'apprens tres particulierement que le peche m'a mis en etat de ne me pouvoir 
tenir que fort mauvaise compagnie a moy-meme, puisque mon esprit se forme des tempetes et des querelles, qui ne se 
peuvent apaiser que par l'eloignement des entretiens qu'il cherche a trouver chez soy. Je reconnois le grand avantage que 
j'aurois s'il etoit bien separe de ces importunes compagnies, et le besoin que j'ai de le former a la solitude. Mais, mon 
Sauveur, il faut pour cela que j'aie recours a cette meme puissance, qui commanda au vent et a la mer de s'apaiser, et 
qui delivra vos Disciples de toute leur crainte, lorsqu'ils qu'ils croyoient qu'ils alloient perir dans les flots, pendant que 
vous dormiez. Car pour bien arreter les vents des pensees qui excitent les tempetes de mon esprit, il faut que vous 
parliez. Mais le reproche que vous fistes a vos disciples de leur peu de foy, me doit enseigner a me tenir ferme aupres de 
vous sans sortir volontairement de la solitude de l'esprit par des pensees superflues, des reflexions inutiles, et des 
sollicitudes dereglees, et sans m'epouvanter de leur bruit. 

58. Souvenons-nous que pour avancer dans la solitude de l'esprit, il faut combattre genereusement et se 
defendre contre la multiplicite qui l'attaque ; il faut rejeter les pensees superflues qui l'environnent, non pas par une 

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resistance formee par d'autres pensees ; car ce seroit ajouter pensee sur pensee, et allumer son flambeau par les deux 
bouts ; mais par le mepris et l'inapplication a ces pensees. II faut retrancher les reflexions inutiles sur des choses qui 
sont suffisamment connties, ou qu'il est inutile de connoitre, en leur refusant notre attention, et en se detournant d'elles. 
II faut etouffer les sollicitudes par le recours a la Verite qui nous enseigne a transporter toute notre sollicitude dans le 
sein de Dieu, demeurant fermes dans la confiance en sa Providence, qui demande seulement de nous une application 
simple et diligente sur ce qu'elle nous met entre les mais ; et nous abandonnant entierement a elle pour tout le reste. 

59. Nous trouverons la pratique de cette solitude de l'esprit comprise dans ces trois mots : eloignons-nous de la 
compagnie des pensees superflues volontaires ; fuyons les reflexions inutiles volontaires ; demeurons fermes dans la 
confiance en Dieu, en la considerant comme une mer dans laquelle nous devons jeter toute notre sollicitude. 

// reste la solitude de I 'dme 

60. C'est celle-cy qui la mene jusqu'au buisson ardent de la charite de Dieu : c'est celle-cy qui est la plus 
conforme a ses desirs, et aux dessems qu'il a sur nous, qui ne tendent qu'a l'union avec luy. C'est ce qu'il a fait paroitre 
dans toutes ses oeuvres ; et meme sa charite y a voulu ajouter les actions et les paroles de son Verbe incarne pour nous 
faire connoitre qu'il nous veut consommer dans cette sainte union. 

61. Pour parvenir a cette heureuse union, il faut que Fame se puisse trouver seule a seule avec luy, nue et 
separee de tout, sans qu'il y reste rien entre Dieu et elle. Car nous voyons meme dans les choses corporelles qu'une mam 
ne peut etre unie a une autre mam qu'elle ne soit nue et seule a seule ; et s'il y avoit seulement un gand entre-deux, ce ne 
seroit plus la main qu'on toucheroit, ce seroit le gand. II en est de meme de Fame a Pegard de Dieu ; et si elle ne se met 
dans la solitude et dans la nudite, son union avec Dieu ne peut jamais etre entiere, mais seulement imparfaite et 
mterrompue. 

62. Cette solitude demande done le retranchement de tout attachement, en sorte que l'ame demeure depouillee 
par volonte non seulement de ses affections, de ses desirs, et de ses sollicitudes ; mais aussi qu'elle demeure depouillee 
d'elle-meme : de maniere qu'elle ne regarde ny sa consolation, ny son profit, ny son bonheur, mais Dieu tout seul, dont 
la gloire soit son seul objet, demeurant comme aneantie pour tout le reste. 

63. Voila quelle doit etre la solitude de l'ame pour etre entiere et parfaite, et elle y trouvera l'union avec Dieu. 
Car il n'y a plus d'obstacle qui Fempeche ; son coeur n'est plus partage ; son esprit est abime dans la confiance ; et elle se 
trouve comme aneantie. 

64. Amesure qu'elle s'approche de cette solitude, elle se sent aussi approcher de l'union avec Dieu ; et a mesure 
qu'elle s'en eloigne par quelque attachement a soy-meme, ou aux creatures, elle ressent aussi qu'elle s'en eloigne ; car 
cette attache fait a l'ame ce que la boue fait a la plume qu'elle retient, et empeche de voler en l'air. 

65. Considerez ces trois solitudes du coeur, de l'esprit et de l'ame, comme le chemin des trois jours que Moise 
disoit a Pharaon qu'il faloit faire pour offrir le sacrifice au Seigneur. Nous ferons, disoit-il, le chemin de trois journees 
dans la solitude, et la nous sacrifierons au Seigneur. 

66. La premiere sera celle, que nous irons a la solitude du cosur ; la seconde a celle de l'esprit, et la troisieme a 
celle de l'ame, qui est le lieu ou se fait la consommation du sacrifice que Dieu recoit en odeur de suavite. Heureuse 
solitude, qui n'ayant plus rien que Dieu, n'a plus rien a perdre ny dans les creatures, ny dans elle-meme ; car Dieu tout 
seul luy est toute chose. Qu'est-ce done qui la peut troubler ? Solitude heureuse, qui met l'ame en etat de ressembler a 
son Pere celeste, et d'imiter sa solitude, dans laquelle l'amour de ce Pere la rencontrant, l'unit a soy pour demeurer seul a 
seule avec elle. Qu'est-ce qui peut luy nuire ? 

67. C'est icy ou l'amour de notre Pere celeste nous attend pour nous unir a luy ; ou la grace nous appelle, et a 
laquelle notre profession nous engage d'aspirer. Mais tout le mystere de notre progrez dans cette solitude, et les moyens 
d'y parvenir sont contenus dans ces trois paroles ; Je me suis eloigne : Eloignons-nous de tout ce qui ne tend pas a 
Dieu ; Enfuyant : Fuyons tout ce qui n'est pas de Dieu ;j'ay demeure dans la solitude : Demeurons dans la solitude du 
detachement de toutes choses et de nous-memes pour Dieu, et nous serons de ceux qui ayant heureusement perdu leur 
ame, la retrouvent dans Dieu. 

68. O Seigneur mon Dieu, que vous me feriez une singuliere grace, s'il vous plaisoit de me mener si avant dans 
cette solitude, que j'y fusse heureusement perdue, sans pouvoir retrouver le chemin pour retourner dans le commerce 
des creatures et de moy-meme ! Je seray trap riche mon Seigneur, si je peux perdre tout pour avoir l'avantage de rester 
seule aupres de vous, et de n'avoir que vous. Si la mere de Tobie se reprochoit a soy-meme, qu'ayant toutes choses dans 
la seule personne de son fils, elle ne devoit pas le laisser aller ; avec combien de justice, et de verite ne dois-je pas dire 
que vous ayant seul, j'auray tout, puisque vous estes la vraye et l'unique source de toutes choses et de tout bien ? Et avec 
quelle ardeur dois-je desirer de vous avoir seul ? Mais pour vous avoir seul il faut que je quitte de coeur et de volonte 
toutes les autres choses. Car s'il me restoit quelque chose outre vous, je ne vous aurois pas seul, et mon coeur doit etre 
solitaire, puisque c'est par cette solitude que vous me serez tout en toutes choses. Conduisez-moy, Seigneur, a cette 
solitude heureuse, et donnez-moy la grace de suivre fidelement les pas que vous me marquerez pour y parvenir. 

69. Adressez-vous aussi a ces esprits bienheureux des saints Solitaires, qui sont a present abimez dans la 
solitude de Dieu, et qui y demeurent stables, sans que rien ne puisse jamais interrompre la jouissance qu'ils ont de leur 
Seigneur, qui les enyvre pour jamais du torrent de sa volupte. Dites-leur en les congratulant, que si leur eloignement, 
leur fuite, et leur demeure dans la solitude pour bien vaquer a l'unique necessaire, et pour s'unir a luy, nous a servy d'un 

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exemple avantageux pour notre salut ; nous a aidez a nous eloigner des fictions de la vanite du monde qui seduit tant de 
gens ; nous a attirez a fuir les conversations dangereuses du siecle, qui enveniment les coeurs, et a demeurer appliquez a 
Dieu et a notre salut dans la solitude ; les memes choses leur ont servy pour acquerir la gloire du Paradis, et la 
jouissance eternelle de l'unique necessaire. Conjurons-les par la beatitude dont ils jouissent, qu'ils nous aident sans cesse 
de leurs intercessions pour marcher courageusement dans le chemin de la solitude qui conduit a l'union avec Dieu, qui 
est notre centre et notre principe, notre fin et notre tout. 

70. Demandons a Dieu que nos pratiques de solitude soient animees d'esprit, et qu'elles ne demeurent pas 
seulement dans l'ecorce d'un eloignement corporel, d'une fuite et d'une demeure dans la solitude exterieure ; mais 
qu'elles nous servent d'un moyen pour parvenir a l'effet pour lequel elles sont destinees, qui est : 

Le redressement de nos coeurs et de nos esprits, que le peche a remply d'un si grand dereglement d'affections, 
de desirs et de pensees. 

La fide lite a travailler a l'ceuvre uniquement necessaire de notre salut, et a ne desirer rechercher que l'unique 
necessaire 

Et l'union avec Dieu, a laquelle la solitude exterieure dispose heureusement quand on s'etudie a parvenir a celle 
du cosur, de l'esprit et de 1'ame. 

7 1 . Plus nous nous appliquerons en cette vie a entrer bien avant dans cette solitude interieure pendant que nous 
vivons sur la terre, ou nos coeurs, nos esprits et nos ames seront devenus tout a Dieu ; plus il nous fera ressentir ce que 
vaut l'avantage d'avoir Dieu pour toutes choses, et de n'avoir que luy ; de pouvoir dire avec l'epouse du Cantique : Mon 
bien-aime est a moy, et je suis toute a luy, et de le ressentir par effet. 



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Bref exercice de direction detention pour chacun des dix iours de retraite 



Cet exercice se fera en se levant le matin d'une maniere courte, intime et affective ; et le sujet en sera pris sur la 
solitude de Dieu, et sur celle de Jesus-Christ son Fils unique. 

Le premier jour 

72. Considerez ou Dieu etoit avant qu'il tirat toutes les creatures du rien. II etoit dans luy-meme comme il est a 
present, heureux dans luy-meme ; suffisant a luy-meme, n'ayant besoin d'aucune creature. C'est le pur amour qui l'a 
porte a vous aller chercher dans le rien et a vous tirer du rien pour vous rendre participante de son estre, de sa charite et 
de sa felicite. 

Adorez-le dans sa solitude en vous rejouissant de ses perfections ; de ce qu'il est tout et que le reste n'est rien. 
Aneantissez-vous devant luy. 

Remerciez-le de ce qu'il vous a tire du rien pour le connoitre, pour l'aimer et pour vous faire du bien. 

Demandez-luy la grace d'imiter sa charite ; et proposez-vous pour vertu l'exercice de la charite envers tous 
selon l'esprit et les regies de votre profession. 

Le second jour 

73. Considerez Jesus-Christ en tant que Dieu dans le sein du Pere eternel, ou il delibere sur tout ce qu'il doit 
faire pour votre Redemption, votre naissance, votre vocation au christianisme, votre vocation a l'etat religieux, sur les 
graces qu'il veut vous faire, et sur votre sanctification. 

Adorez Jesus-Christ dans sa gloire dans le sein de son Pere, egal a luy. Admirez la bonte qui l'a porte a sortir de 
la pour l'amour de vous. 

Remerciez-le de ce qu'il a pense a vous de toute eternite et de ce qu'il a ete toujours dans la resolution de sortir 
comme hors de luy-meme pour vous venir chercher, et faire a votre egard les fonctions du bon Pasteur, qui va chercher 
la brebis egaree, qui la reporte sur ses epaules dans la bergerie, et qui veille sur elle pour la garder. 

Demandez-luy la grace de bien entendre ses inspirations et proposez-vous pour vertu, la conformite a sa sainte 
volonte, et la parfaite soumission de la votre a la sienne. 

La troisieme jour 

1A. Considerez le Fils de Dieu dans le sein de la tres Sainte Vierge, ou il vit dans une etroite solitude et dans un 
silence parfait : ou il est toujours le Verbe de son Pere, et ou il fait des entretiens d'esprit avec sa Mere, d'esprit a esprit, 
de coeur a coeur, qui ravissoient Fame de Marie, et c'estoit la ou les mysterieuses paroles du Cantique des cantiques se 
disoient coeur a coeur. 

Adorez Jesus-Christ cache et reposant dans le sein de la tres pure et immaculee Vierge. Congratulez cette sainte 
Mere de son bonheur, d'avoir attire dans son sein celuy qui remplit tout. Jetez une oeillade de coeur sur l'entretien intime 
et cordial du Fils avec la Mere ; et pensez a ces paroles du Cantique : Mon dme s 'est fondue dis aussitot que mon bien 
aime a parle, et pensez combien ce bien-aime en disoit a sa Mere etant jour et nuit dans son sein ; se nourrissant de son 
sang ; dormant et veillant avec elle. II y a icy de quoy ravir une ame devote. 

Remerciez sa grandeur adorable de s'etre ainsi racourcy et rendu comme prisonnier pour l'amour de vous. 

Demandez luy qu'il luy plaise de visiter votre coeur, et de luy parler seulement une parole ; et proposez-vous 
pour pratique de vertu 1'humilite que la Sainte Vierge marque, comme la cause de sa beatitude. 

Le quatrieme jour 

75. Considerez le Fils de Dieu inconnu et cache, retire dans l'etable de Bethleem. Jetez une oeillade de coeur sur 
la grandeur de cet Enfant, cachee sous le voile de la sainte Enfance, de l'aneantissement, et de 1'humilite ; et sur le 
spectacle que cette retraite du Fils de Dieu fait aux yeux de la cour celeste, qui est en admiration. 

Adorez Jesus-Christ qui s'est ainsi aneanty pour l'amour de vous ; un Dieu tout-puissant cache sous la forme 
d'un serviteur, qui se met en cet etat pour vous rendre participante de son royaume eternel. Voyez de quelle maniere il se 
separe du monde. 

Remerciez-le de ce qu'il s'est comme oublie de luy-meme, et de qu'il etoit, pour vous venir chercher dans le 
rien du peche, afin de vous en retirer. 

Demandez-luy qu'il luy plaise d'aneantir votre volonte, pour ne plus vouloir que comme par la sienne ; et 
proposez-vous pour vertu la pauvrete d'esprit qui se pratique au dedans par le renoncement a soy-meme, et au dehors 
par l'amour et l'estime de la pauvrete dans tout ce qui est a notre usage, ainsi que l'esprit de notre Institut nous le 
recommande. 

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Le cinquieme jour 

76. Considerez Jesus-Christ dans sa retraite en Egypte. II se rend un exile ; il fuit le monde, et le monde le 
persecute. Jetez une ceillade de cceur sur la Sainte Vierge et sur S. Joseph, qui quittent de nuit leur maison, sans dire 
adieu a personne, qui s'en vont souffrir l'exil avec Jesus-Christ, et partent comme des gens abandonnez a la Providence. 

Adorez Jesus-Christ qui etant le Createur et le maistre de tout, a voulu se reduire a souffrir la persecution de 
ses creatures pour l'amour de vous. 

Remerciez-le de ce qu'il a voulu vous apprendre par son exemple a fuir le monde, et a ne faire aucun cas de ses 
caresses meurtrieres. 

Demandez-luy la grace de hair le monde, et tout ce qui ressent son esprit et ses pratiques ; et proposez-vous 
pour vertu la patience dans vos infirmitez et dans celles du prochain qui vous font souffrir quelque chose. 

Le sixieme jour 

11 . Considerez Jesus-Christ dans sa retraite pendant les trois jours qu'il fat perdu en Jerusalem ; il se separe et 
y demeure pour faire l'ceuvre de son Pere celeste, sans avoir egard aux larmes et aux peines de sa sainte Mere, vivant 
d'aumone, se retirant parmy les pauvres, etc. O quel spectacle ! 

Adorez Jesus-Christ qui vous a enseigne a quitter pere et mere pour servir Dieu et travailler a votre salut. 

Remerciez-le de ce qu'il a voulu vous dormer de si admirables exemples, sans epargner sa tres sainte Mere et 
son cher pere nourricier S. Joseph. 

Demandez-luy la grace d'etre fidele a votre vocation, et proposez-vous pour vertu le detachement des creatures 
pour n'estre qu'a Dieu seul. 

Le septieme jour 

78. Considerez Jesus-Christ dans lequel sont renfermez tous les tresors de la sagesse et de la science de Dieu, 
de sa grandeur et de sa puissance, menant une vie cachee pendant les trente premieres annees de sa vie, travaillant avec 
S. Joseph, luy obeissant, et a la Sainte Vierge, passant pour un artisan comme son pere, et ne faisant paroitre aucune 
marque d'erudition. II arriva aussi que des qu'on le vit precher, on se mit a dire avec etonnement : He, ou cet homme a-t- 
il appris les lettres ? 

Adorez la Sagesse de Dieu, qui a voulu ainsi se couvrir des apparences de l'ignorance, et se reduire a 
l'obeissance pour l'amour de vous. 

Remerciez-le de ce qu'il a voulu vous enseigner par ces admirables exemples la mortification de votre 
jugement, et celle de votre volonte par la soumission d'esprit, et par son obeissance. 

Demandez-luy la grace de mepriser votre propre jugement, et de bien accomplir votre voeu d'obeissance, et 
proposez-vous pour vertu l'obeissance. 

Le huitieme jour 

79. Considerez Jesus-Christ dans sa retraite du desert, ou il jeune quarante jours, et souffre que le demon le 
tente. II y est dans une solitude si eloignee de la compagnie des hommes, qu'un Evangel iste dit qu'il etoit avec les 
betes. C'est par la solitude et par le jeune qu'il se dispose a vaincre les tentations, et a paroitre au monde ; afin que cette 
disposition nous servit d'exemple. Jetez un coup d'oeil de coeur sur la sainte Vierge, qui durant l'absence de son bien- 
aime etoit de son cote dans une grande retraite. 

Adorez Jesus-Christ dans sa solitude, qui a voulu vous y instruire des moyens dont il faut se servir pour vaincre 
le demon et la concupiscence, et pour devenir utile a soy-meme, et aux autres. 

Remerciez-le de ce qu'il a comme jete les fondements de la vie solitaire pas la pratique qu'il en a voulu faire 
luy-meme, et nous nousmontrer par la le besoin que nous avons de retraite. 

Demandez-luy l'esprit de penitence et de retraite, et proposez-vous pour vertu l'exactitude a l'observance de vos 
Regies. 

Le neuvieme jour 

80. Considerez Jesus-Christ retire dans le jardin des Oliviers avant sa mort, ou il souffre l'agonie, et la sueur de 
Sang : ou il recoit de la consolation d'un Ange, luy qui est le Dieu des Anges ; et ou il se prepare a consommer l'ceuvre 
de notre Redemption. Jetez une ceillade de coeur sur la Sainte Vierge retiree dans le secret de la solitude pendant que son 
Fils etoit dans l'exercice de sa Passion, elle qui savoit tout ce qu'il souffroit, et devoit souffrir. 

Adorez Jesus-Christ dans l'etat d'affliction ou sa chante envers nous l'a mis. 

Remerciez-le de ce qu'il a voulu pourvoir a votre consolation dans la vie et dans la mort, en vous instruisant par 
son exemple, et en vous la meritant par sa desolation. 

Demandez-luy la grace de ne chercher votre consolation qu'en luy, et de ne l'attendre que de luy ; et proposez- 

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vous pour vertu la fidelite a la priere, et l'attachement a la volonte de Dieu dans les secheresses. 
Le dixieme jour 

81. Considerez Jesus-Christ retire dans le Saint Sacrement de l'autel, ou il paroit toujours devant son Pere 
eternel en etat de victime, et ou il luy rend de secretes adorations, et une gloire continuelle. 

Adorez Jesus-Christ dans cet etat ou la charite l'a mis, afin de pouvoir recommencer jusqu'a la fin du monde a 
mourir mysteneusement pour le salut des hommes. 

Remerciez-le de ce qu'il s'est mis dans cette retraite, comme pour servir d'ostage pour vous a la justice de Dieu, 
et pour se mettre souvent comme un sceau sur votre coeur, en vous servant en meme temps de nourriture et de vie. 

Demandez-luy la grace de ne vivre que pour luy, puisque vous ne vivez que par luy ; et proposez-vous pour 
vertu de mourir a vous meme, par l'acceptation et la victoire des contradictions et des repugnances, afin de ne vivre qu'a 
Dieu seul. 



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Chapitre Quatrieme 

Sur l'estime et la pratique que nous devons faire tie ces paroles de Jesus-Christ, 
de se renoncer soy-meme, de porter sa croix, et de le suivre 



Se renoncer soy-meme 

1 . On ne peut point douter de la necessite de se renoncer soy-meme dans quel que etat qu'on se trouve, puisque 
tous les Chretiens sont compris dans ces paroles de Jesus-Christ : Si quelqu'un veut venir apres moy, qu'il se renonce 
soy-meme. Ny le pauvre, ny le riche, ny le seculier, ny le religieux ne peuvent etre receus a sa suite, qu'ils 
n'accomplissent cette condition. II faut done s'y resoudre, et estimer le genre de vie qui nous en fournit le plus de 
moyens, et qui nous en facilite l'usage comme le plus avantageux. Le monde et ses engage -mens font beaucoup 
d'obstacle a ce renonce-ment. O qu'il faut done que ceux qui y sont engagez par etat se fassent de violence pour le bien 
accomplir ! 

2. Quoy que cette necessite soit absolue, Jesus-Christ veut neanmoins laisser la liberte dans son entier ; et il 
nous montre que l'amour de Dieu envers l'homme ayant resolu de recevoir de l'homme un retour d'amour qui tut 
entierement libre, il ne veut ny commander, ny contraindre ; mais nous attirer apres luy par des liens de charite et de 
liberte. Tout ce qui semble done rude dans cette condition, doit etre bien adoucy par la charite du Maistre, qui nous veut 
attirer a sa suite et a ses biens eternels d'une maniere si suave. 

3. Si la condition de ce renoncement paroit dure, (car qu'est-ce que se renoncer soy-meme, si ce n'est ne vouloir 
non plus avoir d'egard a notre propre volonte, a nos desirs et a nos affections, que si nous cessions d'etre nous-memes ?) 
elle ne peut etre imputee ny a aucun caprice, ny a aucun chagrin du Maitre qui la propose. La vie laborieuse et destitute 
de toute consolation humaine, les travaux et les souffrances qu'il a embrassez en font foy, et en se renoncant soy-meme 
le premier, il a fait comme le bon medecin, qui prend luy-meme la medecine, toute amere qu'elle est, pour attirer son 
malade a en faire autant. Ce n'est que pour le guerir et le tirer de la mort, qu'il en use ainsi. Apres cela qui peut douter 
des bonnes intentions du medecin, et de la necessite de ce qu'il ordonne ? 

4. En effet, si nous considerons de pres ce nous-memes, auquel il faut renoncer, nous trouverons que ce qui le 
compose et le nourrit n'est qu'un ramas d'humeurs peccantes, d'affections depravees, de connoissances erronees, de 
desirs dereglez, et de mauvaises habitudes, qui mettroient la desolation et la mort partout, si on n'avoit soin de les 
purger. Si done ce nous-memes est devenu tel par le venin du peche qui a corrompu la nature, et est par consequent 
devenu si contraire a Dieu, a la raison et a la justice, faut-il s'etonner si la necessite de se renoncer soy-meme est si 
pressante ? 

5. Pour vivre chretiennement, il faut eviter le mal et faire le bien. Le nous-memes dans l'etat de la nature 
corrompue a son inclination vers le mal, comme la pierre a se porter en bas ; et ses difficultez vers le bien surnaturel, 
comme la pierre a s'elever en haut. Le renoncement a nous-memes etant ce qui retient l'un et qui pousse l'autre, est done 
absolument necessaire au salut. Mais on ne pourra jamais vivre meme en homme raisonnable qu'en y renoncant, puis- 
que l'homme animal qui se trouve dans ce nous-memes, est revolte contre la raison, et l'entraine apres soy, a moins 
quelle n'y renonce. Oii trouver done le salut et le remede, sinon dans ce renoncement que Jesus-Christ propose ? 

6. Si nous voulons nous plaindre et nous etonner de l'amertume du remede, auquel la nature corrompue a tant 
de repugnance, nous n'aurons pas plus de raison que le malade qui se plaint du medecin, parce que les remedes sont 
desagreables au gout. Le medecin luy repondroit : les maux ne se guerissent que par leur contraire, les chauds par les 
froids, et les froids par les chauds. Les remedes propres a guerir les corps sont presque tous amers et degoutans : et e'est 
la Providence divine qui en a ainsi dispose. Ce n'est done pas moy qui suis la cause de l'amertume que vous ressentirez 
en prenant le remede ; e'est votre maladie. 

7. Mais Jesus-Christ le celeste Medecin nous dira avec bien plus de raison et de verite : la maladie de votre 
ame ne vient que de la volupte, et du desir de jouir des plaisirs des sens ; faut-il done vous etonner si je vous ordonne ce 
qui luy est oppose ? Vous devez vous consoler de ce que j'y joins le baume de ma grace qui a la vertu de faire trouver 
des delices a votre ame toute infirme qu'elle est, dans ce qui est le plus amer a votre nature corrompue. Que peut-on 
rephquer a une ordonnance du celeste Medecin, qui est si sage, si charitable et si necessaire ? 

8. Si le renoncement a nous-memes que Jesus-Christ enseigne, est un remede divin qui guerit 1'ame et ses 
maux, qui la preserve de la rechute, et qui luy donne beaucoup de paix interieure ; combien devons-nous estimer ce qui 
nous met dans la bienheureuse necessite de nous en servir, et qui eloigne de nous ce qui peut relever et fortifier ce nous- 
memes, qui revit et se reproduit si facilement ? Notre etat et nos Regies nous fournissent cet avantage. 

9. C'est un grand avantage, pour ne pas mterrompre l'usage du divin remede du renoncement a nous-memes, 
que d'avoir abandonne le monde, d'en demeurer separee ; et d'etre exempte des sollicitudes des choses de la terre. C'est 
ce que vous trouvez dans votre etat et dans vos Regies d'une maniere tres singuliere. 

10. C'est un grand avantage pour ne point mterrompre l'usage de ce divin remede, que d'etre dans la pratique 
continuee et jamais interrompue des memes exercices de piete, et sans meme retirer la nature de ses usages ordinaires 
sous pretexte de recreation. La terre que nous foulons aux pieds travaille a reproduire ses chardons et ses mauvaises 

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herbes des aussitot qu'on cesse de la remuer, et qu'on la laisse reposer. Le cceur humain fait le meme quand il cesse 
d'etre cultive par ses exercices ordinaires. La poutre que l'ouvrier a elevee en l'air avec bien du travail, ne luy pese 
presque plus sur l'epaule, quand apres l'avoir elevee, il a mis dessous un morceau de bois de travers ; mais pour peu 
qu'on retire ce bois sur lequel la poutre est retenile, le fardeau retourne sur ses epaules, et s'il ne le replace promptement, 
la pesanteur du fardeau le met en danger de tout laisser tomber par terre, et de se voir contraint de reprendre une 
seconde fois la peine et le travail que luy avoit coute l'elevation de cette poutre. La meme chose arrive souvent a la 
personne religieuse qui a interrompu, ou relache l'habitude de ses observances ordinaires. Car cette habitude est comme 
ce bois mis de travers ; elle soutient le fardeau tant qu'elle demeure dans sa place ; mais le fardeau retombe sur la 
personne, et elle le ressent a proportion que son habitude se dimmue par l'interruption. Vous trouvez cet avantage dans 
votre etat et dans vos Regies ; car tout y tend a mettre la stabilite et a l'y entretenir dans toutes ses pratiques religieuses. 

11. II y est dit, que la cellule deviendra bientot ennuyeuse a celuy qui prendra l'usage d'en sortir pour des 
causes legeres. Ce qu'elles disent de la cellule et du silence, doit s'apphquer a tous les autres exercices de l'Ordre, et 
vous fait assez connoitre ce que produit la continuation d'une bonne habitude et son interruption. 

12. C'est un grand avantage, que de trouver dans le saint renoncement qu'on a embrasse par etat, les moyens 
d'etre exempt des soins, des chagrins, et des travaux de la vie, et de joindre la tranquillite de la raison et de la 
conscience. Chacun convient que ces deux choses sont necessaires pour etre heureux dans la vie autant qu'on le peut 
etre. Vous devez done bien honorer votre etat et les Regies de votre Ordre ; car vous y trouvez ces avantages. 

13. Vous y etes exempte de toute sollicitude pour vos besoins corporels que vous trouvez aussi facilement que 
s'ils croissoient dans vos jardins ; exempte des adversitez qui naissent de ce qu'on appelle jeux de la fortune ; et exempte 
en fin des durs travaux de la vie que les enfants du siecle sont engagez de souffrir par les necessitez et par les cupiditez. 
Mais pour ce qui est de la tranquillite de la raison qui nait de la bonne conscience, vous l'y pouvez trouver autant qu'il 
est possible, puisque toutes vos Regies ne tendent qu'a vous eloigner des occasions de pecher, et de tous les objets qui 
emeuvent et attirent la concupiscence, pour luy faire recevoir et en suite enfanter le peche. 

14. Nous serons done les plus heureux de tous les hommes, si nous sommes fideles a bien user du remede du 
saint renoncement que Jesus-Christ nous a ordonne, et que l'Ordre des Chartreux nous a prepare ; mais nous serons 
aussi les moins heureux de tous, si nous nous en ecartons en voulant reprendre quelque chose de nous-memes. Car notre 
etat nous pnvant de tout ce qui peut le plus flatter les sens, nous nous trouverons privez des consolations spirituelles 
aussi bien que des corporelles. 

Qu'il porte sa croix 

15. C'est un grand honneur au patriarche Isaac d'avoir represents en figure Jesus-Christ portant sa Croix ; mais 
depuis que Jesus-Christ l'a portee luy-meme sur le Calvaire, et qu'il est mort sur la Croix, nous avons l'avantage de 
pouvoir l'imiter par effet, en obeissant a sa voix qui nous invite a porter notre croix apres luy. Ce nous doit etre un grand 
honneur de pouvoir faire en, cela ce que Dieu a fait luy-meme. 

16. Nous ne pouvons point douter de la Divinite de Celuy qui nous appelle a cet honneur, non plus que de sa 
charite, puisqu'elle l'a porte jusqu'a donner sa vie pour nous. Sa sagesse est celle de Dieu meme. Si nous sommes done 
convaincus de la Divinite, de la charite, et de la sagesse de celuy qui nous appelle, nous devons reconnoitre que d'obeir 
a Jesus-Christ en portant notre croix apres luy, c'est une chose tres-sage, tres-aimable, et qui tient du divin. 

17. Nous ne pouvons point douter que ce ne fut un decret eternel de Dieu que son Fils bien-aime consomma sa 
vie sur la Croix, puisque ny sa priere dans le jardin, ny l'agonie qui luy fit decouler jusqu'a terre une sueur de Sang, ne 
purent Ten exempter. Ses exemples et ses paroles nous doivent done rendre convaincus que la necessite de porter sa 
croix apres luy est indispensable a tous ceux qui pretendent avoir part a sa gloire. 

18. La Croix est un abrege du mystere de Dieu ; et si on le veut trouver, il faut le chercher ou Jesus-Christ, qui 
est sa vertu et sa sagesse a ete attache. Car c'est la ou on le trouve ; mais elle contient aussi le mystere de notre 
consolation, de notre delivrance du mal, et de la guerison des mauvaises habitudes que nous avons contractees en 
suivant les mouvements de la nature corrompue. Faut-il done s'etonner si les Saints ne se sont point contentez des 
adversitez ordinaires de la vie, dont est compose ce qui s'appelle croix ; mais qu'ils ont appliquee leur industrie a se 
composer des croix volontaires d'austeritez et de privations, pour y crucifier leur chair avec ses vices et ses cupiditez. lis 
ont reconnu les pieges et les dangers de cette vie mortelle, et s'y voyant exposez, ils se sont compose des croix 
volontaires, afin de se mettre plus en surete, en se mettant comme a l'abry sous ces croix. 

19. La matiere commune des croix de la vie vient ou de la disposition immediate de la Providence, comme sont 
les peines du corps ou de L'Esprit ; ou de la malice du Demon, et des hommes ; ou bien de la rebellion de la nature 
corrompue. La premiere doit etre recetie avec beaucoup de respect, comme venant de la main de Dieu, qui nous la 
presente luy-meme ; la seconde doit etre consideree comme une chose qu'il permet pour exercer notre foy et notre 
fidelite a suivre ses loix ; pour nous engager a recounr a son secours ; et pour nous detacher des creatures ; et la 
troisieme doit etre regardee comme un moyen de reconnoitre notre misere et le besoin que nous avons de la grace de 
Dieu ; et comme un moyen de faire de dignes fruits de penitence, en combattant et surmontant les vices et les 
concupiscences, qui nous ont vaincus nous-memes en nous faisant offenser Dieu. 

20. Mais toutes ces croix etant communes a tous les Chretiens, considerons et embrassons celles que notre saint 
Instituteur s'est fabriquees pour luy et pour nous. Car c'est par leur moyen qu'il s'est mis en surete contre les dangers ou 

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sont au monde plusieurs Chretiens, ou de fuir la croix, ou de la laisser trainer par terre, ou de la laisser tomber, ou bien 
de la quitter tout a fait. 

21. On place la Croix dans les endroits d'ou Ton veut chasser le Demon, et on luy oppose le signe de la Croix 
partout, comme ayant la force de le chasser. Notre bienheureux Pere a voulu faire le meme, et ayant reconnu que les 
plus dangereux endroits par ou le demon peut entrer dans nos ames, sont l'entendement, la volonte, et les sens, il s'est 
ingenie a leur fabriquer des croix, pour y etre appliquees, et nous mettre plus en surete contre ces ennemis de notre 
salut, qui cherchent nos ames pour les enlever. Combien devons-nous done honorer ces croix, que la charite a mventees 
et composees pour assurer notre salut ? 

22. La croix qu'il a preparee pour notre entendement, est composee de la vie cachee et comme ensevelie aux 
yeux du monde, qui s'oppose au demon de la vaine complaisance de passer pour gens d'esprit ; de l'amour de la rusticite 
et de l'abjection, qui s'oppose au demon de vouloir plaire au monde ; et de l'amour de la correction, qui s'oppose au 
demon de la presomption et de l'aveuglement de la raison. Les paroles de nos premiers Statuts nous disent sur cela, que 
celuy a qui on a fait une correction ne doit point s'excuser pour lors, quand meme la chose qu'on luy a impute ne seroit 
point veritable, mais se prosterner et se reconnoitre coupable. Ce qui y est dit de la vie cachee, de la sainte rusticite, et 
de l'abjection, est de la meme force. Un entendement qui est done muny de semblables croix, et qui s'y tient fidelement 
attache, chasse bien loin le demon, et y est a couvert de ses pieges et de ses insultes. 

23. La croix quil a preparee pour notre volonte est un genre d'obeissance, qui nous engage a ne faire aucune 
chose, pour bonne qu'elle nous paroisse, qu'elle n'ait ete auparavant approuvee par le Superieur. Cette croix est oppose 
au Demon de la presomption, de l'indiscretion, et de l'excez qui trompe la volonte, ou en luy persuadant de changer la 
croix de son observance en une autre que l'amour propre qui l'a fabriquee luy fait paroitre meilleure ; ou en la poussant a 
des extremitez dont elle se lasse bientot apres ; ou bien en luy faisant entreprendre des choses, qui ayant mine la sante 
du corps, rendent un homme incapable de toute observance reguliere. D'ou il arrive que cet homme devient occupe a 
caresser son corps au lieu de le mortifier, et plus attache a suivre les ordonnances du medecin, que les regies de la 
sobriete religieuse. 

24. Pesez sur cecy ces paroles du livre incomparable de l'lmitation de Jesus-Christ. « II y a des personnes 
imprudentes qui se sont servy de la grace de la devotion pour se detruire eux-memes, parce qu'ils ont voulu faire plus 
qu'ils ne pouvoient, et que, ne considerant point assez combien ce qu'ils entreprenoient etoit disproportionne a leur 
foiblesse, ils ont plutot suivy dans leur conduite le zele de leur coeur, que le jugement de la droite raison ; et parce qu'ils 
ont eu la presomption d'entreprendre plus que Dieu ne demandoit d'eux, ils ont bientot perdu cette grace qu'ils avoient 
recetie. Ils sont tombez tout d'un coup dans la pauvrete et dans la bassesse, eux qui comme des aigles avoient voulu 
mettre leur nid jusque dans le Ciel, afin qu'etant humiliez et abbaissez, ils apprissent a ne point penser voler, comme 
s'ils avoient des aisles ; mais qu'ils doivent mettre toute leur esperance sous l'ombre et la protection de mes aisles. Ceux 
qui sont encore nouveaux et inexperimentez dans la voye de Dieu seront facilement trompez et en danger de se perdre, 
sils ne se laissent conduire par ceux qui ont de experience et de la discretion. Que s'ils croyentplutot leur propre sens, 
que les avis das personnes qui ont de l'experience, les suites leur en seront fort dangereuses, a moins qu'ils ne renoncent 
a cette attache a leur sentiment. » Une volonte qui est done munie de la croix de ce genre d'obeissance, et qui s'y tient 
fidelement attachee, est preservee du danger d'etre trompee par ce Demon, qui est d'autant plus dangereux, qu'il se 
transfigure en ange de lumiere. 

25. II a enfin prepare plusieurs croix a nos sens, parce qu'ils sont comme autant de fenetres par ou le Demon 
peut faire entrer la mort chez nous ; et ces croix sont composees de la separation de tout commerce avec le monde, qui 
est un grand moyen pour n'etre point ensorcele par la vamte ; de l'abstmence de chair qui preserve de beaucoup de 
tentations et de relachemens ; de demeure fixe dans le cloitre ; de l'eloignement de ce qui peut exciter et nourrir la 
curiosite ; et de plusieurs autres semblables choses, qui sont autant de preservatifs contre les pieges du Demon, 

26. II s'est contente de garder seulement pour les sectateurs de son Institut ce qui est suffisant pour leur 
conserver la sante du corps et de l'esprit, et y a etably tout dans un milieu qui retranche aux sens ce qui peut nuire a 
l'ame, et dont on peut se passer ; mais qui evite les excez. Afin que tout nous servit ainsi par une juste proportion pour 
bien continuer a porter notre croix sans en interrompre L'exercice et sans la laisser tomber par terre. 

27. Avec combien de respect et de courage devons-nous done embrasser ces croix, puis qu'elles nous sont si 
utiles, si saintement. et si sagement composees, et avec une proportion si juste, qu'en accordant le necessaire, elles 
retranchent tout le superflu ; et en rejetant les excez, elles mettent tout dans un juste temperament. C'est ce qui donne le 
moyen de les bien porter avec perseverance ; au lieu que l'entreprise d'une vie austere sans ce temperament, ressemble 
souvent a ces fusees volantes, qui s'elevent en l'air en faisant un beau feu ; mais des que la matiere est consumee, il n'en 
reste qu'un morceau de bois brule par le bout, qui retombe a terre. 

28. Ce n'est point assez que de commencer une bonne vie, il faut la continuer, et y perseverer jusqu'a la fin. 
C'est de quoy la composition de notre croix cartusienne nous fournit les moyens, si nous la tenons bien sans la quitter, 
ou la changer ; et si nous la portons apres Jesus-Christ en la maniere que notre Institut nous 1 'enseigne. 

29. Si nos croix paroissent dures a la nature et aux yeux du monde, elles deviennent douces aux ames a mesure 
qu'elles se rendent fideles a les bien porter. La grace de Dieu y met une onction que les enfants du siecle ne connoissent 
point, et s'ils disent que ce qui est amer au gout est souvent bon au coeur ; nous leur dirons aussi que ce qui est penible 
au corps, est souvent suave a l'esprit. Si nos croix leur font peur a voir, c'est qu'ils n'en voyent point l'onction ; mais 
nous la sentons, et si nous nous etudions bien a correspondre a la grace de notre vocation, nous ressentirons 

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l'accomplissement de ce que Dieu promet par son Prophete : Que lejonc se pourrira par Vabondance de I'huile ; un bois 
pourry n'a plus de durete, ny presque de pesanteur. L'onction de la grace sera le meme a l'egard de toutes les croix qui 
paroissent les plus dures et les plus pesantes a la nature. Elles les rendra douces et legeres et remplira nos ames de 
celestes consolations. 

30. Apres cela pouvons-nous nous plaindre de l'engagement ou Jesus-Christ met tous les Chretiens de porter 
leur croix apres luy, s'ils veulent avoir part a sa gloire ? pouvons-nous sans renoncer a la consolation de nos ames, et a 
l'assurance de notre salut, negliger de bien porter celles que notre Institut nous a presentees et que nous avons 
embrassees volontairement, puisque ce sont des croix d'honneur, des croix benites, et des croix ointes de I'huile du 
Paradis ? 

Et qu'il me suive 

31. Pour parvenir a la gloire de Jesus-Christ, il faut le suivre, et on n'y peut entrer qu'en le suivant. La necessite 
en est evidente. II n'est question que de la maniere de le suivre, qui consiste en trois choses. 1 . A marcher comme luy en 
la sainte dilection. 2. A nous hater de marcher par quelque chemin que ce soit, qu'il luy plaira de nous conduire. 3. Et a 
ne point cesser de marcher sans regarder derriere nous. C'est luy-meme qui nous l'enseigne ainsi par ses paroles et par 
celles de ses apotres. Marchez dans la dilection, tout de meme que Jesus-Christ qui vous a aimez ; c'est son Apotre S. 
Paul qui parle. Personne n'est propre pour le royaume de Dieu, qui ayant une fois mis la main a la charrue, regarde 
derriere soy ; c'est Jesus-Christ qui parle. Enfin il repond a celuy qui luy demandoit permission d'ensevelir son pere : 
Laissez les morts ensevelir leurs morts, mais vous suivez-moy. 

32. La necessite est heureuse qui nous engage a chercher, et a trouver notre bonheur eternel ; et la maniere en 
est si sainte, qu'elle merite tous nos respects, et tout notre acquiescement. Ou irions-nous et que deviendrions-nous pour 
toute l'eternite, si nous ne suivions Jesus-Christ, puisque c'est luy qui est la voye, la verite et la vie ? 

33. Marcher dans la dilection, a l'exemple de Jesus-Christ, rien n'est plus saint, rien n'est plus juste, rien n'est 
plus raisonnable. C'est aimer comme Dieu, c'est aimer par I'Esprit de Dieu. Mais comme l'Espnt de Dieu veut mettre la 
liberie dans Lame ; et que la ou il est, la est la liberie, ainsi que l'Apotre nous l'assure ; il faut done, pour marcher dans 
cette sainte dilection, detacher son coeur de l'affection des creatures, puis qu'en nous y attachant, nous engageons notre 
liberie, et nous mettons ainsi de 1 'obstacle aux desseins de I'Esprit de Dieu. 

34. Que penserions-nous d'un voyageur qui ayant un long et difficile chemin a faire, se chargeroit d'un bagage 
superflu ? Que dirions-nous si outre ce bagage, il se chargeoit encore en chemin de tout ce qu'il rencontreroit d'agreable 
a ses yeux ? Nous dirions sans doute que ce voyageur n'ira pas loin, qu'il faudra qu'il jette en chemin ce qu'il porte, ne 
pouvant sans cela suivre ses compagnons qui ne sont chargez de rien, et qui vont bien vite ; ou bien qu'il demeurera en 
chemin, qu'il s'assiera a terre pour se reposer, et cessera de les vouloir suivre. La meme chose arrivera a celui qui s'etant 
mis a la suite de Jesus-Christ, voudra porter avec soy un gros bagage d'affection aux creatures, et autant de fois qu'il 
mettra ses affections aux choses agreables a ses sens qu'il rencontre en son chemin, ce seront autant de nouveaux 
fardeaux dont il se chargera. Quelle folie est-ce de se vouloir ainsi charger en son chemin des choses qu'il faut quitter, 
ou quitter Dieu en cessant de suivre Jesus-Christ ! 

35. Ne sommes nous point deja assez chargez de ce pesant fardeau dont l'Ecriture parle, lorsqu'elle nous 
apprend, que le corps qui se corromp surcharge l'ame, et que cette maison composee de terre appesantit V esprit dont 
les pensees s'etendent loin. Qu'est-il done besoin d'ajouter a cette pesante charge de nouveaux fardeaux composez de la 
terre qu'on trouve en son chemin ? 

36. C'est a quoy notre saint Instituteur a voulu pourvoir dans nos Regies, en nous y etablissant les moyens les 
plus propres pour retirer nos affections des choses creees. Nous n'avons qu'a voir ce qu'elles disent a ceux qui viennent 
de faire profession chez nous: Qu'ils se doivent considerer comme n'etant plus a eux, ny meme maistres du baton sur 
lequel ils s'appuyent. Nous n'avons qu'a voir ce qu'elles disent sur ce que nous pouvons avoir dans nos chambres et 
ailleurs pour nos besoins. On ne nous en accorde que le simple usage, avec la condition de nous loter quand le Superieur 
le jugera a propos, sans que nous puissions nous en plaindre, ny en murmurer. Nous n'avons qu'a voir ce qu'elles disent 
des entretiens des seculiers, des visites, et des affections des parents qu'elles ordonnent d'eviter ; ce qu'elles disent des 
recreations extraordinaires, et de tant d'autres choses, qui chatouillent naturellement les affections, et nous serons 
convaincus que tout y tend a nous retirer de ce qui engage le coeur et la liberie d'esprit. He, pourquoy l'ordonnent-elles 
ainsi ? C'est pour nous disposer a ne mettre point d'obstacle a la pure dilection, et a cette sainte liberie que le Saint 
Esprit veut donner aux ames qui veulent efficacement suivre Jesus-Christ. 

37. II faut nous hater pour le suivre, puisque tout nous y engage et nous le preche ; le temps qui passe si vite, la 
brievete de la vie, le moment incertain de notre mort, les avertissements que nous donne le Maistre que nous suivons, 
qui sont repandus dans tout l'Evangile, et les paroles de ses Apotres. Marchez, dit Jesus-Christ, pendant que vous avez 
du jour, de peur que les tenebres de la nuit ne vous surprennent. He, qui scait quand ces tenebres viendront puisque 
personne ne sait ny le jour, ny l'heure de sa mort. Hdtons-nous de marcher, dit saint Paul, afin d'entrer dans ce repos, 
pendant qu'on peut I'appeler aujourd'huy. He, qui sait qu'il aura le lendemain ? C'est pour cela que notre saint 
Instituteur en composant nos Regies, a retranche ce qui pourroit nous amuser, ou nous occuper inutilement, ou nous 
faire prendre le change ou bien nous retarder sur le chemin par lequel Jesus-Christ nous veut mener a sa suite. Tout nous 
presse, il ne faut done point nous amuser. 1 

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38. La femme de Loth convertie en statue de sel pour avoir regarde derriere elle, et pour n'avoir point obei a la 
voix d'un ange, devroit deja etre une suffisante lecon pour ne point regarder derriere soy, quand Dieu luy-meme nous dit 
de le suivre ; mais Jesus-Christ s'en etant explique nettement, et ayant dit que celuy qui regarderait derriere soy ne seroit 
point propre au royaume des Cieux, on ne peut point douter que cette condition ne soit necessaire. 

39. Qu'est-ce que regarder derriere soy ? C'est permettre a la nature de faire des retours sur ce qui a rapport 
avec ses affections corrompues ; c'est se mettre en danger par ce moyen de perdre Jesus-Christ de veile ; c'est se mettre 
mdiscretement dans l'occasion d'etre tente par les objets, et s'attirer les moyens qui nous peuvent faire retourner en 
arriere. He, que scavons-nous si ces objets en nous tentant, ne nous feront point perir ? 

40. Ecoutons sur cecy les sentiments de saint Jean Chrysostome. « Pourquoi, dit-il, celuy qui a fait le 
commandement d'honorer ses parents, qui a tant recommande les oeuvres de misericorde, a-t-il repondu a ce fils, a qui il 
avoit dit, suivez moy, et qui lui avoit demande seulement la permission d'aller auparavant ensevelir son pere : Laissez 
les morts ensevelir les morts, mais vous, allez, etc. ? Les religieux, dit ce saint Pere, doivent etre les imitateurs des 
Apotres, et nous ne pouvons imiter les Apotres qu'en faisant comme eux. Que personne de vous, mes tres chers, ne dise 
done : J' ay mon pere, j'ay ma mere ou d'autres personnes qui portent les noms de parentage. Vous avez icy Jesus. He, 
que chercheriez-vous dans ces personnes, ou qui sont peut-etre deja mortes, ou qui mourront bien-tot ? Celui qui a 
Jesus, a son pere, a sa mere, a ses enfants, et tous ses parents. Pourquoi cherchez-vous les morts ? suivez celui qui est 
vivant, et laissez les morts ensevelir les morts. Un de ses disciples luy dit : laissez -moy aller pour ensevelir mon pere ; il 
ne dit point pour demeurer avec luy, mais seulement, laissez-moy aller pour une heure. Que repond a cela le Seigneur : 
Laissez les morts ensevelir leurs morts. Vous pourriez perir en une heure, et en voulant ensevelir un mort, vous mourriez 
vous-meme. Voila comme parle ce saint homme ; n'a-t-il point raison ? 

41. Si Jesus-Christ est notre teste, et nous ses membres, il faut que nous le suivions, a moins que de vouloir etre 
separez de luy. Si pendant qu'il court nous nous arretons, ce n'est point le moyen de nous approcher de luy, mais de nous 
en eloigner. II faut done toujours avancer, et reconnoitre que de ne point avancer dans la voye de Dieu, c'est reculer, 
puisqu'on perd le temps et les moyens de s'approcher de luy. 

42. Souvenons-nous de ce qui est arrive a saint Pierre, qui ne suivoit Jesus-Christ que de loin ; il renia son 
Maistre bientot apres ; et si Jesus-Christ ne l'eut regarde de son ceil de misericorde, il seroit pery. He, de quoy nous 
serviroit de suivre Jesus-Christ, si nous ne parvenions a le rejoindre et etre avec luy ? 

43. Ces trois conditions, de se renoncer soy-meme, de porter sa croix, et de suivre Jesus-Christ, sont 
inseparables l'une de l'autre ; sans elles on ne peut parvenir au royaume de Dieu. Leur pratique nous doit done etre 
autant a coeur, que notre salut eternel. Rien ne peut nous etre plus utile, que ce qui peut nous assurer dans une matiere de 
cette consequence. Les Regies de notre Institut nous en fournissent les moyens les plus assurez. Honorons-les done 
comme nous le devons, en les considerant comme une escorte qui nous garantira des insultes des ennemis, qui sont si 
dangereux sur les chemins de cette vie mortelle, et qui nous conduira par la bonne voye a la verite et a la vie. 

Ainsi soit-il. 



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Chapitre Cinquieme 
sur les paroles et les voeux de notre profession 



1. L'usage de faire des voeux a pris son origine des sacrifices que Dieu a voulu qu'on luy offrit, en 
reconnaissance du souverain domaine qu'il a sur les homines, et sur toutes les creatures. Les hommes voyant de la que 
Dieu agreoit les offrandes, ont juge que ce luy seroit aussi une chose agreable de s'engager par promesses a luy en faire 
de volontaires, c'est a dire par leur propre liberte, sans y etre obliges par aucun commandement de Dieu. Ces promesses 
qui se font a Dieu librement, sont ce que nous appelons voeu. Puisque le vceu est une promesse libre, qu'on n'a point 
exigee de nous, l'honneur naturel demande tout seul, qu'on soit exact a l'accomplir d'une maniere genereuse ; et on en 
est si convaincu, qu'un homme qui manque a sa promesse et meme a sa parole, ne passe plus pour honnete homme. 
Quelle estime meriterons-nous done que Dieu fasse de nous, si nous ne tenons pas les promesses que nous luy avons 
faites ? 

2. II a temoigne depuis par ses loix combien l'usage de faire des voeux lui etoit agreable, puis qu'il a fait tant 
d'ordonnances qui concernent la fidelite a les accomplir, et la mamere exacte qu'on doit y observer. II y a fait connoitre 
combien il se tenoit offense d'une personne qui luy ayant fait des voeux manque a les accomplir. Les menaces et les 
peines qu'il impose a l'infidelite des voilans, fait assez connoitre la grandeur de l'offense. Sa parole ecrite nous avertit 
que c'est une chose abominable devant Dieu qu'une folle promesse ; ce qui ne veut dire autre chose qu'une promesse 
qu'on manque d'accomplir. Apres cela pouvons-nous douter du respect que nous devons avoir pour les voeux, et 
combien c'est une grande offense, de les transgresser en chose considerable ? 

3. Plus la matiere de la promesse qu'on fait a Dieu est relevee et luy est honorable, plus l'injure qu'il recoit de 
celuy qui ne l'accomplit point est considerable. Toutes celles qu'on luy faisoit dans l'ancienne Loy etoient peu 
considerables en comparaison de celles qu'on luy fait dans la nouvelle par les voeux solennels de la Religion. II ne 
s'agissoit poour lors que des choses exterieures, de quelques abstinences, de quelques services, de quelques sacrifices, et 
tout n'y etoit point de duree ; mais dans les voeux de la Religion, il s'agit d'un engagement interieur et exterieur, par 
lequel une personne devient toute devoilee a Dieu, non point pour un temps, mais pour toute sa vie. Les promesses que 
nous faisons done a Dieu par nos voeux solennels, etant d'un prix bien plus releve, que celles de lancienne Loy, nous ne 
pouvons point douter qu'elles ne soient plus agreables a Dieu ; mais nous ne pouvons point aussi douter qu'il ne se 
tienne beaucoup plus offense de celuy qui est a present infidele a les lui rendre. II eut mieux valu ne luy rien promettre, 
puis qu'on etoit en liberte de ne le point faire, que de manquer a se promesse apres l'avoir faite de son plein gre et 
librement. 

4. Que dirions-nous d'un homme qui ayant invite de son plein gre un honnete homme d'aller diner chez luy, le 
renvoyerait en sa maison lorsqu'il vient pour satisfaire a l'invitation qu'on lui a faite ? Nous dirions que celuy qui l'a 
invite a fait une action indigne d'un homme d'honneur, et de bon sens ; qu'il a fait une injure considerable a cet honnete 
homme, et qu'il ne l'avait invite que pour lui faire affront. Appliquons cet exemple a l'injure que fait a Dieu celuy qui, 
apres lui avoir fait des promesse solennelles, refuit de les accomplir ; et jugeons de la ce qu'une ame religieuse infidele, 
negligente, ou qui cherche a faire des rapines considerables sur ce qu'elle a promis a Dieu, merite de mepris, de 
condamnation et de pumtion. 

5. Souvenons-nous de ce qui arriva a Ananie et a Saphire, a qui saint Pierre fit ce reproche avant que de 
prononcer une sentence de mort sur eux : Ce champ, dit-il, n'etoit-il point en votre pouvoir, et n'en etiez-vous point le 
maistre, pourquoy avez-vous done menty au Saint Esprit ? Ne peut-on point dire encore avec bien plus de raison la 
meme chose, et craindre une punition rigoureuse sur celuy qui etant en pleme liberte de ne point faire de voeux 
solemnels ; a qui Dieu n'en a fait aucun commandement ; et qui s'est porte de luy -meme et de sa franche et pure volonte 
a les faire, s'il refuse d'accomplir sa promesse ? Ne peut-on point luy dire : votre liberte n'etoit-elle pas pleme et entiere, 
et n'en etiez-vous pas le maitre ? Pourquoy avez-vous done menty a Dieu en luy promettant ce que vous ne voulez point 
tenir ? 

6. L'importance et l'obligation des voeux de la Religion sont bien a examiner et a considerer avant que de les 
faire, puis qu'il s'agit d'un engagement d'ou depend un grand honneur, ou une grande injure faite a Dieu. Ceux qui sont 
proposez pour examiner l'etat et la vocation des personnes qui se presentent pour faire cet engagement, sont obligez 
d'employer fidelement leurs soins et leur industrie pour en faire connoitre l'importance et l'etendue ; et pour aiderles 
pretendants a se bien eprouver, et s'ils y manquent, ils se rendent responsables a Dieu de toutes les mauvaises suites d'un 
semblable engagement. Ceux qui par artifices ou par menaces font en sorte qu'une personne prend cet engagement par 
faiblesse, ou sans consideration, ou par une espece de necessite, commettent un peche tres enorme, en saenfiant 
l'honneur de Dieu et la liberte d'une ame a leur passion. Mais il faut convenir que ceux qui font embrasse librement et 
avec connoissance de cause, n'ont aucune excuse, ny raison qui les exempte d'un grand peche d'mfidelite a Dieu autant 
de fois qu'ils manquent a leur promesse dans une matiere considerable. 

7. C'est pour cette raison, et pour nous empecher de manquer dans une affaire de cette importance, que nos 
Statuts nous prescrivent avec tant de zele, de remonter et de faire connaitre aux pretendants l'etendue et l'importance de 
cet engagement, jusqu'a tacher de leur faire peur, au lieu de se servir de caresses pour les y attirer. Ils nous prescrivent 

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de leur exagerer les jeunes, les veilles, les abstinences, et les autres pratiques de l'Ordre, en les leur montrant par les 
endroits les plus apres ; et ne veulent point qu'on les admette, qu'apres avoir vu si au lieu de s'effrayer de tout cela, ils 
persistent a le demander avec insistance. Tout cecy ayant done ete si prudemment ordonne, et exactement observe a 
notre egard, pouvons-nous trouver quelque pretexte raisonnable pour nous excuser, si nous manquons a nos vceux ? 

8. Je promets la stabilite, I'obeissance, et la conversion de mes mceurs, etc. voila les paroles essentielles de 
notre profession, qui expriment et qui contiennent notre engagement solemnel ; et s'il n'y est point fait mention de la 
chastete, ny de la pauvrete, e'est que l'une et l'autre sont essentiellement annexees a l'etat religieux que nous 
embrassons, et qu'elles sont renfermees dans celuy d'obeissance. Ces paroles contiennent notre engagement, et ce que 
nous devons faire pour y satisfaire. II est done important que nous les pesions et que nous les entendions bien, afin que 
nous ne manquions en rien au respect, et a la fidelite que nous devons a Celui, a qui nous avons fait les promesses 
qu'elles renferment. 

9. II n'y a que Dieu seul qui est stable. Que voulons-nous done dire en promettant la stabilite ? II est vrai qu'il 
n'y a que Dieu qui soit stable ; que tout le reste change et pent, et le caractere de l'homme dans l'etat de la nature 
corrompue, est bien marque dans ces paroles de Job : L'homme ne d'une femme, vit peu de temps, et est remply de 
beaucoup de miseres. II paroit au jour comme une fleur, qui est en suite foulee aux pieds, et il ne demeure jamais dans 
un meme etat. Mais S. Paul nous dit, qu'il est tres bon de stabiliser le cceur par la grace. II parle icy de l'ame et non 
point du corps. Nos ames peuvent done participer en quelque maniere a la stabilite de Dieu par le moyen de sa grace. 

10. Nous pouvons demeurer fermes dans la justification qu'il nous a une fois donnee. Car il ne quitte jamais 
ceux qu'il a une fois justifie, qu'ils ne l'ayent quitte auparavant. C'est icy la principale stabilite qui est necessaire a tous, 
et sans laquelle il n'y a point de salut. C'est Dieu qui la donne et qui la rend quand une ame l'a malheureusement perdue. 
C'est la pure misericorde qui la previent pour la luy rendre ; et si l'homme y rentre par le libre choix de sa volonte, c'est 
au secours de la grace qu'il en doit dormer toute la gloire. 

11. La stabilite que nous prononcons dans notre profession, et que nous promettons, concerne le dehors de 
notre etat. Elle veut dire qu'il n'est plus en notre pouvoir de changer d'etat ; que nous nous engageons dans l'Ordre des 
Chartreux d'une maniere ferme et stable, sans pouvoir passer dans un autre, et meme que nous ne devons point nous 
porter a changer de maison, que par necessite et par obeissance : mais elle nous veut insinuer que bien eloignez de 
vouloir alterer l'lnstitut de l'Ordre par des relachements qui pourroient s'etre glissez furtivement et avoir ete tolerez 
pendant quelque temps par la negligence ou la pusillanimite de quelque Superieur, nous sommes obligez de cooperer de 
toutes nos forces a maintenir notre observance dans la stabilite ou elle s'est maintenue jusqu'a present par une grace 
speciale de Dieu. 

12. I'obeissance est une vertu d'une excellence et d'une necessite qui sont si reconnues qu'il seroit inutile de 
vous rapporter ses eloges, que vous trouvez assez ailleurs. C'est par la desobeissance que le peche et les suites du peche 
sont entrez au monde : c'est par I'obeissance que Dieu a sauve le monde ; c'est la vertu pratique de Jesus-Christ, fait 
obeissant jusqu'a la moil ; c'est la clef du Paradis et celle qui seroit capable de faire cesser l'enfer en faisant cesser le 
mauvais usage de la propre volonte ; bref c'est la main et l'instrument de la charite qui la met en ceuvre et en pratique. II 
n'est question icy que de bien connoitre, la qualite de celle dont nous faisons profession dans l'Ordre. 

13. Elle se fait d'une maniere absolue et sans aucune condition. Nous ne disons point je promets I'obeissance 
selon la Regie, ainsi qu'il s'observe dans la plus part des autres Ordres religieux ; mais nous disons simplement 
I'obeissance. Pourquoy cela ? C'est que I'obeissance est consideree dans l'Ordre comme au dessus de la Regie, et 
comme la substance de la Regie. Elle est au dessus de la Regie, puisque la Regie dit que si un Superieur ordonne a un 
Religieux d'user de soulagement, outre ce que la Regie permet, il doit luy obeir ; et que s'il luy resistoit en ce cas, sous 
pretexte de zele pour l'austerite, ce seroit a Dieu meme qu'il resisteroit. Elle est la substance de la Regie, puisque la 
Regie dit : Quoy que nous ayons plusieurs et diverses choses que nous observons dans l'Ordre, c'est par Vunique et le 
seul bien de I'obeissance que nous esperons que tout nous sera profitable . Ce sont les propres paroles de nos Statuts. 
Jugeons de la quelle estime tous les enfants de l'Ordre doivent faire de I'obeissance, puisque notre Regie nous avertit, 
que sans elle tout ce que nous ferons sera compte pour rien. Elle est Appelee le seul et unique bien de notre observance. 
C'est assez dit pour nous la faire uniquement estimer. 

14. Nous vous avons deja plus au long explique en vous parlant du renoncement a nous-memes, la qualite et 
l'espece d'obeissance que notre Institut demande de nous ; mais pour nous animer a la bien accomplir, souvenons-nous 
bien de quelle maniere Jesus-Christ a obei pour l'amour de nous, et de I'obeissance que nous devons a Dieu par amour et 
par justice ; souvenons-nous des satisfactions que nous devons faire a sa justice pour avoir fait notre volonte au 
prejudice de la sienne ; souvenons-nous du libre engagement que nous avons pris par notre vceu d'obeissance, d'obeir 
pour l'amour de luy ; afin que nous rendions a Dieu nos voeux d'obeissance d'une maniere qui corresponde a toutes les 
raisons que nous avons d'obeir. 

15. Mais le vceu de conversion de mceurs nous y engage encore par un nouveau titre. Qu'est-ce que ce vceu de 
conversion de mceurs ? C'est une promesse faite a Dieu d'aspirer toujours a se rendre meilleur, en convertissant ses 
mceurs de mieux en mieux ; c'est une promesse de ne jamais quitter le bon propos de s'amender de ses fautes. D'ou il 
faut conclure que la personne qui a fait ce vceu, et qui cesse d'avoir la bonne volonte et l'intention de profiter dans le 
bien et de se corriger de ses fautes, peche contre ce vceu a proportion que sa negligence a aspirer a ce qui est meilleur, 
est grande, ou la faute dont on ne veut point se corriger est considerable. Je dis, dont on ne veut point se corriger ; car 
quand on a la bonne volonte, et qu'on tombe neanmoins en faute par foiblesse humaine, cette chute ne recoit point de 

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caractere singulier contre le vceu de conversion de moeurs. Si on l'entendoit autrement, il faudroit conclure qu'en faisant 
ce voeu, nous nous serions propose d'etre impeccable ; ce qui seroit une erreur et une absurdite bien grande. 

16. Ce vceu nous engage a travailler a devenir saints, puis qu'il nous oblige d'aspirer toujours a ce qui est 
meilleur Combien devons-nous done honorer nos observances regulieres, et nous y perfectionner ! II nous engage aussi 
a corriger jusqu'aux moindres abus qui se seroient glissez dans nos observances, quand on s'en apercoit, et a ne 
pretendre jamais les autoriser du pretexte de coutume, pour longtemps que Tabus fut demeure cache ou tolere, puisque 
notre vceu de conversion de mceurs ne perd jamais rien de sa force. 

17. L'exploit d'un sergent en matiere civile, est suffisant pour empecher la prescription. He, que doit done faire 
chez nous l'engagement d'un vceu sans condition, et sans restrictions, et qui nous oblige a devenir meilleurs ? Peut-on 
devenir meilleurs, et aspirer a la perfection, tant qu'on laisse derriere soy avec connoissance et volonte quelque 
observance de la Regie, comme si la tolerance ou l'inavertance en avoient aneanty la vigueur ? 

18. Nos Statuts empechent la prescription en cecy, puis qu'ils reclament sans cesse contre les coutumes 
opposees a notre Institut pour longues et anciennes qu'elles puissent etre. lis s'en expliquent nettement, et les declarent 
etre de pures corrupteles, pour me servir de ses propres termes. Apres cela quelque personne pourra-t-elle alleguer chez 
nous avec raison, que cette observance exacte du silence, ou de quelqu'autre chose qu'on remet en vigueur dans une 
maison, ou elle s'etoit un peu relachee, ne l'oblige point, parce qu'on ne l'observoit que d'une certaine maniere au temps 
de sa profession ? Son vceu a-t-il change de nature pour pouvoir l'exempter de se corriger ? Et un abus peut-il etre efface 
par le pretexte d'une coutume que la Regie rend toujours nulle et proscrite par sa reclamation ? 

19. Nous avons ete receus dans l'Ordre et nous ne nous appelons Chartreux que pour l'etre par effet. Nous ne 
pouvons l'etre par effet, qu'en rendant nos vceux et nos observances selon l'esprit de la Regie. Cette Regie aneantit et 
proscrit par avance tout ce que les coutumes furtivement etablies pourroient avoir introduit au prejudice de ce qu'elle 
ordonne. Une personne engagee dans l'Ordre est done toujours obligee d accomplir ce que le Psalmiste dit de ces 
degrez de montee, que l'ame doit se disposer dans son cceur. Car tout l'y engage par profession et par etat ; et si au lieu 
de cela, elle veut se disposer des degrez de descente dans son cceur par des relachements et des interpretations faites a sa 
mode, elle sort de volonte hors de son etat, et devient par consequent infidele a Dieu, en voulant faire une rapine dans 
les promesses qu'elle luy a faites, qui ne peuvent changer de nature. 

20. C'est ce vceu de conversion de mceurs qui a fait dire a S. Bernard, que le Rehgieux ne s'est pas seulement 
engage a devenir saint, mais meme a parvenir a la perfection de la Saintete. Car le moyen d'y parvenir se trouve compris 
dans ce vceu, puis qu'il engage a faire une conversion de mceurs qui les fera devenir enfin parfaites, si elles s'augmentent 
toujours en bonte. Avancons done sans cesse pour peu que ce soit, sans reculer en arriere ; et quand notre foiblesse nous 
aura fait faire quelques pas a rebours, animons-nous a le reparer promptement, en travaillant avec plus d'ardeur a 
devenir meilleurs. 

21 Ce vceu de conversion de mceurs est celuy qui perfectionne les autres, parce qu'il engage a les accomplir de 
mieux en mieux. Si nous voulons done le bien honorer dans notre obeissance, nous devons nous etudier a y avancer, en 
montant fidelement par les degrez de cette vertu, qui sont : 

1. Accomplir avec exactitude au dehors ce qui nous est ordonne. 

2. accompagner le dehors d'une entiere soumission de notre volonte a celle de celuy a qui nous devons obeir, 
en meprisant toutes nos repugnances. 

3. captiver l'entendement, et le conformer a celuy des Supeneurs. 

22. C'est ainsi que faisoient ces braves filles de sainte Therese, qui s'en alloient simplement et sans raisonner 
planter dans le jardin un petit concombre cuit, parce qu'on le leur ordonnoit ; c'est ainsi que faisoient les disciples de S. 
Francois, qui s'en alloient planter un chou la tete en bas. C'est proprement ce troisieme degre qui fait ressembler les 
ames obeissantes a saint Paul, dont il est dit qu'ayant les yeux ouverts, il ne voyoit rien ; mais cecy doit toujours 
s'entendre avec discretion. On ne veut point dire que nous devions pour cela etouffer toujours nos raisons et notre 
jugement, car ce seroit un excez vicieux et qui nous porteroit a approuver indifferemment toutes choses, bonnes ou non 
bonnes. Mais on veut dire que nous devons reduire notre jugement volontiers et le plus qu'il se peut a celuy du 
Supeneur, et qu'en toutes choes ou il n'y a point de peche, ny de suites considerables a craindre, le plus aprfait est 
d'obeir sans raisonner, quand on a remontre simplement au Superieur quelque chose qu'il pourroit ne pas scavoir. 

Nous allons vous faire un chapitre expres de la pauvrete, parce qu'elle n'est point exprimee dans les paroles de 
notre profession, quoy que nos Statuts nous fassent assez connoitre que le vceu en est compris d'une maniere bien 
parfaite dans ceux d'obeissance et de conversion des mceurs. 



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Chapitre Sixieme 

Sur les obligations et les usages tie la pauvrete, 
tels que nos devons les observer en conformite ties statuts de l'Ordre 



1 . Saint Paul parlant des Apotres et des Disciples de Jesus-Christ, dit que leur tres haute pauvrete a repandu 
avec abondance les richesses de leur simplicite. II a bien raison d'appeler la pauvrete tres elevee, puisque rien ne 
pouvoit monter plus haut qu'elle, ayant ete la compagne inseparable du Fils de Dieu dans sa naissance, dans sa vie, et 
dans sa mort. II ne faut point s'etonner s'il a place aussi la pauvrete d'esprit la premiere entre les huit Beatitudes, puisque 
c'est par la parfaite pauvrete qu'il a commence le cours de sa vie. Si nous voulons vivre comme luy, il fait aussi etablir 
cette vertu comme le prmcipe de notre vie spirituelle. 

2. C'est en cela meme qu'il a voulu montrer que sa doctrine de la pauvrete etoit une rare piece tiree des tresors 
de la sagesse et de la science de Dieu. Car etant venu au monde pour nous enseigner et pour nous guerir, pour nous 
servir de maitre et de medecin ; comme maitre, il nous apprend par sa pauvrete a connoitre la verite de la cause de notre 
mal, qui vient d'un peche commis contre la pauvrete ; et comme medecin il nous applique le remede de nos maux, qui 
est la pauvrete d'esprit. Le sens humain est done icy bien trompe, il estime la pauvrete comme une chose qu'on doit fuir, 
et la Sagesse de Dieu s'en sert comme d'un remede pour nous guerir, et d'un moyen pour devenir heureux. 

3. La foy nous enseigne que la chute de notre premier Pere, et toutes ses malheureuses suites ne viennent que 
d'avoir voulu devenir riche. S. Paul pouvoit done bien dire avec surete, que ceux qui veulent devenir riches, tombent 
dans la tentation et dans les pieges du Demon. Car l'exemple d'Adam luy en etoit une preuve indubitable. 

4. La perte de l'homme a commence par la perte de la pauvrete d'esprit qu'il a faite en voulant devenir comme 
Dieu. La presomption de devenir plus riche qu'il n'etoit, l'a fait tomber dans la miserable pauvrete d'esprit, qui est passee 
en heritage a toute sa posterite. Les miseres de l'esprit et du corps que nous souffrons ne viennent que d'une possession 
injuste opposee a la pauvrete. Nous pouvons done dire en verite, que quand nous n'avions rien, nous possedions tout, 
mais qu'en voulant posseder, nous avons tout perdu. 

5. La grande nchesse de Dieu consiste en la simplicite, qui a tout, qui contient tout, et qui n'a besoin que de 
soy-meme. L'homme participoit a cette richesse, et il trouvoit des tresors d'amour et d'innocence dans la simplicite oil 
Dieu l'avoit cree. II y etoit exempt des besoins et des necessitez de la vie ; sa pauvrete abondoit en richesses au temps de 
cette simplicite ; mais des qu'il a voulu sortir de l'esprit de la pauvrete, il a perdu pour luy et pour nous les innocentes et 
precieuses richesses de la simplicite. Sa simplicite le rendoit riche, et il n'a senty la pauvrete qu'apres avoir perdu sa 
simplicite. II n'y auroit done point eu de pauvrete sans cette perte. 

6. II n'a point seulement perdu les veritables richesses qui le rendoient heureux et exempt de toutes sortes de 
besoins et de sollicitudes ; mais il a attire sur luy et sur ses enfants le dur joug qu'ils portent sur le col depuis leur 
naissance jusqu'a la fin de leur vie. L 'extravagance de vouloir toujours devenir riches leur est demeuree, ils ne le 
deviendront jamais par les moyens dont ils se servent, et si leurs esprits deviennent riches, ce n'est qu'en inquietudes, 
qu'en inconstances, qu'en chimeres, en travaux et en vanitez. Les richesses de leurs cceurs et de leurs corps ne consistent 
qu'en passions qui les tourmentent, en desirs qui les tyrannisent, en mouvements dereglez qui les asservissent, et en 
besoins de toutes choses qui les engagent a un travail continuel et sans fin. C'est bien du temps et du travail perdu, 
quand on travaille a ce qui n'est point possible. 

7. Saint Paul nous dit que la racine de tous les maux, c est la cupidite. Mais nos experiences nous le font 
ressentir La premiere cupidite qui a para au monde, c'est celle de de-venir riche ; elle a concu du Demon, elle a enfante 
un peche oppose a la pauvrete, et c'est de la que sont venues toutes nos miseres. Jesus-Christ fait done a notre egard 
l'exercice d'un maitre divin, qui connoit toutes choses par leur prmcipe, en commencant sa vie par la pauvrete 
pratiquee, et ses instructions par la pauvrete d'esprit, en nous assurant que nous trouverons notre bonheur dans cette 
pauvrete, et ennous reconduisant ainsi a la verite, a la raison, et au bon sens. Nous ne pouvons etre en cette vie ny 
heureux, ny sages, qu'en suivant les instructions d'un maitre en qui toute la sagesse se trouve renfermee. 

8. II est autant charitable medecin qu'il est bon maitre, et il en fait les fonctions en presentant au malade le 
grand remede de la samte pauvrete. Car il l'avale luy-meme en presence du malade, afin de l'attirer a s'en servir, et a 
vaincre ses repugnances et ses degouts. L'esprit blesse du malade refuit l'humilite, et son corps la pauvrete. Cependant 
l'une et l'autre sont comme les simples qui composent le remede. L'orgueil de l'esprit ne peut etre guery que par 
l'humilite, ny les affections du coeur que par le detachement des choses de la terre. Le celeste medecin scait qu'il a a 
traiter un malade gueux et glorieux. Sa charite l'a porte a anoblir l'une et l'autre en s'en servant luy-meme. Le malade 
peut-il done refuir d'embrasser et d'honorer la sainte humilite et la sainte pauvrete, apres les avoir veues portees, 
honorees et pratiquees par un Dieu qui s'est fait homme par charite, et qui s'est fait pauvre pour faire rentrer les enfants 
d'Adam dans les veritables richesses qu'ils avoient perdues, en prenant bien, et en mettant en pratiques sa celeste 
doctrine de la pauvrete ? 

9. Si nous voulons consulter notre raison et nos experiences, nous y trouverons des preuves convaincantes de 
T'excellence et de la necessite de ce remede. De combien de travaux superflus, et de peines delivre la pauvrete d'esprit ? 
II faut bien chercher et travailler pour acquerir ; il faut bien des soins pour conserver, et pour defendre ce qu'on a acquis 

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contre ceux qui veulent le ravir, et il coute bien de la douleur a ceux qui le perdent. La necessite de le perdre en mourant 
est infaillible. Salomon avoit done bien raison de ne demander a Dieu que ce qui etoit suffisant pour l'entretien de sa 
vie, et non point des richesses. 

10. On ne scait que trop par experience, que la superfluite des biens temporels est une source de sollicitudes et 
de craintes, de dangers et de dereglements. Mais si nous considerons d'un ceil raisonnable a quoy aboutissent tous les 
travaux des enfants d'Adam qui cherchent a devenir riches, et ce qu'ils font pour le devenir, rien ne nous paroitra plus 
deplorable. lis travaillent nuit et jour, ils se rongent de soins, et se privent meme des innocents divertissemens de la vie ; 
ils vont au bout du monde en s'exposant a mille dangers, et en confiant leur vie a une planche. Ils risquent tout pour 
s'acquerir ce qu'ils appellent richesses. Si ces richesses sont fausses et trompeuses, les hommes qui les recherchent sont 
trompez ou msensez ; mais ils sont l'un et l'autre. 

1 1 . Jesus-Christ les appelle aussi trompeuses richesses ; et la raison nous apprend que rien n'est plus vray. Elles 
promettent du bonheur, et ne donnent que des inquietudes ; elles ne peuvent de rien servir aux besoins de Lame, mais 
seulement aux necessitez d'un corps mortel ; elles sont de peu de duree, ne pouvant servir qu'au temps et a la corruption. 
Ces sortes de richesses sont bien trompeuses qui ne sont destinees que pour le temps et pour la corruption. Mais elles 
sont outre cela fatales, puis qu'elles servent au Demon d'un si puissant moyen pour faire penr eternellement les 
hommes, que Jesus-Christ prononce luy-meme, qu'il est plus difficile qu'un homme riche (e'est a dire qui est attache aux 
richesses de la terre) entre dans le Royaume des deux, que de faire passer un chameau par le trou d'une aiguille . Y-a-t- 
il done rien au monde de plus dangereux et plus a craindre que toutes ces malheureuses suites et ces trompeuses qualitez 
des richesses de la terre ? 

12. La sainte pauvrete d'esprit purge toutes les mauvaises humeurs qui composent ce grand mal, dont la racme 
vient de ce que les hommes veulent s'approprier ce qui ne leur appartient point, et qui ne leur peut jamais appartenir en 
propre ; car tout appartient a Dieu ; et malgre tous leurs travaux, il faut qu'ils sortent du monde tout nuds, comme ils y 
sont entrez. Cette sainte pauvrete remet la raison de l'homme dans une bonne assiette ; elle diminue les necessitez de la 
vie ; car elle enseigne a se passer de peu ; elle rejette les inquietudes en ne desirant rien de superflu, elle delivre des 
chagrins et des douleurs en eloignant l'attache aux choses du monde, qui sont a tous moments prestes a perir pour nous ; 
et enfin elle arrache la frenesie de la raison, en luy faisant connoitre que rien de ce qui est au monde ne luy peut jamais 
appartenir en propre. 

13. La pauvrete d'esprit donne de la liberty a Lame. Quand les soins, les desirs, et les affections occupent tout 
l'esprit, Lame demeure comme oppressee sous leur fardeau, et ne se peut guere servir d'elle-meme. Chacun n'a qu'a se 
consulter soy-meme pour en etre convaincu. Une Religieuse n'a qu'a se souvenir de l'inquietude que luy cause 
l'affection a une babiole, et la liberie qu'elle ressent quand elle en est detachee. L'eloignement de ce qui la captivoit luy 
fait ressentir la douceur de sa liberie, et de la elle peut assez connoitre la difference qu'il y a entre l'un et l'autre etat, 
entre celuy qui attache, et qui lie par l'affection et par la possession, et celuy de la pauvrete d'esprit qui detache, et qui 
en detachant cause de la joie a Lame. II est done bien vray que la pauvrete d'esprit fait une reparation sensible de la 
liberie. 

14. Mais en donnant de la liberie a Lame, elle la dispose a s'elever vers sa sphere qui est le Ciel. Le feu 
surcharge de bois, s'etouffe au lieu de bruler, et il ne fait que produire une fumee importune ; Lame tout de meme, qui 
est une flamme toute celeste, demeure comme etouffee quand elle est surcharged des biens de ce monde. Mais la sainte 
pauvrete venant a luy oter cette surcharge de matiere, elle n'a plus rien qui Lempeche de s'elever vers le Ciel ; la fumee 
importune des affections sensibles se dissipe, et s'evanouit pour ceder la place a une flamme brulante et luisante, et rien 
ne la retient a la terre que le poids de son corps qui se consomme avec la vie. 

15. apres cela, pouvons-nous douter que la sainte pauvrete enseignee et pratiquee par Jesus-Christ ne soit une 
rare piece tiree des tresors de la sagesse de Dieu ; puis qu'elle l'emporte si au dessus de la sagesse des hommes, qu'elle 
fait toucher au doigt que celle-cy n'est qu'une folie ? Pouvons-nous douter de la verite de la parole qui met la pauvrete 
d'esprit entre les Beatitudes, et l'y place toute la premiere ? C'est une veritable beatitude commence des cette vie, 
puisqu'elle nous y fait jouir de la guerison, de la dehvrance, et de la paix, de la liberie et de la possession de nous- 
memes. Si tout cela n'est le plus grand bonheur de la vie, il n'y en peut avoir aucun. 

16. II n'y a que les pauvres d'esprit qui soient veritablement riches ; il n'y a que les riches d'esprit qui 
deviennent veritablement pauvres. Ceux-cy perdent leur liberie, leurs soins, peur peine, leur temps et leurs esperances 
en s'obstinant a vouloir se rendre riches ; au lieu que les autres s'enrichissent de liberie, de paix, de temps bien employe, 
d'esperance et de consolation a mesure qu'ils avancent dans la sainte pauvrete d'esprit. Les richesses temporelles 
perissent, et celles de la pauvrete d'esprit demeurent pour toujours. Lesquelles des deux mentent done d'etre appelees et 
estimees richesses ? 

17. La pauvrete d'esprit est comme Lame ; mais la pauvrete exterieure est comme le corps ; l'une sert a l'autre 
pour se maintenir, et pour composer une parfaite pauvrete. C'est pourquoy Jesus-Christ a voulu unir l'une a l'autre dans 
sa propre personne, et les a voulu garder mseparablement toute sa vie. La cupidite qui se trouve environnee d'un ramas 
de matiere, se nourrit facilement par leurs approches, tout de meme que la paille et le bois amassez autour du feu 
s'enflamment facilement. Rien n'est done plus sur que d'imiter l'etat ou Jesus-Christ s'est mis luy-meme ; et c'est ce que 
fait notre Profession de pauvrete religieuse. 

18. L'une et l'autre pauvrete se sont trouvees jointes a Jesus-Christ dans sa naissance. L'enfance y etoit comme 
la pauvrete d'esprit ; le besoin qu'il avoit d'etre nourry du lait d'une sainte Mere, et la grande pauvrete ou il voulut que 

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cette benite Mere se trouvat dans le temps de sa naissance, faisoit la veritable pauvrete du corps. Jetons icy une oeillade 
de cceur sur cette sainte et pauvre Mere en luy disant : O sainte Mere, c'est vous qui avez accomply les premiers effets 
de la pauvrete du Fils de Dieu ; et c'est vous qui luy avez donne les premieres assistances par vos soins, par vos travaux, 
et par la nourriture tiree de votre propre substance. Quelles profusions de graces et de consolations versoit sur vous 
Celuy qui nourrit tout, pendant qu'il tiroit de vous la matiere de sa propre nourriture. Vous aviez deja receu de luy la 
redemption de preservation, la maternite ineffable du Verbe divin, qui s'etoit fait chair dans votre sein, et Pautonte 
maternelle sur votre propre Createur. Mais qui pourroit expliquer les richesses que sa pauvrete vous a attirees ? S'il ne 
s'etoit point fait pauvre, vous ne seriez point la Mere de Dieu, et la Reine des anges. Souffrez que nous parlions ainsi par 
la complaisance que nous avons de votre gloire, qui a pris son origine de la sainte pauvrete, et que nous vous conjurions 
par tous ces avantages que la pauvrete de votre Fils vous a procurez, de nous obtenir de luy l'esprit de la sainte pauvrete 
qu'il a enseignee et pratiquee. 

19. F'une et l'autre pauvrete se sont trouvees jointes a luy pendant sa vie. Sa doctrine qui enseignoit a tout 
quitter, a rejeter les sollicitudes et le soin du lendemain, en etoit comme l'esprit, et le depouillement de toute possession 
des biens du monde, qui luy ont fait dire que les renards ont leur taniere, et les oiseaux du del leur nid, mais qu'il 
n'avoit point oil reposer sa tete, etoit comme le corps visible et palpable de sa pauvrete. 

20. F'une et l'autre pauvrete se sont enfin trouvees unies dans sa mort dune maniere admirable. Son 
abandonnement et la remise de son Esprit entre les mains de son Pere, composoient sa parfaite pauvrete d'esprit, et la 
nudite dans laquelle il est mort, celle de son corps. Apres cela n'est-il point juste de qualifier avec S. Paul la pauvrete du 
nom de tres haute, puisque le Fils naturel de Dieu l'a aimee et embrassee dans sa naissance, honoree dans sa vie et 
consacree dans sa mort ? II l'a, dis-je, aimee dans sa naissance, en y choisissant tout ce qui pouvoit composer une 
indigence accomplie dans l'etable de Bethleem ; la pauvrete se trouvoit deja icy bien elevee. II l'a honoree dans sa vie 
par la predication de paroles et d'exemples de la pauvrete, qui devenoit par ce moyen encore plus exaltee et plus elevee. 
Et enfin il l'a consacree dans sa mort en consommant l'ceuvre de la Redemption du monde par la pauvrete et dans la 
pauvrete ; et c'est icy qu'elle s'est trouvee tres haute et tres sublime. 

21 . Fa sainte pauvrete d'esprit a pris sa naissance dans la naissance d'un Dieu, son accroissement dans sa vie, et 
sa perfection dans sa mort. Jesus-Christ l'a rendue sa compagne inseparable, et nous a voulu ainsi faire connoitre le 
besoin que nous avons de la porter partout avec nous sans jamais la quitter : 1. Parce que si elle nous man quoit, nous 
pourrions en un moment tomber dans quelque usage cnmmel. Sommes-nous plus forts que notre premier pere Adam ? 
2. Parce que nous devons toujours etre prets a tout quitter, et meme notre vie. 

22. Jesus-Christ a voulu qu'on trouvat dans luy toutes sortes de pratiques et d'exemples de pauvrete ; de la 
pauvrete indigente, c'est dans celle-la qu'il est ne ; de la pauvrete persecutes, c'est dans celle-la qu'il a vecu et travaille : 
de la pauvrete delaissee, et c'est dans celle-la qu'il est mort. II a voulu par la nous apprendre, que de meme qu'il a trouve 
dans sa pauvrete de quoy racheter tout le monde, les hommes peuvent aussi trouver dans la pauvrete telle qu'elle puisse 
etre, un tresor de consolation, et de quoy etre bien heureux par avance, en ressentant les effets de la sainte pauvrete d 
esprit, et en goutant combien cette vertu est sublime qui eleve Fame au dessus d'elle-meme, et de toutes les choses 
creees, et qui luy fait mepriser tout ce qui perit au monde, pour n'attendre plus rien que du Ciel. 

23. Cette sainte pauvrete est tres haute et tres prudente, qui n'amasse rien dans le lieu de son exil, mais qui 
reserve tout pour sa demeure eternelle ; et sa simplicity convertit l'indigence en abondance de richesses. Nous 1 'avons 
choisie par etat, et embrassee par voeu, et nous ne pouvons point la quitter sans perdre le partage que nous avons 
embrasse, de ne rien avoir au siecle, afin de tout posseder avec Jesus-Christ. Observons done bien ses regies, et 
considerons attentivement les moyens que Jesus-Christ, et les Regies de notre etat nous fourmssent, et ce qu'ils 
demandent de nous, pour l'honorer et la pratiquer comme nous le devons. 

24. Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sement et ne moissonnent point. lis n'amassent rien dans les granges, et 
voire Pere celeste les nourrit. C'est ainsi que Jesus-Christ parle a ses Apotres. Ces hommes devoient etre tout celestes 
etant choisis pour enseigner a mepriser les choses de la terre, et a se cnotenter de peu et du necessaire a la vie qui est si 
courte. Ils devoient convertir les sages du monde, et enseigner par leur exemple a tous les hommes qui ne sont nez que 
pour Dieu et pour le Ciel, qu'il falloit renoncer aux desirs des biens de la terre, et aux solitudes qu'ils trainent apres eux, 
pour pouvoir parvenir a cette fin pour laquelle Dieu leur a donne Petre. 

25. Rien n'etoit done plus convenable aux Apotres qu'une semblable lecon que la Sagesse increee leur a donnee 
par elle -meme. Mais si les disciples doivent accomplir les lecons de pratique que leur donne leurs maitres ; tous les 
Chretiens doivent s'appliquer la meme lecon, puisque c'est pour eux, aussi bien que pour les Apotres qu'elle a ete dictee. 

26. Fes moyens que Dieu nous donne dans l'Ordre pour etre exempts des soins du temporel, et pour imiter en 
cela les oiseaux du ciel, nous engagent a faire une application toute singuliere a nous-memes de ces paroles de Jesus- 
Christ. Fout nous engage dans notre profession a ressembler aux oiseaux du ciel ; notre renoncement au monde n'est que 
pour nous faire quitter la terre, et voler sans cesse au ciel du vol de l'esprit ; il n'est que pour montrer par notre 
detachement, que nous ne tenons a la terre que du bout des pieds ; et que pour faire connoitre aux hommes que notre 
tresor etant au ciel, notre coeur y est aussi selon la parole de Jesus-Christ. 

27. Si une personne de notre Ordre ne doit y avoir fait sa profession que pour cesser d'etre du monde et de la 
terre, et pour s'elever a Dieu et aux choses celestes par le vol de l'esprit, elle n'est point excusable si elle ne s'etudie a 
devenir un veritable oiseau du ciel et du paradis. Souvenons-nous sans cesse pour cela que le Fils de Dieu n'est 
descendu du ciel en terre pour se faire homme comme nous, qu'afin que nous devenions des hommes du ciel comme 

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luy. 

28. Nous sommes inexcusables si nous ne rejetons toutes les sollicitudes des biens temporels pour employer 
tous nos soins a plaire a Dieu, puisque nous trouvons dans notre etat et dans nos cellules les memes avantages des 
oiseaux du ciel dont Jesus-Christ nous a donne l'exemple. Ne sommes-nous point exempts de semer, de moissonner et 
d'amasser les grains dans les granges ? et cependant notre Pere celeste nous nourrit et nous entretient. De quoy nous 
serviront tous ces avantages si nous ne correspondons au dessein de Dieu et a la fin de notre profession ? 

29. Dieu qui est le Roy des roys, veut que nous l'appellions notre Pere. Nous sommes nez pour etre roys 
participants de son propre royaume et coheritiers de son Fils naturel puisque dans la priere qu'Il nous a composee, il 
veut que nous luy demandions que son royaume nous avienne. Faut-il done s'etonner s'il veut que nous traitions les 
choses de la terre comme le rien, et s'il nous provoque a chercher avant toutes choses le royaume de Dieu et sa justice, 
nous assurant que le reste qui regarde nos besoins corporels nous sera donne comme par surcroit ? 

30. Cette promesse de pourvoir a nos besoins corporels n'est plus un futur pour nous ; car nous la tenons toute 
accomplie dans notre etat. Nous n'avons point besoin d'entrer en sollicitude pour le temporel, nous l'avons tout trouve. 
N'ayant done rien qui nous empeche de chercher uniquement le royaume de Dieu et sa justice, si nous ne le cherchons 
bien, quel reproche meritons-nous de Celuy qui nous a fourny tant de moyens pour chercher et pour parvenir surement a 
son royaume, et pour nous eloigner des dangers de le perdre ? 

31. Rapportons-nous souvent dans l'esprit ces paroles du Fils de Dieu : Regardez les oiseaux du ciel, etc. et 
reconnoissons que nous devons aussi peu tenir a la terre que les oiseaux, qui ne s'y reposent qu'autant que le besoin les y 
engage ; que nous devons voler a Dieu sans cesse, et aux choses celestes par nos desirs, et y transporter notre 
conversation par l'oraison ; et que nous devons enfin considerer le ciel comme notre patrie, la terre comme le lieu de 
notre exil, et nos corps comme une prison. Ce sont toutes veritez que la foy nous enseigne, et que l'experience nous 
apprend. 

32. Ces oiseaux ny ne sement, ny ne moissonnent, ny n'amassent rien dans les granges, et ils se contentent du 
necessaire pour l'entretien de leur vie. Notre profession nous engage heureusement a faire le meme. Car notre voeu de 
pauvrete nous mettant hors d'etat d'avoir rien de propre, et l'Ordre nous fournissant d'ailleurs ce qui nous est necessaire 
pour le temporel, nous serions infideles a Dieu, insensez et coupables, si au lieu d'imiter ces oiseaux dans leur 
eloignement des sollicitudes, nous nous attachions par des desirs et par des soins superflus aux biens de la terre ; si au 
lieu de vaquer a l'unique necessaire, en cherchant, comme nous le devons, le royaume de Dieu et sa justice, nous nous 
embarrassions dans les soins des biens de la terre. 

33. Si nous cherchons bien ce royaume, nous le trouverons par avance et dans nous-memes, des cette vie. C'est 
de quoy Jesus-Christ nous donne assurance ; car il dit : Le Royaume de Dieu est dans vous. Faisons regner Dieu dans 
nous, et nous deviendrons roys de nous-memes, et nous experimenterons la verite de ces paroles de l'Apotre, que servir 
a Dieu, c'est regner. Quel plus grand bonheur et quel plus grand avantage pouvons-nous desirer au monde que celuy de 
regner en servant Dieu ? 

34. En quoy consiste ce royaume de Dieu dans nous, et que faut-il faire pour l'etablir ? II faut reduire nos 
inclinations dereglees et les soumettre a la droite raison qui les tienne dans l'ordre, ou la saintete de Dieu les demande ; 
ne souffrir rien dans nous volontairement qui ne soit conforme aux volontez de Dieu et a la police de son royaume ; 
combattre genereusement tout ce qui veut se revolter dans nous contre la droite raison et contre les lois eternelles de ce 
royaume, pour tout reduire a la sainte et juste domination de Dieu afin qu'il nous soit tout en toutes choses. Y a-t-il rien 
de plus saint, de plus consolant, et de plus utile pour nous-memes ? Dieu n.'est-il point le Roy de toutes choses ; tout ne 
luy appartient-il point ? Que gagnerons-nous a vouloir nous en attribuer ou retenir quelque chose ? II faut etre 
extravagant et criminel tout ensemble pour vouloir l'entreprendre. 

35. Cette demande que Jesus-Christ nous a enseignee de faire : Voire royaume nous avienne, doit s'entendre 
aussi bien de ce royaume de Dieu, qui est a etablir presentement dans nous-memes, que du futur dont nous devons jouir 
dans sa gloire. L'un est comme le germe de l'autre ; et si le royaume de Dieu n'est etably dans nous en cette vie, nous ne 
jouirons jamais de l'autre. I 

36 Mais en etablissant le royaume de Dieu dans nous, nous deviendrons plus veritablement roys, que ne le sont 
les roys de la terre, et nous en gouterons les avantages d'une maniere qui surpasse toutes leurs delices. Y a-t-il rien de 
plus desirable au monde que d'etre libre et maitre de soy-meme ? Vous m'avotierez que sans cela un roy de la terre se 
seroit qu'un escalve, et tout auplus qu'un roy de comedie. II n'y a que le royaume de Dieu etably dans nous qui puisse 
nous donner cet avantage. Car si nos desirs et nos actions sont gouvernes pat la droite raison, qui agisse selon les loix de 
Dieu, qui sont sa regie, Dieu regnera dans nous et nous regnerons dans nous-memes avec Luy. Nous porterons notre 
royaume par tout avec nous, sans que personne nous en puisse depoiiiller, et nous l'emporterons meme en mourant. Les 
roys de la terre ont-ils le meme avantage ? Non, et a moins qu'ils ne travaillent comme Chretiens a etablir le royaume de 
Dieu dans eux-memes, leur royaume n'est qu'une figure vuide de realite. 

37. Les roys de la terre ne sont roys qu'au dehors. Leur domination ne s'etend que sur des peuples et des biens 
perissables. Ils peuvent etre depouillez de leur royaume, et ils le perdet en mourant ; mais ils seront toujours des 
esclaves au dedans d'eux-memes s'ils suivent leurs passions et leurs desirs dereglez. Ils ne seront ny libres, ny maitres 
d'eux-memes ; mais ils seront assujettis au royaume du demon, que l'Ecriture sainte appelle le roy de tous les enfants de 
l'orgueil. Ils ne sont Roys que de nom s'ils n'etablissent le royaume de Dieu dans eux-memes. 

38. Saint Paul a done bien raison de dire, que servir a Dieu c'est regner ; puis qu'en servant Dieu on devient et 

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on est roy de soy-meme en vertu du royaume de Dieu qu'on y etablit ; au lieu que de regner seulement au dehors sur les 
hommes, en demeurant assujettis aux desirs, aux passions et aux concupiscences de l'homme animal, ce n'est etre roy 
que de nom, et esclave par effet ; mais d'un esclavage qui est le plus miserable, et le plus meprisable de tous, puisque 
c'est etre esclave du peche et du diable. 

39. C'est a ce royaume interieur de Dieu dans nous-memes, et a celuy qui est eternel dans le ciel, que notre voeu 
de pauvrete et l'etat de notre profession nous disposent. Ce voeu nous degage des attaches aux biens de la terre et des 
sollicitudes des choses temporelles, afin que pendant notre vie nous devenions des oiseaux du paradis en regardant et 
imitant les oiseaux du ciel, selon la parole de Jesus-Christ ; il eloigne de nous ces malheureuses richesses, qui se rendent 
si facilement maitresses de nos affections, et qui par consequent mettent beaucoup d'obstacles a l'etablissement du 
royaume de Dieu dans nous ; mais il est aussi le prix par lequel nous achetons le royaume de Dieu dans le ciel. Le Fils 
de Dieu en a passe le contract luy-meme. Ce contract est ecrit dans l'Evangile ; et il porte que celuy qui aura quitte tout 
ce qu'il a pour le suivre, recevra le centuple des cette vie, et possedera la vie eternelle en l'autre. II nous est done acquis, 
et il n'est question pour en jouiir que de ne vouloir point reprendre ce que nous avons donne. 

40. Tous ces avantages nous sont accordez a bon mareche, puisque Dieu ne nous demande que ce que nous 
avons. Son royaume n'est estime qu'autant que nous valons. Donnons-nous nous-memes et nous l'aurons ; mais en nous 
donnant nous-memes que donnons-nous a Dieu ? Nous luy appartenons entierement ; il nous le donne done pour rien. 

41. Dieu ne manquera jamais de son cote ny a ses promesses, ny a sa parole. II n'est question que de nous 
etudier du notre a etre fideles et exacts a luy tenir les notres. C'est pourquoy faisons icy un examen des obligations que 
nous nous sommes imposees par ce voeu : voyons en quoy on peche contre ce voeu ; et ce qu'on doit faire pour s'en 
acquitter dignement selon l'esprit de notre Ordre et les regies de nos Statuts. 

42. Pour vous bien mettre la chose en evidence, je distingue icy ce qui regarde le voeu de pauvrete en trois 
classes, savoir ce qui appartient : 

1° A l'essentiel de la pauvrete que nous promettons par ce voeu. 

2° A l'esprit de pauvrete. 

3° A la perfection de la pauvrete. 

L'essentiel (e'est-a-dire ce qui nous oblige de telle maniere, que si nous y manquons nous commettons un 
peche contre notre voeu ) cet essentiel, dis-je, consiste : 

1° A n'avoir aucun bien propre separe des biens de la communaute, et meme a ne pretendre aucun droit de 
propnete sur ce qui se donne an monastere en notre consideration. Car notre voeu de pauvrete nous rend incapables de 
tout domaine absolu, et ne nous permet que l'usage des choses qu'on nous accorde, et que le Superieur peut revoquer. 

2° A ne disposer de rien comme maitre absolu, en le donnant, ou alienant de telle maniere que ce soit. Je dis 
comme maitre absolu, c'est a dire sans avoir licence expresse, ou raisonnablement presumee du Superieur, qui est 
l'administrateur des biens de la maison. II en est seulement l'administrateur et non pas le maitre ; car il n'y a rien de 
propre non plus que les autres. Le bien de la maison est un patrimoine de Jesus-Christ, ainsi que dit le Statut, qui est 
depose entre les mains de l'Ordre, et qui doit etre employe selon ses intentions. 

43. Cela etant suppose comme des prmcipes etablis par nos Statuts, il en faut tirer les conclusions suivantes. 
Tout Religieux qui a la volonte de retenir comme en propre quelque chose dont on luy accore seulement l'usage, ou 
qu'on a donne a la maison en sa consideration, peche contre l'essentiel de son voeu. Tout Religieux qui donne ou aliene 
quelque chose sans licence ou expresse, ou raisonnablement presumee, peche contre l'essentiel de son voeu. 

44. L'intention meme de le dire a son Superieur dans le temps portez par les Statuts, afin de ne point encourir 
l'excommumcation du jour des Rameaux, ne l'exemptera point de peche mortel contre son vceu de pauvrete si ces deux 
conditions s'y rencontrent, a savoir : 1° S'il scait certainement que son Superieur ne veut point qu'il donne la chose qu'il 
veut dormer, d'oii il s'ensuit qu'il ne peut point avoir de licence presumee. 2° Et si la chose est d'une valeur suffisante 
pour etre matiere de peche mortel. On peut meme dire qu'en cela il y auroit deux gros pechez : l'un contre le precepte 
qui defend de derober ; car ce qu'il donne n'est point a luy, mais a la communaute ; et l'autre contre son voeu de 
pauvrete, qu'il transgresse en matiere qui est censee suffisante pour etablir un peche mortel. 

45. Tout cecy est fonde sur des raisons evidentes de l'obligation du voeu, et de l'incapacite ou le Religieux s'est 
mis de posseder quelque chose comme proprietaire. N'ayant done rien dans la Religion qu'il puisse posseder comme 
maitre, il ne peut en disposer comme maitre qu'en derobant, et en transgressant son voeu. 

46. II est encore de l'essence du voeu de pauvrete, d'etre fort sincere et fidele dans l'accomplissement de ce que 
les Statuts prescrivent d'exposer a la volonte du Superieur tout ce qu'on a sans rien cacher, et luy declarer dans le temps 
ordonne ce qu'on pourroit avoir receu et de donne. Celuy qui auroit receu ou donne avec l'intention de cacher la valeur 
de la somme portee par les Statuts, sans le le vouloir declarer au Superieur dans le temps limite, peche mortellement, et 
devient excommunie en vertu de la sentence que le Superieur prononce le jour des Rameaux. 

47. II ne faut point penser alleguer en cecy la petitesse de la matiere qui n'est que de la valeur de vingt-cinq 
sols. Car ce n'est point tant la matiere qui est a considerer, que la forme que luy donne la volonte depravee d'un 
Religieux qui veut posseder quelque chose, ou en disposer contre son voeu de pauvrete ; d'un Religieux qui refuse avec 
obstination d'obeir a son Superieur, en ne la luy declarant point, et qui fait cette action en intention de la tenir cachee. 
Cette forme est comme une peste qu'il veut garder dans son sein contre ses voeux de pauvrete et d'obeissance. II empeste 
cette petite somme par sa mechante volonte, et il se met meme en disposition d'empester l'Ordre par le mechant usage 

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d'y devenir proprietaire qu'il y introduit, et qui feroit sa mine entiere, si on l'y souffroit. Une petite pilule de poison fait 
aussi bien mourir un homme qu'une grosse masse. Ce seroit done une grande erreur de vouloir raisonner en cecy sur la 
matiere. 

48 Tout ce que nous venons de remarquer jusqu'icy regarde l'essentiel du vceu de pauvrete ; mais si une 
Religieuse chartreuse vouloit s'en tenir-la, n'aurions-nous pas raison de la comparer a une servante qui etant au service 
d'un bon maitre, se contenteroit de ne luy rien derober, et de ne point faire les actions qu'il a defendues de faire sous 
peine d'etre chassee de sa maison ; mais qui ne se mettroit point en soin de faire autre chose pour le bien servir et pour 
luy plaire. Tout ce qu'on pourroit dire de cette servante, se pourroit aussi dire d'une Religieuse qui borneroit sa 
resolution a ne rien transgresser de l'essentiel de son voeu de pauvrete. 

49. Cela a-t-il du rapport a ce que merite le maitre et le Dieu de notre vie qui nous a appellez a son service ? 
Cela a-t-il du rapport avec cette perfection de votre Pere celeste qu'il a fait paroitre dans ses bienfaits envers vous aussi 
bien que dans ses autres ouvrages ? Cela convient-il avec le voeu de conversion de mosurs qui vous tient engagee 
d'aspirer a la perfection ? II faut done faire quelque chose de plus que l'essentiel de nos vceux, a moins que de vouloir 
passer pour indignes serviteurs d'un si bon maitre. II faut prendre et mettre en pratique l'esprit de pauvrete. 

50. En quoy consiste cet esprit ? A estimer la pauvrete comme quelque chose de grand, et a l'honorer a 
l'exemple des Apotres qui disoient : soyons contents d'avoir notre vivre et notre vetement. Contentons-nous de meme 
d'avoir sobrement nos necessitez. Qu'est-ce que ce seroit de voir des Religieuses qui ayant fait vceu de pauvrete, seroient 
curieuses d'avoir autant d'ajustements et de commodites qu'en pourroient avoir des dames de qualite ? II faudroit 
confesser de bonne foy qu'une semblable pauvrete tiendroit plus du ridicule et de l'imaginaire que de la verite. 

51. C'est aussi de quoy nos Statuts nous veulent bien eloigner, en nous expliquant de quelle maniere nous 
devons prendre L'Esprit de pauvrete. lis ne veulent point qu'on souffre chez nous les choses curieuses et superflues, et 
lis prononcent ces belles paroles qui comprennent tout : Plus le genre de vie que nous avons embrasse est austere, et 
plus sommes-nous obligez au deld de tous les autres Religieux a ne nous servir que de ce qui est bas et pauvre dans les 
vetements et a ne nous servir pour notre usage que de ce qui est pauvre, vil et abject. C'est ainsi que parlent ces 
premiers Chartreux, et nous devons etre persuadez que nous ne serons de veritables Chartreux qu'a proportion que nous 
le mettrons en pratique. 

52. Mais si nous voulons etre de bons enfants qui aspirent a devenir parfaits comme leur Pere celeste est 
parfait, il faut que nous aspirions a la perfection de la pauvrete, qui consiste a se rejouir en esprit de l'indigence de 
quelque chose qui nous manque, plutot que d'ecouter les murmures de la nature ; a se priver de quelques commoditez 
permises, plutot que d'avoir du superflu, et a s'abstenir par esprit de mortification et de pauvrete de dormer ou recevoir 
quelque chose pour sa propre commodite, avec une licence presumee hors de la necessite. 

53 C'est a cela que nos Statuts nous invitent, quand ils disent que celuy d'entre nous qui aura pris la liberie de 
demander, de recevoir, de changer, ou de donner quelque chose sans permission, soit puny selon la qualite de la faute. 
Demander et recevoir ce n'est point chose opposee par elle-meme a la pauvrete ; car au contraire un pauvre est engage 
de le faire pour survenir a ses besoins. Demander et recevoir non point pour se rendre maitre absolu de ce qu'on aura 
receu ; mais pour le remettre a la communaute, cela ne peut passer pour une propriete. Neanmoins les Statuts imposent 
une peine a celuy qui demande ou recoit sans licence expresse ou raisonnablement presumee. Cela nous fait done voir 
que l'intention de notre Regie est de nous elever a la perfection de la pauvrete. 

54. Vous trouvez icy l'estime que vous devez faire de la sainte pauvrete, toute la matiere de la pauvrete, et les 
intentions de 1 'Ordre sur la pratique de la pauvrete expliquees assez au long. Vous y avez la maniere de bien entendre et 
de bien pratiquer vos Regies. On ne vous dit rien icy qui soit outre, ou qui puisse gener vos consciences. On vous y 
declare toutes choses comme par degrez, afin que vous vous portiez sans inquietude et avec une sainte liberie d'esprit, et 
eloignee de toute espece de contrainte a plaire a Dieu, en accomplissant dans votre etat sa sainte volonte, non seulement 
celle que l'Apotre appelle bonne, mais aussi celles qu'il appelle de son bon plaisir, et celle qu'il appelle />ar/az'te. C'est le 
grand moyen d'attirer aussi sur vous non seulement les secours de graces qui vous sont necessaries, mais aussi ceux de 
surerogation et de surabondance, qui rendront votre genre de vie facile, consolant, heureux, et saint. C'est ce que je vous 
souhaite de tout mon cosur. 



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Chapitre Septieme 

Sur le bon usage de la liberte, 

sur les livres qui sont ouverts sans cesse devant nos yeux, 

et sur l'amour de la correction 



Sur la liberte 

1. Ces paroles de l'apotre saint Pierre, qui dit : Agissez comme des personnes libres, et non point comme ceux 
qui prennent le pretexte de la liberte pour servir de couverture a la malice, nous enseignent assez qu'il y a un 
discernement a faire entre la liberte et la liberte ; qu'il y en a une veritable et l'autre fausse. C'est pourquoy il est de 
grande importance d'apprendre a bien faire ce discernement, puisqu'il importe si fort de n'y etre point trompe en prenant 
l'ombre pour le corps. 

2. La liberte est ce que l'homme a de plus precieux. II en est bien convaincu, puis qu'il fait tout ce qu'il peut 
pour ne la point perdre, et que quand il l'a perdue, il fait tous ses efforts pour la recouvrer. C'est un des plus beaux 
caracteres de la ressemblance de Dieu que nous portons. On peut meme l'appeler le principe du veritable amour. Car 
sans la liberte il ne pourroit etre veritable. Un ancien disoit, que celuy qui vendroit sa liberte pour tout for du monde, ne 
la vendroit point autant qu'elle vaut, et il avoit raison. C'est aussi ce que L'Esprit de Dieu nous veut garder, et 
l'augmenter plutot que de la diminuer, etant son propre caractere de la donner a Lame qu'il occupe. S. Paul nous l'assure 
en nous disant, que oil est I'Esprit de Dieu, la liberte y est aussi. Rien n'est done plus raisonnable et plus saint que 
d'aspirer a la vraye liberte. 

3. Toute l'Ecriture sainte est remplie de termes qui nous proposent la liberte des enfants de Dieu comme une 
chose a laquelle nous devons aspirer ; comme le plus grand bien que nous puissions avoir et gouter dans la vie, et 
comme le grand moyen de nous retirer d'une servitude que l'Apotre appelle miserable. Nous devons done par toutes 
sortes de raisons divines et humaines estimer la liberte, l'honorer, la rechercher, la defendre de la servitude et la comme 
le plus grand bien de la vie. 

4. Pourquoy done l'Apotre nous dit-il de prendre garde a la liberte, de peur qu'elle ne nous serve de couverture 
a la malice ? C est que la liberte est si belle et si precieuse, que la malice s'en sert souvent et volontiers pour couvrir sa 
turpitude ; et que si nous ne veillons bien sur notre amour propre deprave, il derobe a nos ames leur chere et precieuse 
liberte pour en revetir les dereglements de ses passions et de sa cupidite. II rend ainsi libre ce qui doit etre tenu dans la 
servitude, et assujettit a une malheureuse servitude ce qui doit etre libre, rendant esclave la maitresse, et l'esclave le 
maitre. 

5. Le peche a introduit en nous une seconde malheureuse liberte qui est celle des passions et de la cupidite, qui 
ont sans cesse les armes a la main pour faire la guerre a la seule et unique liberte, qui est celle de nos ames ; afin de la 
reduire par des revoltes et par des combats, par des importunitez et par des flatteries, a suivre ses inclinations qu'elle 
couvre du manteau, et du pretexte de liberte. Si cette malheureuse liberte des sens exerce done son pouvoir sur l'ame, 
elle la rend esclave ; et si la liberte de l'ame cede a l'inclination des sens, c'est pour tomber dans la plus malheureuse de 
toutes les servitudes, qui est celle du peche. Et c'est de quoy le S. Apotre nous avertit de nous bien garder. Avec 
combien de respect devons-nous done recevoir cet avis, et en profiter ? 

6. La liberte de l'homme, nonobstant la corruption du peche, tend au bien, et a toujours le bien pour objet. Le 
mal qu'il fait, quoy que librement, n'est qu'un emportement qui desole la liberte. Un homme emporte de passion fait un 
mauvais coup ; mais sa liberte s'en trouve apres blessee, fatiguee, affligee ; et il sent bien que de pouvoir faire du mal, et 
de le faire par effet, c'est une marque de liberte ; mais que ce n'est point une veritable liberte : et qu'au contraire quand il 
a refuse a ses passions ce qu'elles luy demandent, et qu'il a fait une bonne oeuvre, il goute alors avec suavite et avec 
consolation combien l'exercice de la veritable liberte est precieux et aimable. Dieu ne peut ny mentir, ny pecher, et il ne 
laisse pas pour cela d'etre libre. Pouvoir done faire le mal, et le faire en effet, c'est a la verite un signe de liberte, mais 
non pas une veritable liberte. 

7. Les Theologiens distinguent de trois sortes de libertez : la naturelle, celle de la grace, et celle de la gloire. 

La naturelle est celle ou nous nous trouvons dans l'etat de la nature corrompue, qui peut faire le mal, et qui le 
fait quand elle veut. Celle de la grace est celle de la nature reparee par les merites de Jesus-Christ, qui par les secours de 
sa grace nous met en etat de faire le bien et d'eviter le mal. C'est pourquoy quand nous pechons nous deshonorons, ou 
meme nous perdons tout a fait sa grace selon la qualite du peche, parce que par le secours de la grace nous pouvions ne 
point pecher, et nous l'avons offense en pechant. Et enfin la liberte de la gloire est telle, que l'homme etant decharge du 
fardeau de ses sens, et voyant le souverain bien a decouvert, sans que sa liberte puisse etre trompee par de fausses 
apparences de bien, il ne peut plus pecher. 

8 Cette troisieme est la bienheureuse liberte consommee des enfants de Dieu, a laquelle nous devons aspirer, 
comme au terme de notre bonheur eternel. Mais pour y parvenir il faut considerer notre liberte naturelle comme une 
pauvre malade degoutee des bonnes choses qui la peuvent nourrir et guenr, et qui appete celles qui ne sont souvent 
propres que pour la faire mourir, et nous servir uniquement et fidelement de celle de la grace. C'est elle qui est la 

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veritable liberie des enfants de Dieu commencee, par le moyen de laquelle on parvient a celle qui est consommee dans 
la vision de Dieu, et dans la joye eternelle de son Seigneur. 

9. Apres cela, que dirons-nous de ces pauvres enfants d'Adam, qui ne parlent que de liberie, qui ne respirent 
que la liberte qui se gendarment des qu'il leur semble qu'on veut contraindre ou captiver leur liberie ? II faut gemir sur 
leur misere, et les considerer comme des malades frenetiques, qui veulent battre ceux qui veulent leur faire du bien, et 
travailler a les guerir. II faut leur dire qu'ils ont raison, que la liberte est une belle et bonne chose ; mais qu'ils ne 
connoissent point en quoy elle consiste, et qu'ils scavent encore moins s'en servir, puis qu'en pensant user de leur liberte, 
ils se rendent esclaves, et qu'ils y fuient ce qui peut les rendre veritablement libres. 

10. Souvenons-nous au sujet de notre liberte, que nous avons eprouve quelle est sa faiblesse ; que nous avons 
experimente combien il est difficile de la soutenir parmy les dangers du monde ; que nous avons ete prevenus d'une 
grace singuliere de la vocation de Dieu, pour nous venir renfermer dans l'arche de notre monastere, afin de sauver notre 
liberte du deluge de la tromperie et de l'iniquite, qui abime tant de pauvres ames par le mauvais usage de leur liberte. 
Souvenons-nous que nous avons consacre a Dieu notre liberte a la face du ciel et de la terre par des voeux solennels ; 
que nous avons fait ces voeux afin d'employer toute notre liberte a honorer Dieu, en nous mettant meme hors d'etat de 
pouvoir nous en servir selon notre volonte ; et en captivant nos volontez sous le vceu d'obeissance. Ce sont de grandes 
graces que Dieu nous a faites, et de grands moyens pour garder notre liberte du naufrage, mais il faut s'en bien servir. 

1 1 . Nous pouvons dire aussi sans hesiter, que nous sommes, et serons les plus miserables de tous les hommes, 
si nous ne nous rendons fideles et exacts a ne jamais ecouter les suggestions de cette malheureuse liberte des sens et de 
1' amour propre, qui veut toujours abuser du specieux pretexte de la liberte pour servir de couverture a la lachete, a 
l'infidelite envers Dieu ; en un mot a la malice deguisee sous le specieux manteau de la liberte. 

12. C'est S. Paul qui le dit luy-meme, que nous sommes les plus miserables de tous les homes, si nous ne 
soutenons comme nous devons, le renoncement que nous avons fait par notre profession a l'usage de la liberte des sens 
et de notre amour propre deregle. Car ou trouverons-nous les moyen legitimes de suiyre la pente de nos sens, et de leur 
donner ce qu'ils appetent, sans nous attirer des supphces dont les remords de nos consciences seront les executeurs, sans 
nous priver de toute consolation d'esprit, et sans tomber dans la soustraction des graces de Dieu, dont la moindre 
parcelle est preferable a tout ce que la liberte du sens nous peut donner de satisfaction ? 

13. Nos corps sont consacrez a Dieu par le vceu de la chastete, qui nous retire de bien de douloureuses et 
dangereuses servitudes ; nos ames luy sont consacrees par le voeu d'obeissance, et notre cupidite est attachee au char 
triomphant de son regne celeste par le voeu de la pauvrete. Nous nous sommes donnez a Dieu par les voeux d'obeissance 
et de pauvrete, et il s'est donne a nous pour nous etre tout en toutes choses. Apres cela que pouvons-nous donner a la 
liberte de nos sens, sans commettre un larcin fait a Dieu meme, a qui nous l'avons livree volontairement, afin que la 
seule volonte divine, pure, sainte, et sacree en fut la maitresse et la gardienne, et non plus la notre corrompue et 
depravee par le peche. 

14. Nous avons done beau faire ; le glaive vengeur de la justice de Dieu nous suivra par tout : nous 
ressemblerons a ces animaux qui a force de tirer, ont rompu un chainon de leur chaine ; mais qui ne font que la trainer, 
car elle leur demeure toujours pendue au col. Nous ressemblerons a des esclaves infideles et revoltez qui portent par 
tout les marques de leur infidelite, si nous voulons nous retirer de l'entrepnse que nous avons faite par notre profession, 
non pas de suivre la liberte de nos sens et de notre amour propre ; mais de la temr captive sous les loix sacrees de notre 
etat et sous celle de la liberte de la grace de Jesus-Christ. 

15. Nous serions les plus malheureux de tous les hommes, puis qu'apres avoir quitte le monde pour trouver le 
paradis ; apres avoir quitte les trompeurs et infortunez plaisirs des sens pour trouver ceux de 1'ame, de la bonne 
conscience, et de l'esprit de Dieu, nous n'aurions plus ny l'un ny l'autre, puisque nous demeurons privez et de ceux du 
monde et de ceux de l'ame. Plus malheureux en cela que ce chien de la fable d'Esope qui tenant une piece de chair entre 
ses dents sur le bord d'une fontaine, ou l'ombre de cette piece de chair en representoit une autre, il lacha celle qu'il tenoit 
pour prendre celle qui paroissoit dans l'eau, et il n'eut plus ny l'une ny l'autre. 

16. Voila ce qui nous am vera si nous cherchons et si nous suivons la liberte des sens et de notre amour propre ; 
mais nous serons les plus heureux des hommes, si nous nous etudions a honorer, et a augmenter toujours dans nous la 
liberte de la grace de Jesus-Christ, en reduisant nns sens et notre amour propre sous son empire et sous son obeissance. 

17. Pour etre heureux en la maniere qu'on le peut etre en cette vie, il faut etre maitre, mais specialement chez 
soy et de soy-meme ; il faut etre dans l'independance de tout ce qui est au dessous de nous ; il faut etre nche des 
richesses qui sont veritablement a nous, et qu'on ne puisse nous oter ; et il faut avoir de la paix et du repos. II n'y a que 
la liberte de la grace de Jesus-Christ qui puisse nous donner tous ces avantages ; tout de meme qu'il n'y a que la liberte 
des sens qui, servant de couverture a la malice, nous en prive et nous en depouille. 

18. C'est la liberte de la grace qui nous met a la main le sceptre de la domination de nous-memes et de toutes 
choses, en nous enseignant la belle maniere d'en user avec ordre, avec mesure et sans degout, en rendant a Celuy qui est 
l'auteur de toutes choses, l'honneur et la gloire qui luy appartiennent, et en nous faisant justice a nous-memes et aux 
creatures ; mais la liberte des sens et de notre amour deregle ne tend qu'a nous retirer hors de nous-memes pour nous 
faire perdre l'empire de la raison, et a nous rendre esclaves des passions, et de la cupidite, qui ne disent jamais c'est 
assez, et qui menent l'ame qu'elles ont une fois assujettie, jusqu'a l'extremite de la plus indigne des servitudes. 

19. C'est la liberte de la grace qui nous rend independants de toutes les choses penssables et passageres, et qui 
nous preserve d'etre trompez par les fausses apparences de bien ; au lieu que la liberte des sens ne sert qu'a nous 

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composer autant de liens, et autant de servitudes, qu'elle nous fait aimer de choses qui leur sont agreables. 

20. La liberte de la grace nous rend veritablement riches ; car elle nous remplit de connoissance et d'amour de 
Dieu, et des biens eternels ; elle nous les fait gouter et posseder par avance par les tresors de vertu et de merite qu'elle 
nous amasse, qui sont renfermez dans nos ames, que personne ne nous peut oter, et que nous emportons avec nous en 
mourant. La liberte des sens au contraire nous eloigne peu a peu de la vetle des veritables biens, elle les dissipe et les 
fait perdre, et en seduisant Lame qui s'y laisse aller, elle la rend pauvre, nue, et miserable, qui ne trouve que comme des 
morceaux de verre brisez, et de la cendre entre ses mains, apres s'etre laissee miserablement tromper par les belles 
apparences que le feu de cette miserable liberte a allume autour d'elle. 

21 . C'est enfm la seule liberte de la grace de Jesus-Christ qui nous peut donner de la paix et du repos ; car c'est 
elle qui nous met dans l'ordre et dans l'accord ou nous devons etre avec notre principe et notre souverain bien, sans quoy 
nos ames ne peuvent jamais avoir de repos mteneur, non plus qu'un homme dont les os sont disloquez et hors de leur 
place, ne peut etre sans inquietude et sans douleur. Mais c'est la malheureuse liberte des sens qui fait cette dislocation 
dans les ames, et qui en les attirant dans le piege par les apparences d'une satisfaction passagere, luy enleve tout le repos 
et toute la consolation interieure, pour ne luy laisser que du trouble, des remords, des regrets, et du chagrin. 

22. Rien n'est done plus veritable, que les plus heureux d'entre les hommes sont ceux qui s'etudient et qui 
travaillent a honorer, a augmenter, et a faire tnompher dans eux la liberte de la grace de Jesus-Christ. C'est a ce bonheur 
que la grace de notre vocation a l'etat religieux nous appelle, et nous devons considerer nos Statuts comme autant de 
moyens excellents pour nous y faire parvenir, et pour nous y elever d'une maniere sublime. 

23. A quoy tendent toutes les privations de ce qui satisfait les sens, auxquelles nous nous sommes 
volontairement assujettis par notre profession ? A rien autre chose qu'a deshabituer nos sens des liberies dont nous les 
avons laisse user, a purger dans eux les usages hbertins que nous leur avons laisse faire d'eux-memes, et a les reduire a 
la juste servitude qu'ils doivent a la domination de Lame. 

24. A quoy sert notre separation du commerce du monde, et des objets de ses vanites ? A rien autre chose qu'a 
oter a nos sens l'occasion de se revolter contre 1'ame, et d'attaquer sa liberte pour tacher de la reduire a suivre leurs 
inclinations. 

25. A quoy tendent generalement toutes nos observances ? A rien autre chose qu'a mettre nos ames au dessus 
des sens, a les en rendre maitresses absolues par une domination qui soit confirmee par un usage de possession, et a 
mettre leur liberte hors de danger d'etre seduite par les trompeuses flatteries des sens, et de perdre quelque chose du 
grand et incomparable bien de leur liberte, en manquant de fidelite a l'Esprit de Dieu, qui met, qui augmente, et qui 
perfectionne la liberte par tout ou il est, ainsi que S. Paul nous l'assure, en disant que la liberte est oil est l'Esprit de 
Dieu. 

26. Considerons done notre etat et nos Regies comme les ecoles, et les academies de la veritable liberte, ou Ton 
apprend a la connoitre, a 1 'aimer, a l'acquerir, a en jouir, et a la mettre en pratique. Et s'il semble que notre liberte soit 
captive en nous voyant renfermez dans des monasteres, et engagez dans tant d'observances et de pratiques, ce n'est que 
celle des sens qui est ainsi reduite. Nous ne la reduisons que pour acquerir, conserver et augmenter la liberte de nos 
ames, pour rendre celle-cy plus forte et plus accomplie, et pour la retirer du danger d'etre trompee, afloiblie, ou detruite 
par la liberte des sens. 

27. Si nous otons de la liberte aux sens, ce n'est done que pour en donner davantage a nos ames. He, laquelle 
vaut mieux de la liberte de nos ames immortelles, spintuelles, et honorees de la ressemblance de Dieu, ou de celle de 
nos sens animaux, grossiers, terrestres, passagers, mortels, et qui n'ont rien de different de ceux des betes ? 

28. Aimons notre etat, et considerons les hens de notre profession comme des chames d'or et des bracelets qui 
servent a orner les ames, a faire eclater leur beaute, et a leur faire porter les marques de leur dignite. Considerons enfin 
toutes nos observances comme autant de chainons de l'incomparable chaine de l'amour de Dieu qui nous tiennent 
attachez a luy, par le moyen desquelles il nous tire apres luy afin de nous faire gouter et posseder le precieux tresor de la 
liberte commencee de ses enfants dans le temps, et nous faire jouir dans l'eternite de la bienheureuse liberte 
consommee. N'est-ce pas la le grand bien que nous devons souhaiter ? 

Sur les livres ouverts 

29. Saint Jean dans son Apocalypse dit, qu'il vit de certains livres qu'on ouvrit, et que les morts furent jugez sur 
ce qui etoit ecrit dans ces livres. Le Prophete David parte du grand livre de Dieu, dans lequel tout est ecrit, et ce livre 
n'est autre chose que sa Sagesse qui scait tout, qui comprend tout, et qui fait tout. Ce n'est point de celuy-cy, que saint 
Jean veut parler ; car il est unique et seul, et il n'est a l'usage que de celuy qui en est l'autheur. Et puisque les morts sont 
jugez sur ce qui est ecrit dans ces livres, il faut que ce soient plusieurs livres faits pour notre usage et dans lesquels nous 
ayons du apprendre nos devoirs, et ce que Dieu demande de nous. Considerons done quels sont ces livres, afin de nous 
en bien servir selon les desseins de Dieu, puisque de la depend notre jugement eternel. 

30. Le premier de ces livres est celuy du ciel et de la terre, des elements, et de toutes les creatures, qui est sans 
cesse ouvert devant nos yeux, dans lequel nous voyons les caracteres de la bonte, de la puissance, et de la grandeur de 
notre Createur. Nous y lisons les merveilles de son amour envers nous, qui nous ayant tires du rien par amour, a voulu 
faire pour notre usage tant d'admirables choses, et nous attirer par de si belles preuves de son amour a le reconnoitre et a 
l'aimer. Loutes les creatures nous y annoncent d'une maniere plus claire que le son d'une trompette, ainsi que parte S. 

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Chrysostome, que Dieu est notre principe, et notre fin, notre unique bien, et la source de notre bonheur, comme il est 
l'autheur de notre etre. Pouvons nous refuser d'acquiescer a toutes ces veritez que ce livre nous enseigne ? 

3 1 . Le second livre est celuy de notre conscience, dans laquelle chacun lit ce que le doigt de Dieu y a ecrit luy- 
meme, ainsi que parle saint Augustin ; c'est a dire une conviction du bien que nous devons faire, et du mal que nous 
devons eviter ; une conviction de la justice et de la bonte de ce que la loy naturelle et la loy ecrite de Dieu nous 
enseignent, et une condamnation de ce qui luy est oppose. Nous y lisons et nous sentons que l'autheur de ces loix est le 
Dieu de notre ame et de notre coeur, et que ny l'une, ny l'autre ne peuvent avoir de repos, qu'en suivant les regies et 
mettant en pratique le bien que ce livre nous enseigne. 

32. Je dis que nous le sentons. Car les remords de conscience qui nous piquent des que nous nous en sommes 
ecartez par le peche, nous en sont une preuve continuelle. Et c'est aussi ce qui nous rend inexcusable, quand nous 
quittons ces divines regies que Dieu a ecrites de son doigt dans nos ames. et que nous suivons celles de notre amour 
propre. 

33. Le troisieme et le plus admirable de tous les livres, c'est celuy de l'humanite sacree de Jesus-Christ. C'est le 
grand livre qui est ecrit dedans et dehors : qui contient au dedans tons les tresors de la sagesse et de la science de Dieu, 
et qui nous montre au dehors les richesses immenses de sa charite, et ce qu'elle a ete capable de faire pour nous par le 
pur motif de sa charite. LApotre l'appelle trop grande, parce qu'elle surpasse tout ce qu'on pourroit esperer et penser. 

34. Ce livre est ecrit du propre Sang de celuy qui nous a ainsi aimez d'une charite excessive. Le papier est 
compose de sa propre peau et de sa chair. II y a souffert autant de playes qu'il y a imprime de caracteres, et toutes ces 
playes sont autant de bouches qui annoncent sa charite et sa misericorde. 

35. C'est dans ce divin livre qu'on voit la malheureuse cedule de notre peche dechiree et lavee du Sang de 
l'Agneau. C'est dans ce divin livre que nous trouvons les instructions et les secours necessaires pour nous retirer de la 
vieille servitude qui nous avoit assujettis au joug du peche. C'est par ce livre que les tenebres de l'erreur se dissipent 
dans nos ames, qu'elles connoissent ce qu'elles ont perdu en suivant les inclinations de la nature corrompue, et qu'en se 
laissant tromper par les fictions de la vanite elles ont pris l'ombre pour le corps, elles ont change leur gloire en une 
idole, et que plus malheureuse qu'Esatl, qui vendit son droit d'ainesse pour manger une ecuellee de lentilles, elles ont 
abandonne leur bonheur eternel pour jouir d'une satisfaction passagere. 

36. C'est ce divin livre qui nous fait connoitre les egarements que nous avons commis en nous servant des 
creatures selon nos inclinations depravees, et non point selon les intentions du grand Dieu qui les a faites. C'est luy qui 
nous montre la maniere de reparer l'injure que nous avons faite non seulement a leur Createur, en se servant d'elles 
contre ses intentions, mais meme a ces belles creatures qui gemissent, ainsi que parle saint Paul, sous la servitude des 
pecheurs ; et c'est luy qui nous enseigne a bien lire et a bien entendre ce que Dieu nous veut dire par le beau livre des 
creatures, et ce qu'il attend de nous dans le bon usage que nous en devons faire. 

37. C'est ce divin livre qui nous apprend a bien ecouter, et a bien comprendre ce que le livre de nos consciences 
demande de nous ; qui nous enseigne a quitter l'amour de nous-memes et des creatures pour aimer Dieu uniquement, 
comme etant le seul bien amiable par luy-meme, a renoncer aux choses perissables, qui ne sont capables que de nous 
occuper inutilement, et de nous etre des occasions de dangers et d'inquietudes. 

38. C'est ce livre divin qui nous enseigne a n'ecouter, et a ne suivre que les regies de l'esprit, et non point celles 
des sens et de la chair mortelle, et a quitter toutes les choses temporelles pour n'aspirer qu'aux eternelles. Voila les 
grands moyens que ce livre sacre nous enseigne pour rendre nos consciences pures et tranquilles, et pour mettre 
fidelement en pratique ce que le doigt de Dieu y a grave, et ce qu'elles demandent de nous. Ce sont la les livres dont S. 
Jean veut parler, et sur lesquels nous devons etre jugez. 

39. La bonte du Juge est si grande, qu'il nous donne le temps et les moyens de reparer les fautes que nous 
avons commises contre ce que ces livres nous ont enseigne. Cette meme bonte veut bien nous laisser etre juges en notre 
propre cause, ainsi que S. Paul nous en assure. Faisons-nous done notre procez a nous-memes. Considerons les 
instructions que nous avons recetles de ces livres, et les transgressions que nous en avons faites ; afin que nous etant 
condamnes et chaties nous-memes, nous puissions dire avec David : J'ai fait jugement et justice, ne me livrez point a 
mes ennemis. 

40. Si nous considerons bien quel usage nous avons fait des creatures, nous confesserons que nous les avons 
profanees bien des fois en les contraignant a servir a nos inclinations dereglees, au lieu qu'elles n'etoient faites que pour 
nous attirer par leur bonte, et par leur beaute a aimer et a honorer leur Createur, et a luy etre soumis en toutes choses. 
Passons done condamnation en reconnoissant que le Sage a bien raison de dire qu'elles seront armees par le Createur au 
jour de son Jugement, pour prendre vengeance de ses ennemis. Confessons que nous ne meritons point de joiiir 
davantage de si belles choses dont nous avons si mal use. Adorons la justice de Dieu, et soumettons nous a ce que le 
grand livre de l'humanite de Jesus-Christ ordonnera de nous au sujet de l'usage des creatures. 

41. Si nous considerons combien de fois, et en combien de manieres nous avons renonce aux avertissements de 
nos propres consciences en preferant nos vaines satisfactions au respect que nous devons a Dieu, nous confesserons que 
nous avons merite tous les chatiments que Dieu a preparez aux transgresseurs de sa Loy, et dont il les a menacez. 
Passons done condamnation sur cet article, et reconnoissons que nous avons bien merite d'etre laissez a nous-memes, et 
livrez aux tourments de notre propre esprit, pour avoir ainsi voulu nous servir de nous-memes au prejudice de Dieu et 
de ses loix, et meme au prejudice de nous-memes, en renoncant aux regies de la droite raison ecrites dans nos propres 
coeurs, pour nous abandonner aux loix de la concupiscence et du peche. Remettons-nous pour le reste au divin livre de 

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l'humanite sacree de Jesus-Christ, pour en passer par tout ce qu'il ordonnera a l'egard de la bonne direction et de la 
purification de nos consciences. 

42. Prenons enfin dans nos mains ce grand et divin livre de l'humanite sacree de Jesus-Christ. Si nous y voyons 
tout d'abord notre condamnation ecrite en autant de caracteres qu'il a souffert de playes pour nous racheter, et un 
jugement de mort eternelle ecrit contre nous pour l'avoir derechef crucifie par nos pechez ; nous y trouvons aussi un 
tresor inepuisable de merites et de misericordes, et les moyens de nous racheter de tous nos pechez passez. Nous y 
trouvons les instructions necessaires pour nous echapper de la juste vengeance de Dieu, et pour rentrer en sa grace 
comme ses enfants bien aimez, pour devenir participants de son royaume, et pour donner de la joye aux anges par notre 
conversation penitente et religieuse. 

43. Attachons-nous a ce divin livre ou nous trouvons le salut, la vie et la Resurrection. Mettons toute notre 
application et toute notre etude a le refeuilleter sans cesse, pour y apprendre la doctrine celeste de notre reparation, et 
les moyens d'attirer sur nous un jugement de grace et de misericorde, au lieu de celuy de condamnation que nous avons 
justement merite, pour avoir abuse des creatures et avoir transgresse les regies de nos consciences. 

44. II nous apprendra a bien user des creatures par l'usage que Jesus-Christ en a fait pour luy-meme. II en etoit 
le Createur et le maitre ; l'usage de ses propres creatures ne pouvoit pas luy nuire ; cependant nous le voyons naitre dans 
la pauvrete, vivre dans l'indigence de toutes choses, ne rien posseder au monde, et prononcer de sa propre bouche, que 
les renards ont leurs tanieres, et les oiseaux du del leurs nids mais le Fils de Vhomme ri a point oil reposer sa tete ; il est 
mort sur la Croix, et n'a voulu avoir de quoy etre ensevely que par aumone. 

45. Pourquoy s'est-il reduit a ces extremitez ? C'est pour reparer l'injure que nous avons faite a Dieu en abusant 
de l'usage de ses creatures, et en nous en servant contre l'intention du Createur, etc. C'est pour nous donner l'exemple de 
ce que nous devons observer dans l'etat de notre nature corrompue par le peche, si nous voulons eviter le danger de perir 
par les dereglements de la concupiscence, qui ressemble a ces malades desesperez, qui ne se soucient point de mourir 
pourvu qu'ils contentent leur appetit. 

46. II nous apprend par son exemple a nous detacher des choses materielles et perissables, et a ne nous en 
servir qu'autant qu'une raisonnable necessite le demande. Les creatures nous sont devenues un dangereux piege, a cause 
de la foiblesse et du dereglement que le peche a mis dans nous ; et pour eviter ce piege, il faut en user sobrement, et 
sans aucun attachement, a l'exemple de Jesus-Christ, qui nous dit : Je vous ay donne l'exemple, afin que vous fassiez 
comme j' ay fait. Suivons done cet exemple par esprit d'amour, plutot que par necessite ; et ce sera le moyen d'effacer ce 
qui etoit ecrit contre nous dans ce grand livre des creatures au sujet des abus que nous en avons faits contre les volontez 
de leur Createur. 

47. Nous trouvons dans ce divin livre les veritables moyens de connoitre les droites regies de nos consciences ; 
d'en entendre, et comprendre bien les avertissements, et d'en faire un accomplissement fidele. Car il nous expose les 
grandes regies de la charite que nous devons a Dieu et au prochain, et il nous les fait si bien connoitre par la pratique 
qu'il en fait luy-meme, qu'a moins que de renoncer au bon sens et a la raison, il faut en demeurer convaincu. II nous 
enseigne a faire du bien a ceux qui nous haissent, et ses pratiques en cecy surpassent meme toutes ses paroles. II nous 
enseigne la grande science du renoncement a nous-memes. II nous enseigne la maniere d'etre maitres et possesseurs de 
nos ames par la patience. Bref il nous apprend par toutes les regies de sa celeste doctrine a satisfaire fidelement aux 
instincts de nos consciences. 

48. Si nous mettons bien ces regies en pratique, nos consciences deviendront nettes, pures et remplies de la 
celeste consolation, de 1'incomparable consolation, du temoignage que l'Espnt de Dieu donne aux bonnes consciences, 
que nous sommes les enfants de Dieu. Suivons done et mettons en pratique les instructions que nous donne ce divin 
livre, et nous gouterons dans nos consciences combien Dieu est suave. Nous joilirons d'un repos qui sera comme un 
avant-gout de celuy des bienheureux ; et par ce moyen nous effacerons tout ce qui est ecrit contre nous dans le livre de 
notre propre conscience. 

49. II reste encore un livre qui doit servir a notre jugement. C'est celuy des regies de la Profession religieuse 
que nous avons faite. Celuy-cy nest qu'un extrait du grand livre de l'humanite sacree de Jesus-Christ ; mais il est 
comme une sentence que nous avons subie de gre a gre, dans laquelle sont contenues les charges et les conditions que 
nous avons acceptees volontairement, et que nous nous sommes obligez de porter et d'accomplir, pour reparer nos 
dereglements passez, et pour representer dans nous l'image de Jesus-Christ en suivant ses vestiges et ses exemples. 
Combien devons-noua done honorer ce livre de nos Statuts, puisque c'est le pacte fait entre Dieu et nous, et que sa bonte 
l'a accepte, avec promesse d'oublier toutes nos fautes passees en nous recevant tout de nouveau en sa grace ? 

50. II nous fournit des moyens dont l'Esprit de Dieu est l'autheur, pour bien entendre et mettre en pratique les 
divines lecons du grand livre de l'humanite sacree de Jesus-Christ et pour etre preservez de mille dangers de les oublier 
et de les transgresser. Les regies de nos Statuts nous serviront de moyens efficaces et infaillibles pour nous retirer des 
justes punitions du jugement de Dieu que nous avons meritees par nos dereglements. Mais si apres etre convenus avec 
Dieu de tout ce que nous devons observer pour satisfaire a sa charite offensee, apres nous etre librement engagez et luy 
avoir promis de l'accomplir, nous manquons a notre parole ; ce livre sera ouvert devant nous aussi bien que les autres au 
grand jugement de Dieu. 

5 1 . II attirera sur nous avec justice un double jugement de condamnation, puis qu'apres avoir receu de Dieu par 
une faveur singuliere la grace de notre vocation, par laquelle il nous a fourny tous les moyens de reparer les dommages 
que nous luy avons faits, et que nous nous sommes faits a nous-memes en transgressant ses loix, nous lui aurons fausse 

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notre parole, nous aurons abuse d'une si grande grace, et nous aurons ainsi ajoute a nos pechez passez celuy d'une 
grande et nouvelle infidelite. 

52. Honorons done ce livre de nos regies, puis qu'il contient la sentence de notre delivrance, et de notre 
condamnation tout ensemble: Souvenons-nous de tout ce que nous avons promis a Dieu, et rapportons-nous souvent 
dans l'esprit ces paroles de S. Paul : Gardez-vous bien de vous tromper, on ne se moque point de Dieu. Comme aussi ces 
autres qui sont tant de fois repetees dans l'Ecriture sainte, par lesquelles Dieu est appele un Dieu jaloux. C'est le grand 
mot qui marque sa charite envers nous, et combien il est desireux de la correspondance de la notre envers luy. Aimons- 
le done umquement et parfaitement de toute notre ame, de tout notre coeur et de toutes nos forces ; car il le mente 
uniquement et parfaitement. En l'aimant ainsi nous nous aimerons nous-memes comme nous le devons. 

Sur V amour de la Correction 

53. Le Seigneur chdtie celuy qu'il aime, et il ne recoit personne pour sonfils sans luy f aire sentir les verges de 
sa correction. Ces paroles contiennent une des grandes regies de la conduite de Dieu, qui nous est revelee par saint 
Paul, et un decret de sa sagesse. Nous devons done etre convaincus que rien n'est plus saint, plus sage, plus charitable, 
et plus convenable a notre bien que cette conduite de notre Pere celeste a l'egard de ses enfants, et on n'en peut douter, a 
moins que de vouloir douter que Dieu ne soit parfaitement sage, juste et charitable. 

54. De la il faut aussi conclure que la correction, et les chatiments de Dieu sont les marques les plus assurees 
que nous puissions avoir de son amour paternel. Mais apres l'exemple qu'il nous en a donne en la personne de son 
propre Fils bien-aime Jesus-Christ, il faut tenir pour certain que c'est une regie generale qui ne recoit point d'exception. 

55. // n' a point par donne a son propre Fils dit le meme Apotre. Si la saintete, la sagesse et l'innocence de ce 
divin Fils ne 1 'ont point exempts de passer par le severe chatiment de son Pere ; de quelle maniere devons-nous adorer 
les conseils de notre Pere celeste dans les corrections et dans les chatiments qu'il exerce sur de miserables pecheurs 
comme nous sommes, les honorer et les accepter comme des marques de son amour, et de ses soins paternels sur nous ? 

56. Nous devons faire un sujet de gloire, de ce que par ce moyen il nous fait part a l'etat de correction et de 
chatiment de son Fils bien-aime, comme il en a fait part a la Mere de la belle dilection, qui est la Sainte Vierge, aux 
Apotres, aux Martyrs, aux Confesseurs, aux Vierges et a toutes les saintes ames, qui ne sont devenues saintes, que par 
les soins paternels que Dieu a employez a les corriger et a les chatier pour les rendre ainsi conformes a l'image de son 
Fils. 

57. Nos raisonnements doivent se cacher devant la Sagesse de Dieu ; mais s'il nous est permis de dire ce que 
nous pensons sur le pourquoy il en use ainsi a l'egard de tous ceux qu'il veut rendre ses ventables enfants et les 
coheritiers de Jesus-Christ, nous dirons que c'est une suite necessaire de son decret eternel, de laisser dans nous le foyer 
du peche, afin de nous engager a combattre, et a vaincre avec le secours de sa grace, et de la liberte avec laquelle il veut 
que nous agissions. 

58. Dieu pourroit changer les hommes tout d'un coup, et de mauvais les rendre bons ; il nous en a donne des 
exemples dans saint Paul, et dans sainte Magdelaine. II les a convertis d'une maniere eclatante et admirable ; mais II ne 
les a pas voulu exempter pour cela du combat des tentations, des dangers et des pemes. Nous entendons saint Paul qui 
s'ecrie dans le combat : Malheureux homme que je suis, qui me delivrera de ce corps de mort ? Je sens dans mes 
membres la loy du peche qui repugne a la loy de mon esprit. Je chdtie mon corps et je le reduis a la servitude, de peur 
qu'ayant preche aux autres, je ne devienne moy-meme un reprouve. C'est ainsi que cette sainte ame s'imposait a elle- 
meme la discipline de la correction, et qu'elle reconnoissoit le besoin qu'elle en avoit. 

59. Ny la charite que Jesus-Christ portoit a sainte Magdelaine, ny la parole de la remission de ses pechez qu'il 
luy avoit prononcee de sa propre bouche, ny les premieres joy es de sa Resurrection, qu'il luy avoit voulu dormer comme 
une marque de sa tendre dilection, ne Font pas empechee de passer le reste de ses jours dans l'exercice d'une rude 
penitence. C'est ainsi que ces saintes ames ont honore les desseins de Dieu, et qu'elles y sont entrees en se chatiant et en 
se flagellant elles-memes, pour ne point etre jamais separees en cette vie mortelle de cet etat de correction et de 
flagellation que Jesus-Christ a embrasse luy -meme. Sommes-nous meilleurs que luy pour vouloir en etre exempts ? 

60. La raison la plus evidente de cette conduite de Dieu sur ses enfants, est fondee sur son amour et sur la 
liberte qu'il nous a voulu donner de l'aimer, ou de ne le point aimer. L'amour et la contrainte sont incompatibles. II se 
contente done d'agir en vers nous par de charitables solicitations, et par des moyens dont sa paternelle bonte a resolu de 
se servir, pour aider notre liberte depravee par le peche, a se porter a luy comme a son souverain bien, et a son principe, 
au veritable objet de son amour, et a son Tout. 

61. Ces sollicitations et ces moyens nous viennent par les attraits de ses graces, et les remontrances interieures, 
par les inspirations et les correctionsqu'il nous fait, par les adversitez interieures et exterieures. Les unes nous font entrer 
dans la connoissance et dans la defiance de nous-memes, et les autres nous engagent a nous detacher des choses du 
monde et des creatures ; et les unes et les autres nous engagent de recourir a notre Pere celeste, comme le petit enfant 
qui voit une bete qui le poursuit, court a sa mere pour se jeter dans son sein, et appelle son pere a son secours. 

62. Si les desseins que Dieu a sur ses enfants en les corrigeant par luy -meme, sont si saints, si necessaires et si 
utiles, nous ne pouvons point aussi douter, que la correction qu'il recommande tant de nous faire a ceux qu'il a etablis 
pour nous gouverner de sa part, ne soit aussi un des plus pressants moyens dont il veut se servir pour aider notre liberte 
a ne se point ecarter de luy en suivant ses propres inclinations. Car il a dit en parlant de ces correcteurs etablis de sa part 

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: Celuy qui vous ecoute, m' ecoute ; et celuy qui vous meprise, me meprise. 

63. Les Peres qui sont sages et desireux du bien de leurs enfants, prient les maitres a qui ils les donnent pour 
les elever dans les bonnes mceurs et dans les sciences, de ne leur rien pardonner ; et de la est venu le proverbe vulgaire, 
qui appelle des enfants traittez en enfants de bonne maison, ceux a qui on ne pardonne rien. Faut-il nous etonner apres 
cela si Dieu qui est le Pere des peres, recommande si instamment qu'on nous fasse la correction sans nous epargner, et 
sil nous recommande tant de la recevoir avec respect, et avec reconnaissance ? 

64. Qu'est-il question de faire pour bien suivre et accomplir les desseins de notre Pere celeste, pour devenir de 
bons enfants, fideles, obeissants, et soumis comme ils le doivent a un si saint, si grand et si bon Pere, pour bien recevoir 
le grand moyen de la correction dont il a resolu de se servir pour notre sanctification et pour en profiler ? II faut avant 
toutes choses nous rendre bien convaincus du besom que nous avons de la correction ; nous n'avons qu'a considerer 
pour cet effet en quel etat le peche et les habitudes contractees par l'usage de pecher, nous ont mis. 

65. Le peche a mis le dereglement, la revolte, et le desordre dans nos inclinations naturelles. Nous sommes 
devenus comme un theatre sur lequel nos desirs, nos aversions, et nos passions jouroient volontiers le personnage des 
betes, et nos imaginations y feroient une farce par mille productions chimenques, et par mille sottises. Que seroit-ce 
done si on n'y apportoit le remede de la correction pour les retemr ? Nos entendements sont foibles, et si faciles a etre 
trompez, que lors que nous croyons etre sages par la bonne opinion de nous-memes que l'orgueil nous donne, nous 
sommes fous en effet. Comment devenir sages si nous ne nous servons de la correction que S. Paul nous suggere, en 
disant : Celuy qui croit etre sage, ilfaut qu'il devienne fou dans son estime, avant que de pouvoir etre sage. 

66. Nos volontez sont devenues mauvaises et malicieuses, en sorte que la connoissance du bien et de la verite 
que la raison leur montre n'est point capable de les empecher de faire le mal, et les habitudes qu'elles ont contractees de 
vouloir a leur mode, sont comme un poids qui fait trebucher la balance de la liberte du cote de ce quelles veulent et de 
ce qu'elles aiment, au prejudice de l'amour et de la volonte de Dieu. II n'y a que le secours des graces de notre Pere 
celeste, et le remede de la correction qui puissent nous aider a renoncer a cette malice de notre volonte, et a toutes ses 
malheureuses suites. 

67. Qu'est-ce done qu'un homme qui connoit point, ou qui n'est point convaincu du besoin qu'il a de la 
correction ? C'est comme un malade furieux, qui ayant une maladie mortelle, et etant couvert d'ulceres depuis les pieds 
jusqu'a la tete, ne croit point etre malade. C'est un malade qui ne veut point de remede, et qui ne veut point souffrir 
qu'on l'approche pour le guerir. 

68. Le Prophete David a done bien raison de dire dans son Psaume : Le juste me fera la correction avec 
misericorde ; mais l'huile du pecheur, c'est a dire la flatterie du pecheur, n'engraisse jamais ma tete. II nous veut faire 
entendre par la le desir qu'il avoit de la correction, et que de faire la correction, c'est faire une oeuvre de misericorde, et 
que c'est Taction d'un homme juste ; mais ceux qui nous flattent dans nos defauts, sont comme des vendeurs de 
mechante huile, qui n'est propre qu'a empoisonner, et a faire mourir les malades au lieu de les guerir. 

69. Si nous sommes convaincus du besoin de la correction, il faut que nous reconnoissions necessairement que 
pour agir en hommes raisonnables, il faut recevoir au moins de bonne grace la correction qu'on nous fait de nos fautes. 
Faire autrement c'est vouloir imiter les betes qui regimbent et tachent de frapper ceux qui veulent les prendre pour les 
ramener a l'ecurie, afin de les empecher de demeurer exposees pendant la nuit a 1'injure du temps et a la fureur des betes 
fauves. Chargeons-nous done de confusion en voyant tant d'hommes que la raison et l'expenence ont rendus convaincus 
des fautes qu'ils commettent, et du besoin qu'ils ont de la correction, et qui neanmoms agissent en betes en ne la 
souffrant que par contramte, en se mettant en colore contre ceux qui les reprennent avec raison, en se plaignant et en 
murmurant, comme si on leur faisoit un grand tort. 

70. Mais nous devons devenir persuadez que nous ne serons jamais hommes spirituels, que nous n'aimions la 
correction selon notre homme inteneur. 

71. Pour etre homme spintuel, il faut desirer de se connoitre bien soy-meme, et se servir de tous les moyens 
convenables pour parvenir a cette connoissance. 

II faut avoir une forte resolution de suivre en toutes choses les regies et les mouvements du bon esprit, sans 
nous laisser surmonter par le notre qui est plein de tenebres et de foiblesses. 

II faut enfin aspirer a devenir un meme esprit avec Dieu, qui est le Pere des esprits, ainsi que S. Paul nous dit 
qu'il arrive a ceux qui s'attachent uniquement a Dieu. 

72. Celuy qui n'aime point la correction, ne veut ny bien entrer dans la connoissance de soy-meme, ny s'y 
avancer, puis qu'il n'aime point ce qui luy peut procurer ce grand bien qui est la correction. Car c'est elle qui nous 
montre nous-memes a nous-memes, et qui nous empeche d'etre de mauvais juges dans notre propre cause. 

II ne veut point honorer, ny suivre comme il doit les regies du bon esprit, puis qu'il veut toujours estimer le 
sien, et suivre son propre jugement ; et enfin il ne peut devenir un meme esprit avec Dieu, puis qu'il veut demeurer 
attache a soy-meme, et n'aime point ce qui Ten peut detacher. Celuy qui n'aime done point la correction, ne peut devenir, 
ny etre un homme spirituel. 

73. Mais cet amour de la correction doit s'entendre comme l'entendoit S. Paul, quand il disoit : Je me delecte 
dans la loy de Dieu selon man homme interieur ; il faut l'entendre de 1 'amour raisonnable et volontaire d'une bonne ame 
qui estime la correction, qui la prend, et qui s'en sert comme un bon et sage malade se sert d'une medecine qu'il avale 
courageusement, nonobstant les degouts et les repugnances de la nature. Car l'amour sensible de la correction n'est point 
en notre pouvoir. 

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74. L'exemple des medecms et des malades nous aidera a bien comprendre tout le mystere et la maniere de 
bien faire et de bien recevoir la correction. Le malade a qui on doit faire une incision pleure, et on ne laisse pas de la 
faire. II n'entre point pour cela en colere contre le chirurgien, mais au contraire il le paye de sa peine. 

75. Le malade qui veut guerir surmonte ses repugnances, et il aime sa vie en supportant la douleur ; au lieu 
qu'il hairoit sa vie s'il aimoit mieux demeurer dans son mal, que de souffnr la douleur du remede. Le bon Religieux qui 
veut vivre en veritable homme spirituel, doit faire le meme a l'egard du remede de la correction, et l'aimer nonobstant 
les repugnances et les contradictions de l'homme animal. Si la nature pleure en recevant le coup, l'esprit se rejoilira de 
la consolation interieure et du profit qui luy en reviendra. 

76. Celuy qui fait la correction, doit imiter le sage chirurgien. qui coupe et qui taille quand il le faut sans 
epargner le malade. Car s'il l'epargnoit, il ne le guenroit point ; mais il prend les mesures les plus raisonnables qu'il 
peut, pour ne point affliger son malade, et pour l'aider a porter sa peine plus doucement. II n'est done question que 
d'imiter les sages chirurgiens et les bons malades pour bien appliquer et recevoir le grand remede de la correction. 

77. Les desseins et les conseils de Dieu au sujet de la correction qu'il se plait de faire a ses enfants nous sont 
connus ; nous scavons les dispositions que nous devons avoir pour etre ses bons enfants. Faisons done comme les bons 
enfants qui aiment et honorent d'autant plus leurs parents, quils reconnoissent que leurs corrections et leurs chatiments 
ne tendent qu'a les faire devenir des gens de bien et d'honneur ; mais ceux de Dieu tendent a nous faire devenir des roys 
et des bienheureux. 

78. Recevons avec respect les flagellations que Dieu nous impose luy-meme par des peine des combats, des 
maladies, et des adversitez, nous souvenant de ce que nous dit saint Paul, que e'est ainsi qu'il traitte tous ceux qu'il veut 
recevoir au nombre de ses enfants. Recevons avec charite les corrections de ceux qu'il a deputez pour veiller sur nous, et 
avec le respect que meritent les ordres de Dieu, qui les menace de les punir severement sils manquent de nous avertir de 
nos fautes et de nous faire la correction. Et enfin souvenons-nous de ce grand mot de nos Statuts, qui nous dit, que si 
notre foiblesse nous fait tomber comme des hommes fragiles, nous nous gardions bien de ressembler aux demons, en 
nous rendant rebelles a la correction. 



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Chapitre Huitieme 

Sur la renaissance a laquelle notre Institut dispose les religieux de l'ordre pour representee 
chacun dans leur employ, l'enfance, la jeunesse, et l'age parfait de Jesus-Christ 



1. Le peche ay ant tout defigure la ressemblance de Dieu qui etoit dans le premier homme, elle etoit si 
meconnaissable dans cet etat, que Dieu luy-meme demandoit ou etoit Adam : Adam, oil es-tu ? Les Anges ne le 
reconnoissoient plus, puisque Dieu l'ayant chasse du paradis, l'un d'eux fut mis a la porte pour l'empecher d'y rentrer. 
L 'homme luy-meme ne se reconnoissoit plus en se trouvant nud, et contraint de chercher de quoy couvrir sa nudite. II 
faloit une renaissance pour reparer cette ressemblance dans la creature que Dieu avoit honoree de son image. 

2. Jesus-Christ qui est l'image naturelle de la bonte de Dieu, et la figure de sa substance, a entrepris par luy- 
meme cette reparation de l'image de Dieu, et cette renaissance. II nous a comme reconceus dans le sein de sa charite, 
afin de nous enfanter volontairement par la parole de sa verite, comme parle saint Paul. C'est ce qu'il a fait d'une 
maniere admirable, et nous sommes en luy et par luy une nouvelle creature, comme le dit le meme Apotre. 

3. II n'a point voulu pour cela changer la nature de l'homme, ny le retirer de son etat de penitence ; mais il l'y a 
laisse, afin que l'homme put rendre a Dieu un grand honneur, en faisant de soy une hostie vivante par la destruction du 
corps du peche ; qu'il put faire justice en punissant sa propre chair pour avoir ete l'instrument du peche, et qu'il put 
acquerir beaucoup de merites par la necessite ou il se trouve de combattre et de vaincre. Jesus-Christ luy-meme a voulu 
prendre cet etat de la vie penitente, et l'a voulu ainsi honorer et sanctifier, afin de nous montrer que c'etoit la son 
dessein. 

4. Jesus-Christ laissant done la nature dans cet etat, nous a voulu comme concevoir, et enfanter de nouveau nos 
ames par trois choses. 

1° Par l'effacement de la coulpe, qui attiroit sur l'homme l'aversion de Dieu ; mais en jetant les yeux sur la face 
de son Fils fait homme, II n'a plus trouve de sujet de damnation dans ceux qui sont unis a Jesus-Christ. Et c'est par ce 
moyen que nous sommes receus dans l'adoption de Dieu ; en sorte qu'on nous appelle, et que nous sommes par effet les 
enfants de Dieu. 

2° Par l'infusion de la grace, qui fait que Lame eclairee par la lumiere de la charite, echauffee par son feu, et 
soutenue par sa force, passe des tenebres dans l'admirable lumiere de Dieu, et marche comme une fille de lumiere, au 
lieu qu'auparavant elle etoit comme assise dans les tenebres et les ombres de la mort, et meme elle y etoit gisante. 

3° Par l'instruction de sa doctrine, qui nous apprend et nous incite d'une maniere admirable a connoitre et a 
suivre les instincts de l'ame dans lesquels cette image de Dieu reluit particulierement en trois choses : dans l'inclination 
qu'elle a d'aimer ; dans le desir de la paix interieure ; et dans la liberte. 

5. L'effacement de la coulpe, et l'infusion de la grace nous sont donnez par le Bapteme et par la penitence ; 
mais sa doctrine nous doit servir pour reparer et perfectionner par pratique l'image de Dieu dans nous, et nous fournit 
les moyens d'etre sans cesse dans l'exercice et dans la poursuite du veritable amour, du repos interieur et de la hbert', de 
meme que la nature divine ne s'eloigne jamais de la paix, de la charite, et de la liberte qui luy sont naturelles. 

6. Ces trois caracteres de la ressemblance de Dieu, la charite, la paix, et la liberte etoient devenus dans l'homme 
si fort obscurcis et envelopez par le peche, que bien loin d'en savoir faire un bon discernement, il les convertissoit en 
des usages reprouvez selon les desirs de son cceur. Son amour travailloit a s'amasser des miseres ; son desir du repos 
l'entrainoit dans des soms inutiles et penibles ; et sa liberte le jettoit dans les chaines. Jesus-Christ a done travaille, et 
nous a engendrez de nouveau par sa doctrine evangelique, afin de reparer dans nous, non pas en speculation, mais en 
pratique, l'image de Dieu dans l'amour, dans la paix, et dans la liberte. 

7. II nous repare dans l'amour par le nouveau precepte, et l'exemple de sa charite, qui detruit l'amour deprave ; 
dans le repos de l'ame par la doctrine de la douceur et de l'humilite, qui detruit la colere et l'orgueil ; et dans la liberte 
par sa doctrine du renoncement a soy-meme et de porter sa croix apres luy. La liberty ne peut etre ny reparee, ny 
perfectionnee, qu'en la mettant au dessus des desirs de la nature corrompue, et de toutes les choses creees. Car a moins 
qu'elle ne soit libre de tout ce qui est au dessous d'elle, elle ne peut bien user de soy-meme, et ne peut s'unir en sa 
maniere a la charite de Dieu, de laquelle elle a pris sa naissance. C'est ce que fait le renoncement a soy-meme ; car par 
son moyen l'ame ne se met point seulement au dessus de ses appetits dereglez, des creatures, et d'elle-meme ; mais elle 
se perfectionne par autant de degrez qu'elle s'eloigne de la fausse liberte des sens, et qu'elle la detruit. 

8. Rien n'est plus juste, ny plus convenable que cette reparation pratique, genereuse et laborieuse de l'image de 
Dieu dans l'homme. II l'avoit gatee en un moment, et il doit employer toute sa vie a la servir, honorer, et embellir. C'est 
done le moyen de faire une double reparation de l'image deshonoree, et de la fidelite violee. C'est pour cette raison que 
la vie du Chretien a besoin a tous moments d'exercer ou le renoncement a soy-meme pour conserver sa liberte, ou 
l'humilite pour etouffer l'orgueil ennemy du repos de l'ame, ou enfin la charite, pour rendre a Dieu, a soy-meme et au 
prochain ce qu'il luy doit. Mais la necessite est heureuse qui nous engage a devenir meilleurs. 

9. Jesus-Christ a done voulu reparer luy-meme l'image de Dieu dans nous, en nous engendrant, et en nous 
faisant renaitre par la parole de sa Verite. Mais connoissant a combien de dangers, d'accidents, et de pieges mortels nous 
etions exposez dans le siecle, il nous a voulu faire une faveur singuliere, en nous disposant comme un ventre spirituel, 

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dans lequel nous faisant rentrer par la grace de sa vocation, notre vie fat plus en surete, et ou elle recut la protection, ta 
nourriture, et l'accroissement, jusqu'a ce qu'il nous eut enfantez a la bienheureuse eternite. 

40. II a choisy pour cet effet le saint Instituteur de notre Ordre, pour nous composer le sein spirituel de son 
Institut, ou par les attraits de la grace de Dieu nous fussions receus et conceus de nouveau. Saint Paul disoit a ses 
disciples : Mes petits enfants, pour qui je souffre des douleurs d'un second enfantement jusqu'a ce que Jesus-Christ soil 
forme dans vous. S. Bruno peut a bon droit nous dire la meme chose ; car il a la meme tendresse de charite pour nous, 
que S. Paul avoit pour ses disciples. Nous sommes conceus dans son Ordre pour une nouvelle vie, et toute la fin de son 
Institut ne tend qu'a former Jesus-Christ dans nous. Considerons done combien tout ce qui est contenu dans nos Regies 
est convenable pour former Jesus-Christ dans nous selon les trois etats de sa vie, de son enfance, de sa jeunesse, et de 
son age parfait ; de son enfance dans les Religieux ; de sa jeunesse dans les Officiers ; et de son age parfait dans les 
Supeneurs. 

Son Enfance 

1 1. La sagesse de Dieu a fait un jeu admirable sur le globe de la terre, en se reduisant a l'etat de l'enfance. Elle 
s'est servie de ce jeu pour se jouer des princes de ce monde, et pour attirer les enfants des hommes aux delices qu'elle 
veut prendre avec eux. Elle s'en etoit expliquee bien longtemps auparavant par la bouche de son Sage. C'est la pure 
charite qu'il a pour nous qui luy fait faire cet admirable jeu. Regardons done avec attention ce jeu du Verbe divin, qui 
soutient tout par la parole de sa vertu, et qui est renferme dans le sein d'une tres sainte Vierge, et considerons ce qu'il y 
fait. 

12. II y demeure assis, solitaire, et il s'y tait, gardant un profond silence de la bouche. II en veut sortir lors que 
tout est en silence sur la terre ; et il etoit bien convenable que tout fut pour lors dans le silence, puisque le Seigneur de 
toutes choses le gardoit si bien en paroissant sur la terre. C'est par le silence qu'il commence la doctrine pratique de sa 
vie, et avant que de prononcer les oracles par lesquels il devoit reveler les mysteres de Dieu, enseigner toute la justice, 
et convertir tout le monde. II a accomply avec une parfaite exactitude les regies de la cellule et du silence qu'il s'estoit 
prescrites a soy-meme. 

13. Cet etat de solitude et de silence n'etoit point destitue d'occupation. La conversation du Fils de Dieu etoit 
toujours toute divine. Elle n'etoit point interrompue ; mais elle etoit dans un entretien continuel des paroles de l'Esprit 
que ce divin Enfant dingeoit tantot a son Pere eternel, tantot au cceur de sa sainte Mere, qu'il faisoit fondre en de doux 
excez de charite par une de ses paroles d'Esprit. Et il est sans doute que sans un soutien special de grace la sainte Vierge 
seroit morte dans les saintes langueurs de la charite a une seule des paroles de ce divin Fils qu'elle tenoit et nourrissoit 
dans son sein. 

14. He, qui pourroit exprimer de quelle maniere le cceur de la Mere se fondoit aussi dans celuy de son Fils, et 
de quelle maniere elle proferoit ces paroles du Cantique : Je suis a mon bien-aime et son retour envers moy est entier ? 
C'estoit icy ou se trouvoit le fondement du mystere du Cantique : mais il ne nous appartient point d'aller plus avant sur 
cette matiere. Tout ce que Dieu fait homme opere dans le secret du sein de sa Mere nous est un miracle et un mystere. 
Souhaitons et cherchons les moyens de faire l'experience des blessures de la pure charite. 

C'est en l'autre vie que nous verrons comment le buisson de Marie n'a point ete consume par le feu de l'amour 
divin qui reposoit et qui bruloit dans son sein. 

15. Les Anges avoient leur part a cette conversation du Verbe divin dans son etat de silence, et ils Font admire 
enfant qui se taisoit, avant que les docteurs de la loy entrassent dans l'admiration et dans l'etonnement au sujet de sa 
prudence et de ses reponses. La joye des Anges d'avoir este preservez de l'orgueil qui a fait les demons s'excitoit en 
voyant Dieu dans l'humilite de l'enfance et en goutant comme dans la source l'excellence de cette vertu, et de leur 
preservation. Ils trouvoient un paradis dans l'etable de Bethleem autour de l'Enfant Jesus, paradis plus admirable que 
celuy du ciel. Car de voir Dieu dans la gloire cela est ordinaire et naturel ; mais de le voir reduit a l'humilite de 
l'enfance, c'est une chose extraordinaire, une nouvelle invention de sa charite, et un miracle de sa bonte. 

16. Mais parmy cette celeste conversation qui se faisoit dans le silence, l'exercice du sacrifice et du penible 
combat de notre salut s'y rencontroit aussi. Car Jesus-Christ des le premier moment de sa conception a fait son offrande 
d'etre victime de notre Redemption, et l'a continuee par des actes d'un Homme-Dieu jusqu'au dernier moment de sa vie. 
C'est icy qu'il commence a dire a son Pere eternel : ibild que je viens : il est ecrit a la tete du livre que je fasse votre 
volonte ; mon Dieu, je Vay voulu et votre loy est au milieu de mon cceur. L'idee de sa future Passion ne l'a point quitte 
d'un moment, selon ces paroles du Psalmiste : Je suis toujours prest a recevoir les coups de fouets, et ma douleur est 
sans cesse devant mes yeux. Mais il est bien a croire que des ce temps-la la sainte Mere participoit en quel que maniere a 
l'etat de son Fils, et que par des impressions inteneures il la disposoit au combat douloureux de sa Passion future, afin 
que l'etat de la vie de la Mere eut plus de ressemblance a celuy de son Fils. 

17. Conferons les pratiques de notre etat de Chartreux avec ceux de Jesus-Christ dans le sein de sa tres sainte 
Mere, pour en bien connoitre les convenances et les rapports. Nos cellules separees, et notre silence nous sont comme 
un sein virginal dans lequel nous sommes receus, et ou nous demeurons assis, et dans le silence, pour etre formez par ce 
moyen a la conversation avec Dieu. et au vol de l'esprit qui nous eleve au dessus de nous-memes. Nos cellules nous sont 
comme un sein qui nous environne de toutes parts, et nous defend centre les ennemis de l'mnocence a laquelle l'enfant 
Jesus nous appelle. II nous met a couvert des insultes de tant de voleurs du bien de Fame dont la rencontre est toute 

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ordinaire dans le commerce du siecle, ou qui empechent la conception et l'accroissement du bien, ou qui le font avorter, 
ou bien qui le tuent par des breuvages mortels qui font rire en tuant ceux qui en boivent. 

18. Les principaux ingredients qui composent ces trompeurs breuvages qui font ainsi mounr en riant, sont 

1° Les objets de vanite qui ensorcellent les esprits, et font perir l'innocence par le renversement que la malice 
fait dans la raison 

2° Les mediants exemples qui poussent la roue de notre foiblesse naturelle et la font rouler dans le mal, 
comme une roile qn'on pousse avec la main. 

3° Les occasions du peche qui sont comme l'appas de l'hamecon du diable dont il se sert pour prendre et retirer 
les ames de l'innocence comme un poisson qu'on tire hors de l'eau. 

Et 4° Les conversations dereglees qui servent de filets au diable pour prendre et lier les ames ; et qu'on peut 
appeler a bon droit les interpretes des vice, des demons et des creatures insensibles. Car sans ces mauvaises 
conversations on pourroit ressentir des mouvements ; mais souvent on n'entendroit point ce qu'ils veulent dire. Ces 
conversations attaquent le cceur par les oreilles, et sont comme le vehicule qui y fait passer le venin. Le sein de notre 
separation et de notre solitude nous garde de tout cela, et fait que l'innocence de notre enfance spirituelle qui est 
conceue, se conserve, se nourrisse et s'augmente jusqu'a ce qu'elle parvienne a un heureux enfantement. 

19. L'observance du silence fait une representation de Jesus-Christ qui se tait dans le sein de sa Mere. C'est un 
apprentissage d'imitation de la conversation interieure qu'il avoit avec son Pere, avec sa Mere, et avec les celestes 
Esprits. Pourquoy nous taisons nous ? c'est afin de perdre l'usage des vains entretiens : c'est pour temperer la ferveur de 
la langue a parler, et pour retenir l'inclination que nos esprits ont aux choses vaines : c'est afin que nous puissions mieux 
entendre par l'eloignement du bruit des paroles, ce que Dieu veut dire a nos ames. Si nous parlons dans nos cellules 
pour reciter les Offices canoniques et les Heures de la sainte Vierge, c'est pour nous habituer a converser avec Dieu, 
avec la sainte Mere de Dieu, et avec les celestes Esprits. Enfin nous nous taisons de la bouche pour mieux apprendre la 
maniere de la conversation de l'esprit, qui se fait sans qu'il soit besoin de paroles, et qui fait gouter a Lame combien 
Dieu est suave. 

20. Voila quelle etoit l'occupation de Jesus-Christ dans le sein de sa Mere, et c'est a cela meme que nous veut 
former le sein de notre Ordre, comme a ce qui doit necessairement composer l'occupation de notre vie chartreuse, et 
sans laquelle notre separation seroit insipide, notre solitude ennuyante, et notre enfance spirituelle toute puerile et 
badme. II ne faut etre enfant qu'en malice et en humilite, et non pas en legerete et en puerihte. 

21. C'est un proverbe commun qu'on connoit mieux les hommes par la conversation que par toute autre chose. 
Et en effet. c'est par la qu'on decouvre leurs vertus et leurs defauts. Si vous voulez done gouter, 6 Religieux chartreux, 
que Dieu est l'objet naturel de votre ame, et combien il est suave, etudiez-vous a parvenir a l'honneur de sa conversation 
par l'observance du silence ; vous connoitrez par ce moyen et vous serez rassasie par un certain avant-gout de l'eternite. 
Car des que Lame est parvenue au secret de la conversation avec Dieu. ne fut-ce que pour un moment, la veile intime et 
ineffable qu'elle a de la verite luy fait ressentir le repos de la satiete ; elle reconnoit l'admirable rapport qu'il y a entre 
l'etat de Lame qui aime Dieu et qui jouit de sa conversation dans la voye, avec celuy des Bienheureux dans la patrie, ou 
ils ont dans la vision de Dieu tout ensemble et de quoy desirer, et de quoy etre rassasiez, et de quoy etre toujours enivrez 
par le torrent de la volupte de Dieu. 

22. Tout nous aide et tout nous porte dans le sein de l'Ordre a cette intime conversation. L'usage de la 
separation et de la solitude, en eloignant l'innocence de l'ame de beaucoup de dangers, nous ouvre le chemin a la purete 
de cceur, qui rend l'esprit dispose a voir Dieu. Le silence de la langue nous presse de nous occuper a la conversation 
interieure. La Regie d'une obeissance pratiquee dans le secret de la vie cachee, nous sert d'echelle pour monter a Dieu 
par des degrez fermes et stirs. Si done nous cherchons bien Dieu dans nous et non point ailleurs, puisque son royaume 
est dans nous ; si nous apprenons bien a nous entretenir avec luy par l'usage de l'oraison, sans que l'aridite nous en 
detourne jamais, Dieu nous parlera au cceur dans cette solitude ou il nous a amenez. 

23. Si vous avez vu que l'enfance de Jesus-Christ a ete toujours accompagnee du sacrifice auquel il s'etoit offert 
des le moment de sa conception ; notre etat nous engage a faire le meme apres nous etre offerts en sacrifice le jour de 
notre profession, a l'exemple de Jesus-Christ. Nous devons done nous considerer comme des victimes consacrees a 
Dieu, et nous servir des moyens, que l'etat de vie que nous avons embrasse nous fournit pour paroitre devant luy comme 
des hosties vivantes et agreables a ses yeux, en regardant Jesus-Christ l'autheur, et le consommateur de notre foy, qui 
des le moment de sa conception dans le sein de sa Mere, s'est offert pour nous en sacrifice, et a para devant Dieu son 
Pere toute sa vie dans l'etat d'une victime jusqu'a ce qu'il eut ete immole par la mort de la croix. 

24. Mais il est de la derniere importance que nous evitions soigneusement toutes les choses qui sont opposees a 
la bonne enfance spirituelle, et qui sont capables d'empecher la formation de l'enfance de Jesus-Christ dans nous. Car 
Dieu veut que notre liberte et notre industrie concourent avec sa grace, ainsi que nous explique le grand pape S. Leon, 
pour faire dans nous ce qu'il y veut operer Rien n'est done plus juste, plus raisonnable et plus necessaire. 

25. La premiere chose que nous devons eviter, c est l'amour et 1'estime de notre propre jugement, qui porte 
toujours les restes et les marques de la blessure, que notre premier pere luy a faite en voulant etre comme Dieu. Sa 
grande pente a juger des choses cachees, aussi bien que de celles qu'il voit, comme s'il participoit a la science et aux 
droits de Dieu, en fait la preuve. Le Verbe divin s'est fait enfant, pour apprendre aux hommes a quitter la folie de vouloir 
etre comme Dieu. II a commence sa vie par l'enfance, pour nous apprendre que notre vie spirituelle devoit commencer 
par la destruction de cette fausse divinite et qu'il faloit ramener l'entendement a la sainte enfance afin qu'il put bien 

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apprendre a se servir de luy-meme, a entendre et a juger sagement. II faut done considerer cette estime du propre 
jugement comme un vice spirituel, dont le diable se sert pour infecter les spirituels, et qui corrompt d'autant plus 
subtilement Lame, et luy fait offenser Dieu et le prochain, qu'il est plus spirituel et eloigne du materiel. Ce vice est aussi 
suivy pour l'ordinaire d'un aveuglement d'esprit ; et il ne faut point s'etonner si Dieu le punit de cette sorte. Car puis 
qu'il veut mettre la main a ce qui n'appartient qu'a Dieu, il merite que Dieu le livre au sens reprouve. 

26. La seconde chose dont il nous faut garder, e'est de suivre l'aversion naturelle qu'on a a la correction. Car 
rien n'est plus eloigne de l'humilite de l'enfance, et de ses necessitez, que de vouloir rejeter ce moyen qui sert a 
l'accroissement et au progrez de la vie spirituelle devant Dieu et devant les hommes. L'enfant qui ne voudroit etre ny 
mstruit, ny corrige, ne pourroit j amais etre sage. L'homme spirituel qui voudroit faire le meme, ne le sera jamais que de 
nom. 

27. La troisieme chose qui est a fuir, e'est la negligence a captiver sa propre volonte sous l'obeissance. Car la 
vie solitaire et cachee est expose a beaucoup de dangers de la propre volonte, si elle n'est conduite par cette vertu, et 
soumise comme au frem de sa direction. Elle n'est guere arrosee des graces du ciel, si elle ne suit l'exemple de 1 'Enfant 
Jesus, qui a voulu mener sa vie cachee sous l'obeissance qu'il a a rendue a sa sainte Mere et a saint Joseph. C'est aussi la 
raison pourquoy nos Statuts anciens et nouveaux, renferment tout notre etat et tout le bien de notre etat dans la seule 
obeissance. 

28. Enfin la quatrieme chose que nous devons eviter, c'est le deguisement et la duplicite ; car l'un et l'autre sont 
bien eloignez de l'imitation de la sainte enfance de Jesus-Christ, et de l'esprit de l'Ordre des Chartreux, dont le caractere 
est la simplicite. Le deguisement et la duplicite ressentent l'astuce et l'esprit du monde, la passion et la propre volonte. 
Elles ne s'accordent done en aucune maniere, ny avec la solitude, ny avec la separation du monde, ny avec la 
conversation avec Dieu ; puisque la sainte Ecriture nous dit, qu'il ne se plait a converser qu'avec les ames simples. 

29. Voila quelle est la bonne et sainte enfance formee sur celle de Jesus-Christ, a laquelle le Rehgieux 
chartreux parviendra par le moyen du sein de son Ordre, dans lequel la grace de sa vocation l'a fait entrer ; il s'y nourrira 
et prendra un saint accroissement s'il y garde toujours l'estime qu'il doit avoir de son etat, et s'il le traite avec le respect 
qu'il merite. Vous voyez dans la sainte enfance de Jesus-Christ quels sont les solides principes de vie spirituelle ; et que 
c'est de sa sainte enfance, qu'ont ete tires les usages de la solitude, du silence, de l'obeissance et de la vie cachee, dont 
l'Ordre des Chartreux est compose. Qu'heureux est done le Rehgieux chartreux qui honore, et qui represente bien en soy 
cette sainte enfance, puisque par ce moyen il glorifie Dieu dans son ame, et qu'il le porte dans son corps. 

Lajeunesse 

30. Jesus etant parvenu a l'age qu'il devoit paroitre au monde, vint, ainsi que dit l'Evangile, de Galilee au 
Jourdain trouver Jean, pour recevoir de luy le Bapteme. II commence sa conversation exterieure par cet exercice 
d'humilite. Etant arrive au Jourdain, il s'y met entre les autres hommes du commun sans faire paroitre au dehors aucune 
marque de sa sagesse, ny de sa puissance. II y est inconnu comme une personne qui a toujours en desir la vie cachee, et 
qui ne paroit au dehors qu'a regret ; et il y demeure inconnu jusqu'a ce que le Saint Esprit venant a descendre sur luy en 
forme de colombe, le fit connoitre. Et voyant meme que S. Jean vouloit s'excuser de le baptiser, lui disant que e'etoit de 
luy qu'il devoit recevoir le Bapteme, Jesus-Christ lui dit : Laissez cela pour le present, car c'est ainsi qu'il faut que 
s'accomplisse toute la justice, c'est a dire toute l'humilite. 

31. C'est icy le premier modele sur lequel les personnes de l'Ordre qui sont mises en quel que office doivent 
former leurs actions et leur conversation. Elles doivent y etre entrees sans ambition, et sans en avoir fait de 
sollicitations. Car les Statuts defendent l'une et l'autre ; et elles en doivent commencer l'exercice par l'imitation de 
l'humilite de Jesus-Christ. Si ces deux choses manquent a l'officier, il auroit bien sujet de craindre, qu'il ne lui arriva le 
meme qu'aux enfants qui sortent de leur mere avant le terme, dont la vie est en danger, ou bien leur accroissement 
spirituel est bien delicat, parce qu'ils ne sont pas encore bien formez a l'esprit de l'Ordre. He, que peut-on attendre de 
l'augmentation d'un corps quand l'esprit et la vie y sont faibles ? 

32. Les Statuts ont voulu obvier a ces inconvenients, en ordonnant que l'etablissement et la deposition des 
officiers soient toujours soumis a l'obeissance, qu'ils se considerent, comme les serviteurs des autres, et qu'ils se 
conferment aux Rehgieux en toutes choses ; afin que celuy qui est officier se considerant toujours comme un des autres, 
il demeure toujours a l'ombre de la vie humble et cachee, sans pretendre se distinguer des autres, si la grace du S. Esprit 
ne le mamfeste par la bonte de sa conversation et de ses actions. 

33. Les Statuts ordonnent aux officiers d'avoir recours au conseil du Prieur. C'est afin qu'ils suivent en toutes 
choses le cours regie de l'humilite et de l'obeissance. lis doivent aussi recourir au bapteme de la penitence, a l'exemple 
de Jesus-Christ, poury prendre l'esprit de mortification et de componction ; afin que plus ils sont engagez de paroitre au 
dehors et d'entrer dans la conversation des hommes, plus ils ayent de moyens pour se defendre contre les tentations par 
les armes spirituelles dont on apprend a se bien servir dans l'exercice de la mortification et de la penitence, pour rejeter 
bien loin de soy l'esprit du monde, et ne le point laisser entrer dans ses actions et dans ses entretiens. 

34. A peine Jesus-Christ avoit-il para entre les hommes, qu'il se retira dans le desert, afin de nous apprendre par 
son exemple la maniere de se preparer au travail et a la tentation. II joint ces trois choses ensemble : la separation, le 
jeune, et l'occupation. L'Evangile nous exprime quels furent sa separation et son jeune ; mais pour son occupation, on 
nous a laisse a la conjecturer. Son ame etoit sans cesse dans la contemplation de l'essence divine ; mais son esprit, en 

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tant qu'homme, s'occupoit aussi a disposer dans ses pensees les miracles qu'il devoit faire, les demarches de sa vie et de 
sa mort, la conversion du monde, les combats des martyrs ; et enfin il pensoit a la vocation a la foy, et a la religion de 
nous tous, et de chacun de nous en particulier II s'occupoit, dis-je, a disposer ainsi toutes choses dans la meditation et 
dans la charite de son Coeur. 

35. C'est a quoy le sein de notre Ordre veut former ses officiers, et les faire imiter en cela Jesus-Christ ; car nos 
Statuts leur recommandent de recourir a leur cellule et au silence, comme au port assure de leur salut. C'est comme les 
renvoyer dans le desert avec Jesus-Christ, et leur prescrire la separation et le jeune ; la separation, en leur 
recommandant la garde de leur celle, afin d'y dissiper les nuages que la multitude des paroles dans la conversation des 
hommes fait naitre dans l'esprit, et qu'etant seul a seul avec Dieu, ils reprennent aisement l'usage de la conversation 
mterieure avec luy. Le jeune spirituel, en leur recommandant d'apaiser les mouvements turbulents que les affaires 
exterieures excitent dans l'esprit, et de Ten retirer par la cessation volontaire de s'y appliquer dans de certains temps ; 
jeune qui est absolument necessaire ; car autrement Lame de l'officier se trouveroit blessee, et comme ensanglantee, par 
les epines des sollicitudes. S'il y a a travailler et a souffrir quelque chose dans les affaires du dehors, au moins se faut-il 
bien donner de garde que ces peines et ce travail ne degenerent point en ces epines de sollicitudes pour les biens de ce 
monde, qui etouffent la bonne semence, ainsi que le dit Jesus-Christ. 

36. La pratique de ce jeune et l'eloignement des epines seront bien difficiles si l'officier chartreux ne s'y 
dispose par la pratique de la mortification, et d'une prudente moderation. Mais il fera bien l'un et l'autre s'il traite les 
choses temporelles par des principes et comme avec des instruments spirituels ; s'il tache d'imiter, selon son pouvoir, les 
Anges Gardiens, qui en s'acquittant exactement de leurs employs envers les hommes, ne se retirent point d'un moment 
de la vision de Dieu ; et si enfin, selon le conseil de l'Apotre, ils ne s'embarr assent point dans les affaires. C'est autre 
chose de vaquer diligemment aux affaires autant que la raison et la necessite le demandent, et autre chose de s'y 
embarrasser par des desirs, des attaches, et des empressements. La premiere est bonne et louable ; mais la seconde ne 
sert qu'a dissiper l'esprit, et a retirer Lame de la milice spirituelle pour la plonger dans des contestations et dans des 
procez. 

37. Enfin nos Statuts assignent a l'officier une occupation convenable dans sa retraite, qui a du rapport a celle 
de Jesus-Christ. Qu'il s'y occupe, disent-ils, a la lecture, a la priere, a la meditation, et a l'etude de quelque chose de bon, 
qu'il amasse dans le secret de son coeur, pour les redire en temps et lieu a ceux qui sont sous sa conduite. C'est par ces 
moyens que l'officier chartreux imitera l'occupation de Jesus-Christ, en disposant dans sa meditation toutes choses avec 
piete, sagesse et surete, tant pour ce qui concerne l'etat de son ame et son progrez dans la vertu, que pour ce qui 
concerne les affaires domestiques, et sa maniere de converser avec les hommes ; et s'il observe bien tout ce que les 
Statuts luy recommandent rien ne l'empechera d'etre forme dans le sein de l'Ordre a representer la jeunesse de Jesus- 
Christ dans ses actions et dans sa conversation. 

L 'age parfait 

38. II est plus difficile d'exprimer par ecrit l'etat de l'age parfait de Jesus-Christ, que de regarder Je soleil en 
plein midy. II faut done se contenter de tirer de la quatre choses auxquelles il a voulu former les Superieurs par son 
exemple, qui sont: 

1° L'usage de l'authonte. 

2° La pratique du zele. 

3° L'abandonnement de soi-meme. 

4° Et cette charite qui porta Jesus-Christ a prier pour ceux memes qui le crucifioient. 
Considerons de quelle maniere le sein de notre Ordre forme les Superieurs a representer ces quatre pratiques de l'age 
parfait de Jesus-Christ. 

39. La puissance de Jesus-Christ s'etend sur tout ; elle luy est naturelle et hereditaire et quand il reduiroit tous 
les hommes sous le joug d'une dure servitude, il ne feroit tort a personne ; car il ne feroit qu'user de son droit. Mais cela 
est bien eloigne de se desseins et de ses pratiques ; il ne veut point detruire la liberie de l'homme mais la perfectionner, 
l'attirer ua bien de l'obeissance par le moyen de sa clemence, et non pas la contraindre par l'usage de sa puissance. 

40. II converse avec ses Disciples, non point comme Seigneur, mais comme serviteur ; il s'abaisse jusqu'a laver 
les pieds de ses Disciples, en leur declarant neanmoins qu'il etoit leur Seigneur, leur voulant faire connoitre par ses 
paroles, aussi bien que par son exemple, que l'exercice de l'une et de l'autre pouvoient fort bien s'accorder ensemble. 
Que la superiorite ne diminuoit point par le service ; mais qu'au contraire elle se perfectionnoit, en faisant ce qui peut le 
plus contribuer a parvenir a la fin pour laquelle elle est instituee, qui n'est autre chose qu'a aider les hommes a quitter 
leur propre volonte pour se reduire a l'obeissance. Le Superieur qui se montre discretement porte au service de ses 
inferieurs, gouverne par son office ; mais il instruit et attire a la fin de l'obeissance par son exemple. Qui est l'homme 
raisonnable qui puisse refuser d'obeir a son Superieur qu'il voit prest a le servir ? 

41. Le sein de l'Ordre forme ses Prieurs a imiter ces pratiques de Jesus-Christ, en leur recommandant d'user de 
l'autorite de telle maniere, qu'on les puisse toujours aimer ; d'eloigner de leur conduite ce qui sent la domination ; 
retrancher de leurs mosurs tout ce qui pourroit raisonnablement jeter les inferieurs dans le degout, ou dans la crainte 
servile ; et d'observer plusieurs autres choses qu'il seroit inutile de repeter icy, puisque vous les voyez dans les Statuts. 
En un mot, l'esprit de l'Ordre apprend aux Superieurs, que pour exercer leur charge avec edification et avec profit a 

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l'imitation de Jesus-Christ, ils doivent observer ces trois choses. 

1° Considerer leur autorite comme une chose qui ne leur appartient point en propre, et qui seroit maltraitee si le 
serviteur en usoit envers ses semblables autrement que Jesus-Christ, qui est le veritable maitre et le proprietaire de 
l'autorite, s'en est servy a l'egard de ses serviteurs. 

2° Avoir toujours en vetle la fin de la superiorite, qui est d'attirer au bien, et montrer par ceuvres qu'on est prest 
a tout faire, et a servir aussi bien qu'a commander pour parvenir a cette fin. 

3° jeter sans cesse les yeux sur l'exemple de Jesus-Christ en toutes choses, afin d'y chercher et d'en tirer la 
maniere de se bien servir de l'autorite. 

42. Le Superieur qui mettra bien tout cecy en pratique, se formera soy-meme et ses inferieurs au veritable 
esprit de l'Ordre, qui ne consiste point dans une certaine asprete obstinee d'austentez ; mais dans l'usage d'accomplir les 
Regies des Statuts, selon celles de la charite, de la douceur, de 'humilite, et des conseils de l'Evangile, qui sont les 
fondements de la vie chartreuse, auxquels tout le reste doit etre rapporte, et sans lesquels toutes les autres choses ne 
meriteroient point d'etre comptees. 

43. Le zele enflamme des apotres demandoit permission a Jesus-Christ de faire descendre le feu du ciel, qui 
devorat les rebelles. II leur repond sur cela, qu'ils ne scavent de quel esprit ils sont poussez (ce n'etoit point du bon sans 
doute) et que le Fils de l'homme n'est point venu au monde pour tuer les hommes, mais pour les sauver II enseigne done 
par la qu'en matiere de zele, il faut prendre l'occasion et donner le temps au pecheur de rentrer en luy-meme, avant que 
d'en venir au chatiment. Que seroit-ce si des aussitot qu'un homme est tombe malade, on pensoit a s'en defaire au lieu de 
penser a luy donner des remedes pour le guerir ? Nous voyons done dans ce cas que Jesus-Christ rappelle a la patience 
la ferveur du zele indiscret, et qu'il entre en compassion du pecheur qui tombe par foiblesse ou par ignorance, et qui ne 
paroit point encore obstine dans sa faute. 

44. Jesus-Christ fit paroitre son zele au sujet de l'enfant lunatique que ses Apotres n'avoient put guerir, et 
prononca ces paroles : O generation incredule, jusqu'a quand vous supporteray-je ? II se sert icy du reproche, pour ne 
point donner d'occasion au scandale, en palliant ou excusant l'incredulite de ses Disciples ; mais il revient incontinent a 
sa mansuetude ordinaire, en sorte que ses Disciples ne perdent rien pour cela de leur confiance ordinaire, et ils 
l'mterrogent aussi librement qu'auparavant. Jesus-Christ se sert done icy de la correction de paroles fortes ; mais e'est 
d'une maniere qui n'ote point la confiance, qui n'exclut point la douceur, et qui ne laisse point d'amertume. 

45. Enfin le zele de Jesus-Christ le porte a faire un fouet avec de petites cordes, avec lequel il chasse les 
vendeurs et les acheteurs hors du Temple, joignant a cette action les paroles qui marquoient les raisons qu'il avoit de la 
faire. Vous avez fait, dit-il, de la Maison de mon Pere une caverne de larrons. II joint icy la punition a la force des 
paroles de son zele ; mais e'est d'une maniere si sage, qu'elle attire les coupables an respect et a l'obeissance, et non 
point a la haine, ou a la rebellion. 

46. II est aise de voir dans nos Statuts que tout y tend a former les Superieurs de l'Ordre a regler leur zele sur 
celuy de Jesus-Christ, et a le representer dans l'exercice de leur charge. On leur y recommande de prendre bien garde de 
ne point briser le roseau casse, et de ne point eteindre un tison qui jette de la fumee, d'user de beaucoup de discretion et 
de mesure avant que de faire un precepte d'obeissance, de montrer un sein de bonte ou tous leurs inferieurs puissent 
recourir avec confiance. Bref on leur y recommande plusieurs autres choses : et tout y fait voir que le sein de l'Ordre ne 
tend qu'a former le zele des superieurs sur celuy que Jesus-Christ a mis luy-meme en pratique. 

47. Enfin pour bien exercer le zele selon l'esprit de Jesus-Christ et celuy de l'Ordre, il faut purifier son 
intention en sorte qu'on cherche a faire obeir a Dieu, et non point au propre desir de celuy qui l'exerce ; et dans la 
maniere, il faut imiter l'apothicaire qui compose une medecine en observant la dose, eloignant du zele la precipitation 
du propre jugement, l'obstination a ne point recevoir d'excuse, et l'amertume du cceur Car il est question de donner un 
medicament de salut au malade, et non pas de le mettre en danger de mort. Et enfin il faut que le zele ne s'ecarte point 
de la voye et du possible de la droite raison, et que le zelateur n'agisse point comme s'il pouvoit changer la volonte du 
prochain, car il ne peut simplement que l'emouvoir et l'attirer ; et s'il agissoit comme s'il pouvoit faire davantage, il ne 
feroit que se jeter soy-meme dans l'inquietude et dans l'amertume. 

48. L'homme ne doit point pretendre pouvoir faire ce que Dieu luy-meme ne fait point. II ne contraint point les 
volontez, mais il les attire ; et quand le Superieur a accomply toutes les regies du bon zele, il faut qu'il ait recours a la 
priere pour chasser de son sujet ce genre de Demon. Bref la droiture de la raison etant observee dans le zele, elle a une 
force naturelle pour attirer la liberie du pecheur a bien recevoir la correction et a s'amender. II y a une sympathie entre 
la droite raison et la liberie qui sert comme de lien pour attirer celle-cy au bien ; de sorte que si elle estoit pressee par un 
zele indiscretement enflamme, elle se porteroit plutot a secouer le joug qu'a se cornger. O qu'il faut done etre exact a ne 
point exercer le zele qu'en la maniere que l'Ordre le present, et que Jesus-Christ l'a pratique ! 

49. L'etat d'abandonnement ou Jesus-Christ s'est voulu placer en mourant, est un grand mystere et un grand 
miracle tout ensemble. II a voulu que le sacrifice qu'il faisoit de soy-meme pour honorer son Pere et pour nous racheter 
fut accomply et parfait d'un souverain degre de perfection, et pour cet effet pendant qu'on faisoit au dehors la 
destruction de son corps dans sa Passion, il a voulu que son ame fut depouillee de tout : de telle maniere qu'on n'y 
pouvoit faire une plus grande destruction sans l'aneantir S'il s'est aneanty, ainsi que parte l'Apotre, en se faisant homme, 
il s'est encore plus aneanty en se privant des consolations de la Divinite, et voulant ainsi mourir comme abandonne. 

50. II a voulu meme que sa sainte Mere eut part a ce sacrifice par la plainte qu'il fait a Dieu son Pere en 
presence de cette sainte Dame, de l'abandonnement ou Dieu l'avoit laisse. Jetez icy un coup d'ceil interieur sur ce que 

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cette sainte Mere souffrit entendant la plainte de son Fils. Mais si nous demandons a Jesus-Christ, pourquoy il a voulu 
ainsi afHiger cette mnocente creature, puis qu'il pouvoit s'empecher de faire paroitre au dehors la douleur du 
delaissement ou il se trouvoit : il nous repondra, qu'il etoit necessaire qu'il fist paroitre au dehors cet etat douloureux de 
sa charite, et que s'il s'en est explique ainsi aux oreilles de sa sainte Mere, c'est afin que rien ne manquat en elle des 
traits de sa ressemblance dans la charite, dans la douleur, et dans la perfection du sacrifice. 

51. Cet etat d'abandonnement du Fils de Dieu doit etre comme la ville de refuge des bons Superieurs, et l'ecole 
de leur conduite. lis sont appellez pour etre des Pasteurs, qui doivent former leur conduite sur l'exemple de Jesus-Christ, 
exposer leur vie, et s'abandonner eux-memes. C'est dans cette ecole d'abandonnement interieure ou Dieu leur fait 
apprendre par ce qu'il faut y souffrir, de quelle maniere ils doivent compatir aux infirmitez de leurs ouailles, les consoler 
par les paroles de l'esprit, et les diriger dans le combat spirituel, afin qu'ils surmontent et parviennent au triomphe de la 
vertu. C'est ce qu'un Superieur ne sera gueres capable de faire, s'il n'a etudie longtemps et souvent dans cette ecole 
d 'experience. 

52. C'est icy le refuge ou les Superieurs doivent aller chercher leur consolation, quand par le concours de tant 
de differentes et facheuses affaires spintuelles et temporelles qui leur arrivent, et de sujets de contradictions et de soins, 
il leur semble que leur ame se fletrit dans eux-memes, et que les jours d affliction les possedent. Car ils ont icy dans 
l'exemple de Jesus-Christ, ce qu'ils doivent admirer et ce qu'ils doivent imiter, et ils y trouvent de quoy se consoler. 

53. De toutes les choses que Jesus-Christ a faites et souffertes en sa vie, il n'y en a point eu ou sa charite ait 
voulu plus subtilement qu'en celle-cy pourvoir aux besoins spirituels et a la consolation des bonnes ames a qui rien n'est 
pins dur que la crainte d'etre separees de Dieu, quand elles se trouvent dans l'aridite. Que pourroit-on leur dire pour les 
consoler dans cet etat qui est fort frequent dans la vie ? que pourroient-elles penser, si nous n'avions cet exemple de 
Jesus-Christ, qui nous apprend que de semblables peines ne sont nullement des marques de la colere de Dieu, mais des 
moyens qu'il fournit pour purifier l'ame et la rendre plus fidele, plus forte, et plus agreable a ses yeux ? 54. Le sein de 
l'Ordre tend a former les Superieurs a cette representation de Jesus-Christ. II leur recommande d'employer tous leurs 
soins a pourvoir aux necessitez spirituelles et corporelles de leur sujets, de ne point rechercher leur propre commodite, 
ny de se rendre plus indulgens pour eux-memes que pour les autres, de les consoler, de les supporter ; bref il leur leur 
recommande plusieurs autres choses qui marquent aux Superieurs qu'ils sont destinez aux travaux de l'ame, de l'esprit et 
du corps, et qu'ils ne doivent s'epargner en rien de tout ce qui concerne le bien et la bonne conduite de leurs inferieurs. 

55. II reste l'exemple de cette charite de Jesus-Christ, qui l'a porte a prier pour ceux qui le crucifioient. Le sein 
de l'Ordre forme ses Superieurs a la representee en leur recommandant de ne refuser, ny diminuer jamais aucun de leurs 
secours a ceux de leurs inferieurs qui les auroient offensez. Les Superieurs doivent d'autant plus aspirer a cette vertu, et 
avoir cet exemple de Jesus-Christ devant les yeux, que leur devoir les engage a piquer la nature corrompue plutot qu'a la 
flatter. D'oii il arrive que le chagrin naturel la porte a regimber facilement contre l'eperon, a se plaindre, a croire qu'on 
n'a point raison, etc. C'est icy ou la charite du Superieur doit recounr a la patience, a l'oraison, et a toutes les industries 
que la charite scait inventer pour faire rentrer en luy-meme celuy qui se plaint mal a propos. Si un inferieur chagrin, 
negligent, et qui interprete tout autrement qu'il ne devroit la conduite de son Superieur a son egard, crucifie ainsi son 
Superieur ; le Superieur doit joindre a ses souffrances la priere pour ceux qui le font souffrir, a l'imitation de Jesus- 
Christ. Les belles qualitez que l'Apotre donne a la charite d'etre patiente, benigne, de n'avoir point de jalousie, et 
plusieurs autres sont d'usage et de pratique pour tout le monde ; mais celles qu'il luy donne de tout souffrir et de tout 
supporter, conviennent tres singulierement aux Superieurs. 

56. Voila quel a este le dessein de Dieu en instituant l'Ordre des Chartreux, en nous composant ce sein de piete, 
et en nous y faisant entrer par la grace de la vocation. Nous y trouvons de nouveaux moyens ajoutez a ceux qui sont 
communs pour mettre notre salut en surete, jusqu'a ce qu'en mourant nous sortions de ce sein pour etre enfantez a la 
bienheureuse etermte. Celuy- la seroit done doublement et triplement punissable, si au lieu de croitre bien et 
paisiblement dans ce sein, il tourmentoit sa Mere en s'y remuant mal a propos, et y faisant des mouvements opposez a 
son etat, inquietant ses freres, ou les mfectant par ses mauvais exemples. II seroit fort a cramdre que Dieu justement 
irrite par un si grand abus de sa grace, ne Ten fit sortir bien vite comme un avorton, pour le livrer a sa justice 
vindicative. Veillons, prions, travaillons pour eviter ce malheur. 



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Chapitre Neuvieme 
Sur la ceremonie de la consecration des vierges, et sur les dispositions qu'on y doit apporter 



1. L'usage de la consecration des vierges a ete mtroduit des les premiers siecles de l'eglise ; et l'estime qu'on y 
a fait de ce mariage spirituel celebre a la face de l'Eglise entre Jesus-Christ et les vierges, paroit en bien des manieres. 
Ce n'est point un simple pretre qui en fait la celebration comme dans les manages communs ; l'Eveque qui represente 
Jesus-Christ la fait luy -meme, et epouse les vierges au nom de Jesus-Christ dont il est comme le procureur. 

2. C'est une des fonctions propres a l'episcopat, reconnue pour telle par l'antiquite, qui prononce que c'est le 
propre de l'Eveque de faire des vierges, c'est a dire de les consacrer a Jesus-Christ, pour etre a luy comme de fideles 
epouses sont a leurs maris ; mais d'une maniere qui surpasse comme du tout au rien, la fidelite des personnes conjointes 
par le sacrement de mariage. Car quelle comparaison y a-t-il entre un homme et Dieu ; entre le mortel et 1'immortel ; 
entre ce qui ne doit durer qu'une moment, et ce qui doit durer eternellement ; entre celuy a qui on doit tout, de qui on 
depend en tout, et de qui on recoit et on attend tout, et un homme mortel dont la vie n'est qu'une ombre, l'amour n'est 
souvent qu'une passion toute aveugle et toute malade, le pouvoir un rien, et les qualitez ne sont qu'un ramas de miseres 
et de faiblesses ? 

3. La dignite de ce mariage spirituel a ete traitee des son origine d'une maniere si relevee, qu'on y a observe un 
respect approchant de celuy qu'on a toujours garde dans l'Ordination des ministres de l'eglise. La fonction a ete 
attribuee et reservee a l'eveque, comme celle de l'Ordination luy appartient ; et l'age auquel les vierges peuvent etre 
consacrees, a ete decide decide dans les conciles, tout de meme que celuy des Diacres. Et on voit par la combien cette 
consecration des vierges a ete toujours consideree comme une affaire de consequence, pour la gloire de Dieu, et pour 
l'ornement et l'edification de l'eglise ; puisqu'on a voulu la traiter comme les choses les plus saintes, les plus 
importantes, et meme les plus necessaires a l'Eglise. 

4. Mais cecy se confirme encore par les qualitez qu'on a desirees dans celles qui pretendoient a cet honneur, 
avant que de les y admettre. II faloit que leur vie fut si eloignee de tout reproche, et si sainte, qu'elles pussent passer par 
un examen aussi exact qu'on le faisoit pour les ministres des autels. Et c'est peut-etre pour en laisser des marques a la 
posterite qu'on a ajoute le mot de sainte a celuy de moniales, et que dans les decrets de l'Eglise, ou il est pari d'elles, on 
les appelle Sancti-moniales . C'etoient les moniales qui etoient ainsi consacrees, et leur consecration presupposoit une 
saintete de moeurs si bien reconnue, qu'on leur donnoit le nom de saintes moniales, non seulement en general, mais aussi 
a chacune d'elles en particulier. 

5. L'integrite de leur corps etoit aussi une condition absolument necessaire, et qui etoit consideree comme la 
principale matiere de la consecration, puis qu'une vierge qui dans la persecution avoit ete violee par les payens, ne 
pouvoit point etre consacree. Son ame pouvoit etre vierge ; c'etoit une espece de martyre qu'elle avoit souffert. Sainte 
Agnes disoit meme hardiment a ceux qui la menacoient de la violer, que s'ils deshonoroient son corps par leurs saletez, 
sa virginite en meriteroit une double couronne. Tout cela est vray ; mais l'Eglise ne laisse pas d'exclure de la 
consecration une vierge dont L'integrite auroit ete notoirement perdue. C'est done une preuve evidente que l'intention de 
l'Eglise est de n'admettre a cette ceremonie si ancienne et si sainte, si honoree et si recommandable dans l'Eglise, que les 
filles qui ont leur integrite et qui ne l'ont point perdue avec connoissance et consentement. 

6. Et aussi les Docteurs qui on traitte de cette matiere, et entre autres S. Thomas, soutiennent qu'une fille qui a 
perdue son integrite, quoy que la chose ne soit point notoire, ne peut etre consacree, a moins que l'eveque ne supprime 
les paroles qui sont de la substance du voile virginal, et par consequent qu'il ne connoisse le defaut. D'autres disent que 
pour eviter l'infamie et le scandale, on le peut consacrer, pourvu que l'eveque soit averty du defaut, et qu'il entende par 
les paroles qu'il prononce la chastete en lieu de la virginite. Mais apres avoir tout bien considere, on convient qu'une 
fille qui n'a point son integrite corporelle, peche mortellement en se presentant a la consecration et en la recevant, si 
l'eveque ne la dispense par de bonnes raisons, telles que sont l'ignorance, l'infamie et le scandale, avant que de faire sur 
elle la ceremonie de la consecration. 

7. C'est ce qui a fait que cette sainte ceremonie qui etoit anciennement pratiquee a l'egard de la plus part des 
moniales, a ete depuis beaucoup restreinte. Les monasteres de femmes s'etant multiphez par le zele de la penitence, on a 
juge qu'il etoit convenable d'y dormer accez aussi bien aux filles qui avoient 1 le plus besoin de penitence, et a qui le 
monde etoit devenu plus dangereux, qu'aux autres qui y avoient garde leur integrite. C'est pourquoy afin que toutes les 
filles pussent y entrer, on a retranche cette sainte ceremonie ; de peur d'un cote qu'elle ne fut exposee au danger d'etre 
deshonoree, et pour donner d'un autre coste la hberte aux filles telles qu'elles soient d'embrasser une vie parfaite, une 
vie penitente, et une vie qui les eloigne des dangers du monde, ou tout ce qui y est, comme nous le dit le bienheureux 
apotre de Jesus-Christ S. Jean, n'est que convoitise des yeux, convoitise de la chair, et orgueil de la vie. 

8. Mais comme notre Ordre a toujours fait profession de garder inviolablement ses anciens usages, on a 
conserve celuy de la consecration des vierges chez nos Moniales ; mais en meme temps on s'est engage a prendre toutes 
les mesures possibles pour ne point s'ecarter des intentions de l'Eglise dans une matiere de cette importance. Que 
gagneroit-on done d'avoir conserve dans l'Ordre cette ancienne et sainte ceremonie, si les Superieurs de leur part 
n'apportoient toutes les precautions possibles pour n'y recevoir que des filles qui en soient capables. Et si les filles de 

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leur coste etant bien averties des dispositions qui sont necessaires pour la consecration, s'engageoient a faire cette action 
en mauvais etat. Ce seroit le moyen d'attirer, et sur les Superieurs, et sur les filles, et sur le monastere, des effets de 
malediction au lieu de benediction, et il vaudroit beaucoup mieux supprimez cette ceremonie que la conserver 

9. Tout ce que nous venons de dire est suffisant pour vous faire connoitre la saintete de cette ceremonie, la 
veneration qu'elle merite et des dispositions prochaines et eloignees qui y sont necessaires. Mais parlons de celles qui 
sont prochaines, c'est a dire de celles qui sont necessaires pour bien faire une si samte action, et pour accompagner les 
dispositions exterieures par les infeneures, qui sont la charite enflammee, la sincente des intentions, et la resolution 
d'une fidelite inviolable envers Jesus-Christ, dont chacune de vous va devemr l'epouse par un mariage celebre en face 
de la saint Eglise. 

10. Pour vous aider a vous mettre dans ces bonnes dispositions interieures, je vous traceray icy des sujets de 
reflexions que vous devez faire. 1. Sur ce qui a ete observe sur vous, et que vous avez promis a Dieu dans le Bapteme, 
afin de vous animer a bien en reparer les pertes par une amoureuse penitence. 2. Sur ce que vous luy avez promis dans 
cotre profession religieuse, et a quoy vous vous etes engagees. 3. Et sur ce que vous allez promettre encore a Dieu tout 
de nouveau et solennellement dans cette celebre action de votre consecration. 

Dans le Bapteme 

11. Jesus-Christ dit, que celuy qui n 'est point rene par I'eau et par le Saint Esprit, n'entrera point dans le 
royaume des Cieux. Cela nous apprend que nous recevons par le Bapteme une nouvelle naissance ; et S. Paul dit, que 
nous sommes comme ensevelis avec Jesus-Christ dans les eaux du Bapteme, pour reprendre une nouvelle vie de 
resurrection, c'est a dire sortir de la mort pour entrer dans la vie, pour vivre d'une nouvelle vie, et de la vie de Jesus- 
Christ. Combien devons-nous done honorer la vie qui nous a retirez de la mort ; la vie que Jesus-Christ nous a acquise 
en donnant la sienne ; en un mot la vie de Jesus-Christ, qu'il nous a communiquee! 

12. Saint Paul nous dit, que Jesus-Christ est La tete du corps de VEglise dont nous sommes les membres. Nous 
sommes par consequent les membres de Jesus-Christ. La foy nous enseigne aussi que de meme que la tete influe dans 
les membres, et la vigne dans ses rejetons ; tout de meme Jesus-Christ influe sans discontinuation la force de sa grace 
dans les justifiez, laquelle vertu precede, accompagne et suit les bonnes ceuvres, et ne les quitte jamais qu'ils ne l'ayent 
auparavant quittee volontairement. Quel reproche merite done un chretien qui profane les membres de Jesus-Christ en 
se livrant au service de l'iniquite ? Et faut-il s'etonner de ces terribles paroles que saint Paul dit a ceux qui deshonorent 
leurs corps, en le faisant servir aux passions brutales ? 

13. Nous ne vivons pas seulement de la vie Jesus-Christ, ny nous ne sommes pas seulement ses membres ; 
mais nous sommes devenus les temples de Dieu, parce que le S. Esprit a choisy dans nous son habitation. C'est la raison 
dont se sert saint Paul pour inciter les premiers Chretiens a traiter leur corps avec honneur : Ignorez-vous, dit-il, que vos 
membres ne soient le temple du Saint Esprit. Dieu perdra celuy qui aura viole son temple . Que merite done celuy qui 
aux yeux de Dieu et de toute la cour celeste salit son ame et ses membres par l'ordure du peche ? Ce S. Apotre se sert du 
mot de contumelie faite au Saint Esprit, pour faire comprendre la grievete de l'offence, et pour faire connoitre que celuy 
qui profane dans soy-meme le temple vivant du S. Esprit, merite de bien plus grands supplices que celuy qui profane un 
temple materiel compost de pierres et de bois. 

14. Ecoutez apres cela ce que vous dit le Pape S. Leon : Reconnoissez, 6 chretien, votre noblesse et etant eleve 
a la participation de la nature divine, gardez-vous bien de retomber dans votre ancienne bassesse par une conduite qui 
degenere de la grandeur de son principe. Ressouvenez-vous de quelle tete et de quel corps vous etes devenu le membre. 
Ressouvenez-vous qu'ayant ete tire de la puissance des tenebres, vous avez passe dans la lumiere et dans le royaume de 
Dieu, vous estes devenu le temple du Saint Esprit par votre bapteme : n'obligez done jamais par vos mauvaises actions 
un hoste de tel merite de sortir de chez vous, et ne vous assujettissez point davantage dans l'esclavage du Demon, 
puisque le prix de votre redemption, c'est le Sang de Jesus-Christ, qui vous jugera par sa verite, comme il vous a 
rachete par sa misericorde. Peut-on alleguer quelque chose de raisonnable contre ce que nous dit ce saint homme ? 

15. C'est pour nous aider a reconnoitre et a estimer comme nous devons la grace de notre Bapteme ; pour nous 
faire comprendre ce qu'il opere en nous ; et pour nous en faire connoitre les engagements et les devoirs, que l'eglise a 
institue les belles ceremonies qui accompagnent l'administration du Bapteme, afin que ces choses frappant les sens au 
dehors, pussent servir aux ames d'avertissement continuel par des signes visibles ; et de temoignages contre elles, si 
elles deshonorent leur dignite par des actions contraires. Ces ceremonies ont ete faites sur vous, on a repondu pour vous. 
Avez -vous quelque raison valable pour vous en faire relever ? 

16. On vous a fait d'abord demeurer a la porte de l'eglise, on a commande a l'esprit immonde de sortir de vous, 
afin de faire place au Saint Esprit ; on vous a fait en suite le signe de la croix sur le front et sur la poitrine, en vous 
disant : Recevez le signe de la croix an front et au coaur : Recevez la foy des preceptes celestes, et soyez tel par vos 
mceurs, que vous puissiez d'orenavant etre un temple de Dieu . Tout cela vous marque ce que vous etiez avant que de 
recevoir la grace du Bapteme, et ce que vous devez etre apres l'avoir receu. Que la Croix de Jesus-Christ a chasse de 
vous la part qu'y avoit l'esprit immonde ; et que vous devez toujours porter dans le coeur la memoire de la Croix de 
Jesus-Christ, puisque c'est elle qui vous a delivree de la servitude du peche. Que votre ame doit etre habitee par le Saint 
Esprit qui en a chasse l'esprit impur, afin de vous remplir et que vous devez vous considerer comme etant destmee pour 
etre un temple de Dieu. 

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17. On vous a donne du sel beny dans la bouche, en vous disant que vous receviez le sel de la sagesse ; et cette 
premiere chose qu'on vous fait avaler vous indique, que la sagesse celeste doit etre la nourriture de votre ame, et que par 
le moyen de ce don du Saint Esprit qui vous sera accorde dans le Bapteme, rien ne doit entrer dans votre coeur, ny en 
sortir qui ne soit conforme aux regies de cette sainte sagesse. 

18. On vous a fait en suite entrer dans l'eglise, en vous disant. Entrez dans l'eglise, afin que vous soyez 
participant de Jesus-Christ dans la vie eternelle. On a derechef exorcise tous les esprits immondes au nom de la sainte 
Trinite en leur commandant de nouveau de sortir de vous, afin que vous devemez un temple vivant ou le Saint Esprit 
habite. Cela vous marque que l'esprit de Dieu ne peut habiter que dans un coeur qui soit pur, et vuide des affections et 
des oeuvres du vieil homme assujetty au peche ; et qu'ayant choisi le votre pour etre a luy, vous n'y devez rien admettre 
de volontaire qui soit oppose a sa samtete. 

19. On vous a touche les oreilles et les narines avec de la salive, a l'imitation de Jesus-Christ, qui s'en servit 
pour ouvrir les yeux d'un aveugle ; et on a prononce le meme mot qu'il prononca en faisant ce miracle : et tout cela s'est 
fait ainsi pour vous marquer que vos oreilles devoient etre ouvertes par la grace du Bapteme pour entendre et recevoir 
l'intelligence de la doctrine celeste, que la bonne odeur de la vertu devoit passer dans votre ame, et qu'elle devoit la 
recevoir comme on recoit par les narines du corps l'agreable odeur des parfums. 

20. On vous a interrogee si vous renonciez a satan ? On a parle pour vous et on a repondu : J'y renonce ; si 
vous renonciez a ses ceuvres ? c'est a dire au peche : on a encore dit pour vous : J'y renonce. Si vous renonciez a ses 
pompes ? c'est a dire au faste, et aux vanitez du monde, dont il se sert pour prendre et enlever les ames : on a repondu 
pour vous une troisieme fois : j'y renonce. Et sur cette renonciation par trois fois reiteree, on vous a baptisee au nom du 
Pere, et du Fils, du S. Esprit, apres vous avoir omte auparavant du saint Creme, et fait confesser la foy de Jesus-Christ. 
C'est ainsi que Dieu vous a receue au nombre de ses enfants, et qu'il vous a donne une part a l'onction, a la grace, et au 
royaume de Jesus-Christ ; mais c'est apres avoir renonce au Demon, a ses osuvres et a ses pompes. Votre promesse est 
gardee dans le ciel ; elle vous a fait retirer sur le champ de l'etat de damnation pour vous faire un enfant adoptif de 
Dieu ; vous rendre unye a Jesus-Christ ; vous donner part a son royaume et vous rendre heureuse pour jamais. Qu'est-ce 
qu'une ame chretienne peut repliquer apres cela sur son jugement de condamnation si elle fausse la foy qu'elle a donnee, 
et la promesse qu'elle a ainsi faite a Dieu, promesse si sainte, si honorable, si juste, si convenable a notre propre salut ? 

21 . On vous a enfin revetue d'une robe blanche, pour vous marquer l'etat d'innocence et de purete ou votre ame 
a ete mise par le Bapteme ; et on vous a mis a la main le cierge beny allume pour vous marquer que vous devez marcher 
en enfant de lumiere, qui porte par tout la clarte des bonnes oeuvres, et de l'observance des commandements de Dieu, et 
qui soit ainsi dans les dispositions que le celeste Epoux demande de ceux qui doivent etre admis a ses noces. Y a-t-il 
rien de plus saint, de plus raisonnable et qui soit plus avantageux pour vous ? 

22. Voila quelles sont les belles ceremonies que l'Eglise a instituees et pratiquees sur vous dans le Bapteme, 
afm qu'elles fussent des signes visibles de ce que votre ame a recu par ce sacrement, des promesses que vous y avez 
faites, et des obligations que vous avez contractees envers Dieu. Considerez a present de quelle maniere vous avez 
satisfait a vos devoirs, et a vos engagements en temps que chretienne. 

23. C'est icy qu'il faut que nous fassions le souhait du Prophete Jeremie : Qui donnera a ma tete une fontaine 
de larmes ? Examinons devant Dieu de quelle maniere nous avons tenu notre promesse de renoncement au demon ; de 
quelle maniere nous nous sommes servy de nos sens ; comment nous avons conserve notre innocence, et reluy devant 
les hommes par les oeuvres de vertu et de lumiere. 

24. Humilions-nous icy jusqu'au dessous de la terre. Imitons l'enfant prodigue, et recoilrons a la misericorde de 
notre Pere celeste, qui pour pouvoir nous retirer du naufrage a institue le sacrement de Penitence. II est appele la 
seconde planche apres le naufrage ; mais aussi il est appele le Bapteme laborieux, car il faut qu'il en coute pour faire de 
dignes fruits de penitence d'un si grand mal, tel qu'est celuy d'avoir viole la promesse faite a Dieu ; d'avoir mepnse tous 
ses dons et tous ses biens eternels, et de s'etre voulu perdre soy-meme comme malgre luy. Y a-t-il done rien de plus 
juste que ce bapteme laborieux de la penitence ? 

Dans votre Profession 

25. Le monde est si dangereux, le diable est si subtil, et les hommes sont si foibles, qu'il s'en trouve fort peu qui 
ayent garde leur innocence baptismale. Celuy qui a perdu cette innocence, ne scauroit mieux faire que de quitter le 
monde, afin de faire penitence et de ne point retomber ; et celuy qui l'a conservee ne scauroit prendre un party plus sur 
que de le quitter, de peur de la perdre avant que de mourir, car les dangers y sont tres frequents ; et il ne faut qu'un 
moment pour la perdre. 

26. C'est pour cette fin que la Providence divine a pourvu de maisons de refuge aux uns et aux autres par 
l'institution des Ordres monastiques et des monasteres ; et c'est ou il a attire par la grace de sa vocation plusieurs ames 
pour les aider a conserver leur justification, ou celle de leur Bapteme, ou bien celle qui leur a ete rendue par la force du 
sacrement de Penitence, et pour les preserver de tomber dans plusieurs morts spirituelles reiterees par la perte de la 
grace sanctifiante. Car combien de fois la plus part des hommes la perdent-ils, et combien de fois ont-ils besoin d'etre 
ressuscitez par le sacrement de Penitence ? 

27. Vous etes une de ces ames que Dieu a retiree des dangers de ce monde, et dont il a voulu mettre le salut en 
plus grande surete. Sa voix interieure vous a appelee pour sortir du milieu de Babylone ; vous l'avez ecoutee et goutee 

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par les persuasions de sa grace ; vos yeux ont ete ouverts par sa lumiere pour reconnoitre ce que vous devez a Dieu, et 
vos infidelitez en vers luy. Vous avez ete penetree de son amour et de sa crainte ; et les sentiments de componction qu'il 
vous a donnez, vous ont fait embrasser la penitence pratique par etat. Vous avez fait de nouvelles promesses a Dieu, qui 
ajoutent a celles de votre Bapteme ce que-Dieu luy-meme a inspire a de saintes ames pour rendre leur vocation et leur 
election plus assurees, ainsi que le dit l'apotre S. Paul, pour reparer les pertes passees, pour etre a luy parfaitement, et 
pour etre plus conforme a son Fils Jesus-Christ, et dans l'etat de sa vie mortelle, et dans celuy de sa gloire. Rien ne 
pouvoit etre plus avantageux a votre ame dans cette vie mortelle que ce nouvel engagement, que ces nouvelles 
promesses. 

28. Considerez done quelle est la fin de vos voeux, et quels en sont les devoirs. C'est ce que nous vous avons 
deja exprime dans les^4v/',s du second volume de V Introduction, et dans le 5e chapitre des presents exercices. C'est pour 
quoy il seroit inutile de vous les repeter icy. II n'est question que de vous examiner devant Dieu sur la fidelite que vous 
devez luy rendre dans l'accomplissement de ces secondes promesses ; de voir en quoy vous y avez manque ; de 
travailler a laver par les larmes d'une amoureuse penitence les taches d'infidelite que votre ame a contractus, et de 
concevoir de fermes resolutions d'etre a l'avenir plus fidele a vous en acquitter le mieux que vous pourrez. 

Dans votre Consecration 

29. La dignite d'etre epouse de Jesus-Christ solennellement epousee, et reconnue pour telle a la face de 
l'Eglise, demande de grandes qualitez et une grande perfection, un grand ornement de vertu, une purete d'ame et de 
corps qui corresponde a la saintete et a la dignite de l'Epoux ; cela se prouve par soy -meme. C'est done un nouvel 
engagement ou vous allez entrer, qui merite bien de la consideration, de la preparation, et de la resolution d'etre fidele a 
celuy qui vous honore ainsi en vous prenant pour epouse. Considerez qui est l'Epoux qui vous prend, et qui vous estes. 

30. Dieu avoit dit anciennement par la bouche de son Prophete : Je vous rendray mon epouse par lafoy. Mais il 
s'agit icy d'un mariage reel et solennel, celebre et accepte visiblement par un Eveque qui est le procureur de Jesus- 
Christ, et qui vous Epouse en son nom. II ne s'agit done point seulement de vous considerer dorenavant comme 
chretienne, obligee d'accomplir les promesses que vous avez faites a Dieu dans votre Bapteme ; ny de vous considerer 
comme religieuse engagee a observer les devoirs de vos nouvelles promesses faites dans votre profession ; mais il faut 
vous considerer comme une epouse obligee d'honorer Jesus-Christ comme son Epoux en toutes les manieres que le peut 
et la doit une fidele epouse. 

3 1 . Rien n'est plus propre pour vous faire connoitre la dignite et les engagements de votre consecration, que la 
consideration de ce que 1' eveque prononcera et fera sur vous ; et de ce que vous prononcerez vous-meme dans cette 
belle ceremonie. Nous ne vous ferons point icy d'actes formez par des discours etudiez, qui ne feroient que vous 
fatiguer l'esprit et la memoire ; nous vous fournirons seulement les moyens de bien concevoir les intentions de Dieu et 
de l'Eglise, afin d'y bien conformer les votres, et de les produire par des elancement de cceur et d'esprit, qui demandent 
plus d'abondance de cceur, et d'union de volonte a Dieu, que de composition de discours. II faut etre icy plus aimante 
que pari ante. 

32. L'archipretre demande a l'eveque au nom de l'Eglise qu'il vous benisse en qualite de vierges, qu'il vous 
consacre et qu'il vous epouse au Fils de Dieu notre Seigneur Jesus-Christ. L'eveque lui repond, et l'interroge s'il scait 
que vous en soyez dignes, et l'archipretre repond, qu'autant qu'il luy est possible de le connoitre, il croit et assure que 
vous en estes dignes. La demande de l'Eglise vous marque assez que l'un de ses plus beaux ornements c'est l'etat de la 
virginite, puis qu'elle se fait un honneur de produire des vierges, qui soient admises aux noces virgmales de Celuy qui 
est ne d'une Vierge. Le temoignage que l'eveque demande de vos dispositions pour scavoir si vous estes dignes de cet 
etat, vous marque assez que son mimstere ne luy permet d'y admettre que des personnes dont l'integrite des mceurs et 
du corps meritent d'en recevoir un temoignage public. En meme temps que vous entendrez l'archipretre rendre ce 
temoignage, produisez un acte d'humilite intime, et de contrition, en jetant une ceillade mterieure sur vos pechez, en 
disant du fond du cceur ces paroles de David : Lavez-moy plus amplement de mon iniquite, et nettoyez-moy de mon 
peche. Appliquez vous ces autres paroles que Dieu dit par un de ses Prophetes : J' ay passe aupres de vous, et vous 
voyant toute plongee dans votre sang, j'ay eu pitie de voire jeunesse, et je vous ay dit, vivez . O Seigneur, il est vray ; 
mais vous faites bien plus en daignant m'admettre a vos noces, etc. 

33. l'eveque explique publiquement le choix qu'il fait de vous benir, consacrer et epouser a Jesus-Christ, et 
ensuite il vous appelle de la part de Dieu en chantant, et vous disant : Venez. Vous repondez que vous allez tout a 
I'heure. II vous appelle une seconde fois comme la premiere ; et vous repondez que vous allez tout a Vheure et de tout 
votre cceur. II vous appelle une troisieme fois de meme que les deux autres, et il ajoute : ecoutez etje vous enseigneray 
la crainte de Dieu. Vous vous levez ensuite, et vous allez a luy en chantant ces paroles : Nous allons a vous de tout 
notre cceur, nous avons votre crainte, et nous cherchons, Seigneur, de voir votre face : ne nous rebutez point ; mais 
traittez-nous selon votre douceur, et selon la grandeur de votre misericorde. Voila des demandes faites comme par 
degrez, par lesquelles on vous engage a bien manifester la pleine et libre volonte avec laquelle vous voulez aller a Dieu 
en toutes choses ; l'avoir devant les yeux en toutes choses, et n'avoir que l'unique desir d'etre a luy en accomplissant sa 
sainte volonte en toutes choses. C'est ainsi que Jesus interrogea S. Pierre par trois fois : Pierre, m'aimes-tu ? afin de 
l'engager a manifester ce qu'il avoit dans le cceur par trois reponses. Formez-vous une idee de ce S. apotre, et tachez de 
l'imiter dans la cordialite de ses reponses. II s'affligea a la troisieme interrogation de Jesus-Christ, et luy dit : Seigneur, 

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vous sqavez tout, vous sqavez que je vous aime. Son cceur etoit blesse de ce qu'il sembloit que Jesus-Christ douta de son 
amour ; et c'est ce qui luy fit faire cette saillie si sainte et si cordiale. Imitez ce saint Apotre, etc. 

34. Vous direz en suite ces paroles etant a genoux aux pieds de l'eveque et la tete baissee presque contre terre : 
Recevez-moy, Seigneur entre vos bras selon votre parole, afin que rien a" oppose a votre justice ne regne dans moy. Et 
l'eveque vous fera apres cela son exhortation sur la dignite et la saintete de l'etat de la virginite. Ces paroles approchent 
fort de celles que vous avez prononcees en faisant votre profession, et vous marquent la veritable resolution que vous 
devez avoir icy de ne vous plus considerer comme etant a vous ; mais comme quelque chose qui est livree entre les 
mains d'un autre pour en disposer selon son bon plaisir Ou pouvez-vous mieux etre qu'entre les mains de Dieu ? 

35. L'Eveque vous interroge derechef, et vous dit a toutes ensemble : Voulez-vous perseverer dans le saint 
propos de la virginite ? Vous repondez chacune : Nous le voulons. Apres cette reponse generale et commune, vous vous 
approchez de luy l'une apres l'autre ; et ayant les mains entre celles de l'Eveque, il vous en fait faire une a chacune en 
particulier II vous demande done : Promettez-vous de garder toujours la virginite ? Vous repondez : Je le promets ; et il 
replique : Rendons graces au Seigneur Vous voyez par cette grande precaution que Feglise apporte, et par ces 
interrogations reiterees, de quelle consequence il est pour la gloire de Dieu et Pour l'honneur de l'Eglise de ne recevoir 
dans l'etat des vierges sacrees que des vierges bien eprouvees, bien examinees, bien disposees, et bien resolues a 
l'honorer. 

Jetez icy toute votre confiance en Dieu en luy remontrant qu'il scait bien que de vous-memes vous ne pouvez 
rien ; mais que vous attendez tout du secours de sa grace. Jettez une oeillade de cceur sur la sainte Vierge, comme etant 
assistante a vos noces en qualite de Mere du celeste Epoux, et dites-luy de cceur ce que vous esperez de sa protection, 
etc. 

36. Apres un petit intervalle l'eveque vous voyant retournees en vos places, vous interroge toutes en commun, 
et vous dit : Voulez-vous etre benites, consacrees, et epousees au Fils de Dieu notre Seigneur Jesus-Christ ? Vous 
repondez : Nous le voulons. Et pour lors l'eveque se mettant en etat de suppliant, et vous etant prosternees, on 
commence les Litanies des Saints, et quand elles sont finies, on fait a Dieu cette priere publique sur vous : Que vous 
daigniez benir ces filles vos servantes. Le clerge repond : Nous vous prions de nous ecouter. - Que vous daigniez benir 
et sanctifier ces fdles vos servantes. Le clerge repond : Nous vous prions, etc. Ces repetitions d'interrogations, ces 
prieres publiques, et toutes ces ceremonies vous marquent par une sainte crainte que l'Eglise fait paroitre au dehors en 
vous interrogeant et en faisant ainsi des prieres publiques sur vous, elles vous marquent, dis-je, combien elle est en soin 
que les filles qu'elle va epouser a Jesus-Christ ne manquent jamais a la fidelite qu'elles luy doivent, et combien elle 
apprehende le deshonneur qui luy arriveroit, si elles manquoient a leur promesse. Entrez icy dans les sentiments de 
l'Eglise en j etant votre confiance en Dieu, demandez-luy pour tout present de noce la grande misericorde que saint Paul 
avoit obtenue et dont il se vantoit, qui est d'etre fidele jusqu'a la fin. 

37. On chante en suite le Veni Creator, pour attirer le S. Esprit sur vous, comme celuy qui doit etre le principal 
ministre de cette noce spirituelle, ou il est question de l'union de l'esprit, et non pas de celle du corps. C'est luy qui est 
l'Esprit des esprits, et qui unit les ames a Jesus-Christ par sa charite, comme ce fut luy qui forma le corps de Jesus- 
Christ dans le sein de la sainte Vierge, qui fut par son moyen vierge et mere, epouse et fille tout ensemble. II arrive la 
meme chose aux vierges consacrees a Dieu, selon le sentiment de S. Ambroise, qui dit que leurs enfantements sont 
frequents et sont exempts de douleurs. Ces enfantements sont les louanges qu'elles rendent a Dieu par leurs bouches, les 
affections de leurs cceurs, et les bonnes ceuvres, qui sont comme les fruits des ames. Apres cela l'eveque benit vos 
habits, vos voiles, vos anneaux, et vos couronnes avec de belles oraisons, qu'on vous mettra ailleurs en francois, afin de 
ne point trop grossir ces Sujets de Meditations . Tout cela vous marque que votre ame va etre elevee a une si grande 
dignite que rien n'en doit approcher que ce qui merite d'etre beny de Dieu ; et que vos corps doivent etre traittez avec le 
respect qui est deu aux choses saintes. Demandez done icy a Dieu du profond de votre cceur la grace de sa celeste 
benediction, afin que rien n'entre jamais dans votre cceur, ny que rien en sorte qui ne soit digne de luy. 

38. On vous porte en suite ces habits benits au lieu ou vous etes toutes retirees, et apres avoir vetu ces habits, 
vous venez deux a deux comme en procession, et en chantant ces paroles prononcees autrefois par sainte Agnes et tirees 
du pseaume Eructavit. J'ay meprise le royaume du monde, (c'est a dire, en me retirant de son empire) et toutes les 
vaines parures du siecle pour Vamour de Jesus-Christ mon Seigneur, que j'ay vu, que j'ay aime, en qui j'ay cru, et a qui 
j'ay donne toute ma dilection. Mon cceur a produit une bonne parole, et j'adresse toutes mes ceuvres a Dieu. Et etant 

arrivees proche de l'eveque, vous vous mettez a genoux devant luy en forme de couronne ; et il fait sur vous l'Oraison 
suivante. Regardez d'un ceil favorable vos servantes, afin qu' ayant entrepris par votre inspiration l'etat de la sainte 
virginite, elles Vaccomplissent par votre assistance, par Jesus-Christ notre Seigneur. II prononce en suite une belle 
Preface comme on la dit a une grande messe, laquelle Preface contient d'une mamere sublime les raisons de l'excellence 
de la virginite, de son origine, de sa pratique, de son merite, de la gloire qu'elle rend a Dieu, et a l'Eglise, et des moyens 
de la bien garder. Vous trouverez ailleurs cette Preface tournee en francois. 

Considerez done ces nouveaux habits comme une robe nuptiale qu'on vous donne de la part de votre Epoux 
eternel, qui ne mourra jamais, et dont vous ne pourrez etre jamais separees que par l'infidelite de votre volonte. 
Demandez-luy cordialement, en revetant ce nouvel habit, qu'il revete votre ame de sa charite, qui cache et absorbe tous 
vos defauts et vos pechez passez. Joignez votre demande a celle que l'eveque fait pour vous, en jetant toute votre 
confiance dans le secours de Dieu, et pendant qu'il prononce cette grande Preface ; tenez-vous simplement en la 
presence de Dieu, dans un esprit humilie et contrit, et dans un entier abandonnement a son bon plaisir, comme une 

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epouse qui a les yeux collez sur son epoux, et qui luy temoigne par la, sans qu'il soit besoin de discours, son affection et 
son obeissance. 

39. Le clerge chante l'Antienne : Veni electa mea, etc. Qui veut dire en francois : Venez ma choisie, j'etabliray 
mon trone dans vous, puree que le roy a convoite votre beaute. Ecoutez ma fille et voyez, et pretez 1'oreille a ce qu'on 
vous dit. L'Antienne etant finie, vous allez deux ensemble a l'eveque sans avoir de voile, en chantant ce Verset : Je suis 
la servante du Seigneur ; e'est pourquoy je parois comme une personne servile. 

L'eveque apres vous avoir encore une fois interrogee si vous voulez persister dans la virginite ; et ayant 
repondu que vous le voulez, met en suite le voile, sur la tete de chacune des deux, en prononcant ces paroles : Recevez 
le saint voile, qui sert de marque pour faire connoitre que vous avez meprisee le monde, et que vous vous etes soumises 
veritablement et humblement de tout Veffort de votre cozur pour toujours, comme Epouses de Jesus-Christ, qui vous 
garde de tout mal et qui vous fasse parvenir a la vie eternelle. 

Apres avoir receu toutes deux le voile, vous chantez a genoux ces paroles de sainte Agnes : // a mis un signal 
sur ma face, afin que je ne recoive point d'autre amateur que luy. Vous estes reconduites en vos places ; et deux autres 
viennent en suite qui font la meme chose que les premieres : Et quand toutes sont voilees, 1 'eveque dit une oraison sur 
toutes en commun, dans laquelle il demande a Dieu la grace que vous gardiez inviolablement l'etat de virginite que vous 
avez embrasse. 

II n'est question pendant tout cecy que d'accorder vos resolutions et vos intentions a ce qui se dit. Le clerge 
vous appelle une eleue, une belle dame, dont le roy est devenu desireux. On vous dit de preter bien 1'oreille a ces 
paroles. Humiliez-vous done jusqu'au centre de la terre entendant ces qualitez qu'on vous donne. Dites de coeur a Jesus- 
Christ ces paroles tirees d'un Prophete : O Seigneur, vous m'avez trouvee nue et chargee de confusion. C'est vous seul 
qui pouvez me rendre belle ; c'est votre pure charite qui m'a choisie, etc. Demandez interieurement la grace de ne jamais 
deshonorer cette Election. En chantant que vous estes une servante, et que vous paroissez comme une servantes n'ayant 
point alors de voile pour vous couvrir la face, souvenez-vous de l'aneantissement ou s'est mis Jesus-Christ, en prenant 
pour l'amour de vous la forme d'un serviteur. 

Et enfin considerez ce voile comme une marque du pur et parfait amour que vous voulez avoir pour Jesus- 
Christ, en vous servant de ce voile pour vous cacher aux yeux des hommes, et concevez une sainte jalousie de vous 
servir exactement de ce voile selon les regies de votre institut. Souvenez-vous de ces paroles du Statut de l'Ordre, qui 
disent qu'un bon solitaire ne doit chercher ny de voir, ny d'etre vu de personne. Que doit done faire une vierge 
chartreuse qui a ete couverte d'un voile, et qui a temoignee publiquement qu'elle veut s'en servir pour ne regarder rien 
qui puisse la distraire du pur amour de Jesus-Christ ! 

40. Jusqu'icy ce n'ont ete que comme les fiancailles ; mais voicy le mariage qui se va celebrer par des paroles 
du temps present. L'eveque vous appelle done de la part de Jesus-Christ en chantant ces paroles du Cantique : Venez etre 
epousee ma bien-aimee ; I'hyver est passe, on entend le chant de la tourterelle, et les vignes fleurissantes repandent 
leur odeur. Entendez par I'hyver la durete et la froideur que le coeur humain corrompu par le peche a pour les choses 
celestes, que les rayons de la grace amollissent et font fondre. Entendez par le chant de la tourterelle l'arrivee d'un 
printemps spirituel, qui fait pousser a Lame frappee des rayons du soleil de justice, la verdure des bons desirs, et les 
fleurs des bonnes resolutions ; et par les vignes qui repandent leur odeur, entendez les bonnes resolutions mises en 
pratique d'honorer Dieu, et de dormer bon exemple au prochain ; car les osuvres produisent sur les ames les effets que la 
bonne odeur produit au dehors. 

41. L'eveque vous epouse a Jesus-Christ en vous mettant l'anneau au doigt, et prononcant ces paroles : Je vous 
epouse d Jesus-Christ Fils du Pere eternel, qui vous veuille garder dans votre integrite. Recevez done l'anneau de la 
fidelite, le sceau du S. Esprit, afin que vous soyez appelee VEpouse de Dieu, et que vous soyez couronnee pour jamais si 
vous estes fidele. Au nom du Pere, et du Fils, et du S. Esprit. Ainsi soit-il. Ayant receu vos anneaux, vous chantez ces 
paroles de sainte Agnes : Je suis epousee a celuy que les Anges servent, et dont la lune et le soleil admirent la beaute. Et 
quand toutes ont ete epousees et ont receu leur anneau, vous levez la main en montrant vos anneaux, et vous chantez 
toutes ensemble ces autres paroles de sainte Agnes : Mon Seigneur Jesus-Christ m'a donne pour gage son anneau, et 
m'a ornee d'une couronne comme etant son epouse. Enfin l'Eveque vous donne la benediction nuptiale en prononcant 
ces paroles : « Que Dieu le Pere tout puissant createur du ciel et de la terre vous benisse, qui vous a eleiie pour avoir 
part a l'etat de la bienheureuse Marie Mere de notre Seigneur Jesus-Christ, afin que vous gardiez entiere et immaculee la 
virginite que vous avez promise devant Dieu et devant les Anges ; que vous en ayiez toujours la ferme resolution ; que 
vous aimiez tout ce qui est conforme a la chastete ; et que vous pratiquiez la patience, afin que vous meritiez de recevoir 
la couronne de la virginite par le meme Jesus-Christ notre seigneur. Ainsi soit-il. » 

Considerez attentivement toutes ces paroles ; l'honneur que vous recevez d'etre epousees au Fils de Dieu, et la 
fidelite que vous luy devez, et que vous luy promettez. Humiliez-vous devant Dieu ; et puisque l'eveque vous dit dans 
cette belle oraison que vous estes eleties pour avoir part a l'etat de la sainte Vierge, offrez a Dieu tous les sentiments de 
reconnoissance que cette sainte Dame luy rendit du choix qu'il avoit fait d'elle pour etre sa Mere. Joignez vos intentions 
aux demandes que l'eveque fait a Dieu pour vous en vous donnant la benediction nuptiale. 

42. Peu de temps apres l'eveque vous appelle encore, en chantant et disant : Venez, epouses de Jesus-Christ, 
recevez la couronne que Dieu vous a preparee pour jamais . Et il vous met en suite la couronne sur la tete en disant : 
Recevez la couronne de Vexcellence virginale, afin que de meme que vous estes couronnee par nos mains sur la terre, 
vous meritiez d'etre couronnee de gloire et d'honneur par Jesus-Christ dans le ciel. Vous chantez encore quelqu'une des 



paroles de sainte Agnes en signe de rejouissance ; et l'eveque dit en suite sur vous des oraisons tres devotes, par 
lesquelles il demande a Dieu pour vous la perseverance dans votre bon propos, l'humilite, la chastete, l'obeissance, la 
charite, la pratique de toutes les. bonnes oeuvres ; et enfin il mvoque Dieu le Pere, et le prie de vous conserver 
immaculees jusqu'a la fin. 

II n'est question pendant cecy que de joindre votre priere de cceur et d'esprit a celle que l'eveque fait de vive 
voix. 

43. L'eveque prononce en suite sur vous des benedictions admirables, que nous vous donnerons en francois 
ailleurs ; et il prononce aussi des maledictions horribles contre tous ceux qui attenteroient quelque chose sur vos 
personnes, et sur tout ce qui vous appartient. 

L'offertoire etant dit, vous allez presenter chacune un cierge a l'eveque ; et vous recevez enfin la sainte 
Communion. C'est elle qui tait la consommation de votre mariage, par la communication que Jesus-Christ vous fait de 
son esprit, de son ame, de son corps, de sa vie, et de sa divinite dans ce mystere de l'union de sa charite ; union qui ne 
sera point definite par la mort, comme celle des menages corporels ; mais qui durera toute l'eternite, si vous gardez a 
votre celeste epoux la fidelite que vous luy devez et que vous luy avez promise. Produisez done a ce celeste Epoux les 
affections qu'une creature doit a son Createur, une chretienne a son Redempteur, une religieuse a son Liberateur, une 
epouse a son Epoux, un rien a son Tout ; bref une personne qui ne peut avoir ny bien, ny repos, ny contentement, ny vie, 
ny bonheur dans soy-meme a celuy de qui elle attend tout. Tout cecy etant accomply, votre consecration sera 
consommee. Mais quelle attention, quelle estime et quel respect merite une si grande action ? II faut relire cecy 
plusieurs fois chaque annee, afin de vous en remplir la memoirer et de ne donner jamais lieu a aucun oubly. 

44. Considerez l'honneur et les graces que Dieu vous a faites, en vous faisant monter par degrez a la qualite de 
son epouse. Les promesses qu'il vous a faites, les besoins que vous avez de luy, et ce que vous attendez de luy. Voyez ce 
qu'il merite de vous ; et reconnoissez que si au lieu de traitter ses graces et ses dons avec 1 'estime et le respect que vous 
devez, vous luy faussez tant de paroles que vous luy avez donnees, vous mentez qu'il vous abandonne, et qu'il vous 
livre aux executeurs de sa justice eternelle. Le caractere qu'imprime sur les mediants ministres de l'Eglise leur 
ordination, les fera connoitre dans 1 'enfer entre tous les autres : la consecration d'une vierge infidele fera le meme effet ; 
quoy que cette sainte ceremonie ne soit point un Sacrement. 

45. Considerez ce qui a ete pratique sur vous de la part de Jesus-Christ, et de notre mere la sainte Eglise par les 
mains de leur principal ministre qui est l'eveque : combien de precautions on a apportees pour vous preparer a une 
action si sainte ; pour connoitre vos resolutions, vos dispositions, et vos libres intentions ; les prieres qu'on a faites sur 
vous ; la pompe de votre sacre ; le concours d'assistants appelez a ces saintes noces ; les promesses publiques que vous 
avez faites. Considerez que tout cela s'est fait pour accomplir sur vous a la lettre, ces paroles de saint Paul : Je vous ay 
epousee a I'unique epoux Jesus-Christ, pour vous presenter a luy comme une chaste vierge . Vous estes epousee a un 
Dieu tout puissant, jaloux de sa gloire, qui vous voit et qui vous suit par tout, a qui toutes vos secretes pensees sont 
decouvertes, qui se peut venger a tout moment. Quel respect devez-vous done avoir pour sa presence ? et ne faut-il pas 
avoir perdu la honte, la conscience, et le bon sens pour commettre volontairement une infidelite grossiere aux yeux d'un 
semblable epoux ? 

46. Considerez l'honneur que vous vous devez a vous-meme apres avoir ete consacree a Dieu solennellement 
comme un vaisseau sacre, comme un temple, qui ne doivent servir qu'aux choses divines et celestes. Que fait-on des 
qu'un temple a ete deshonore par quelque effusion de sang, ou par quelque salete reconnue ? On y cesse tous les offices 
divins ; on ferme les portes. II faut le reconcilier par des exercices de piete ; et on n'y celebre aucun mystere que la 
reconciliation ne soit faite ; c'est a dire, qu'on n'ait fait reparation a l'honneur de Dieu qui a ete blesse dans son temple 
par des actions opposees a sa saintete. Que devons-nous done penser de l'injure qu'on fait a Dieu dans un temple vivant 
du Saint Esprit, dans un vaisseau d'e lection, dans une epouse vierge consacree a Jesus-Christ, quand on la deshonore 
par quelque action criminelle opposee a la saintete de Dieu ? 

47. Ecoutons parler S. Paul sur cette matiere, et concluons tout cecy par ces paroles de ses Epitres : « Ne 
scavez-vous pas que vous estes le temple de Dieu, et que son esprit demeure en vous. Que si quelqu'un profane le 
temple de Dieu, Dieu le fera perir. Car son temple est saint, et c'est vous qui estes son temple. Quiconque violoit la loy 
de Moyse, etoit comdamne sans remission a la mort sur la deposition de deux ou trois temoins. Combien pensez-vous 
que merite de plus grands supplies celuy qui foule aux pieds le Fils de Dieu, qui estime impur le sang de 1 'alliance par 
lequel il a ete sanctifie, et qui traitte avec opprobre l'esprit de la grace. Car nous scavons qui est celuy qui dit : La 
vengeance m'appartient, et je la prendray ; et encore ailleurs : Le Seigneur jugera son peuple. C'est une chose terrible 
de tomber entre les mains du Dieu vivant. Je n'ay rien a ajouter a ces paroles, sinon que l'honneur, la dignite et les 
avantages des saintes moniales d'etre des temples du S. Esprit, des vaisseaux d'election sacrez, et des Epouses 
solennellement mariees a Jesus-Christ en face de sa sainte Eglise me mettent dans l'admiration, et me font dire avec 
consolation, ces paroles du cantique : O que vous etes belle, chaste generation, toute brillante de I'or de la charite ! 
Mais aussi le deshonneur que fait a Dieu un temple vivant, mal propre et neglige, un sacre vaisseau profane, une epouse 
lache et infidele ; bref une moniale infidele a sa consecration, les justes ressentiments d'un Dieu meprise, et irrite me 
font fremir de peur. 



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Chapitre Dixieme 
sur l'etat des ames du Purgatoire 

Premiere Meditation 



1 . Dieu a mis dans nous une inclination raisonnable, qui nous fait ressentir les souffrances du prochain par la 
compassion. Plus les personnes qui souffrent meritent d'estime, de respect et d'amour, plus notre compassion s'excite, et 
nous fait plus sensiblement participer a leur peine. La notre doit done etre bien grande envers les ames du Purgatoire, 
puis qu'elles meritent plus d'estime, de respect et d'amour qu'aucun des hommes qui vivent sur la terre. Je dis plus 
d'estime, parce qu'elles ont noblement et genereusement remporte une victoire certaine du monde, du diable et de la 
chair, dont le succez est encore incertain dans les vivans ; plus de respect, puis qu'elles doivent certainement etre 
bienheureuses ; et plus d'amour, d'autant qu'elles ont finy leurs jours mortels dans la grace et au baiser du Seigneur. 

2. Les souffrances des martyrs rendoient a Dieu une grande gloire, parce qu'ils faiseoint un sacrifice d'eux- 
memes en souveraine adoration de la divinite. Celles des ames du Purgatoire en rendent aussi une bien grande a sa 
justice ; et leur charite souffrante fait un sacrifice a Dieu qui luy est d'une agreable odeur, aussi bien que celuy des 
martyrs. Cela nous doit done bien provoquer a en faire quelqu'un de notre part pour les soulager dans cet etat. 

3. La compassion qui n'a que des tendresses d'affections, de larmes et de paroles, sans en venir aux oeuvres, est 
une marque d'humanite ; mais elle est vaine et inutile, si elle n'est accompagnee des oeuvres. Si la foy mene est inutile 
sans les oeuvres, notre compassion en vers ces saintes ames seroit done bien vaine si elle n'etoit accompagnee des 
ceuvres que la foy et la charite chretienne nous mettent entre les mains pour les soulager, qui sont la priere et la 
penitence. 

Affections 

Dites a Dieu du fond de votre coeur ces paroles de David : Seigneur tout mon desir est devant vos yeux, et les 
gemissements de mon cceur ne vous sont point cachez. 

Je viens me jeter aux pieds de votre misericorde pour les repandre devant vous, en vous priant de soulager les 
peines de ces saintes ames pour lesquelles je vous dois prier, etc. He, Seigneur ce sont vos bons enfants, etc. Ce seroit 
une grande temerite a moy de vous offrir des prieres pour ces enfants de votre dilection, moy qui ne merite pas de rien 
obtenir pour moy-meme ; parce que je ne suis point seulement cendre, et poussiere ; mais que je suis aussi une 
miserable pecheresse, qui ne puis rien esperer que de votre misericorde, etc. 

Permettez que j'imite ces serviteurs des grands princes, qui, leur voyant la verge a la main pour chatier leurs 
enfants, viennent implorer sa clemence, et les princes ne les rebutent point, leurs larmes les flechissent, etc. 

Mais la foy m'enseigne que vous voulez qu'on s'interesse, qu'on vous prie, et qu'on tache d'appaiser et d'arreter 
le bras de votre justice. Je viens le faire de tout mon coeur, vous conjurant par ce qu'il y a de plus saint, et de plus tendre 
dans votre charite de les retirer des peines qu'elles souffrent, etc. 

Je vous dis les paroles de votre prophete : Regardez, Seigneur ; apaisez-vous, Seigneur ; regardez et faites 
misericorde. 

Dites a Dieu, que si vous n'avez rien a luy offrir qui soit digne de luy, vous recourez a Celuy en qui sont 
contenus tous les tresors de sa science et de sa sagesse. 

Offrez-luy les merveilles de la naissance de Jesus-Christ, son humiliation, sa pauvrete, ses larmes, son 
obeissance, l'offre qu'il luy a faite de soy-meme tout entier des le moment de sa conception ; offrez-luy tout pour le 
soulagement de ces saintes ames. 

Imitez ces bonnes servantes qui recourent a la mere et qui la vont appeler, quand elles voyent le pere qui chatie 
l'enfant, et qu'elles entendent l'enfant pleurer. Interessez done la samte Mere de Dieu, en luy disant par exemple. He, 
sainte Mere de Dieu, Mere de misericorde, de tendresse et de charite, pourriez-vous bien me rebuter en implorant vos 
suffrages pour ces bonnes ames que votre cher Fils aime tant, et sur lesquelles notre Pere celeste exerce son chatiment ? 

Interessez S. Joseph et les Anges qui sont venus annoncer la paix aux hommes de bonne volonte. Ces bonnes 
ames pour lesquelles j 'implore votre intercession en sont du nombre. Dites-leur ainsi tout ce que la devotion vous 
suggerera. Et enfin adressez-vous au Pere qui chatie, et dites-luy : 

priere 

O Dieu qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et Jetez les les yeux sur la face 
de votre Fils Jesus-Christ. Voyez l'aneantissement ou il est mis pour racheter les ames des pauvres enfants d'Adam ; les 
larmes qu'il repand en naissant ; sa pauvrete dans la creche, et tout ce qu'il souffre pour eux. Recevez toutes ces 
merveilles de sa charite que je vous offre pour le soulagement des ames du Purgatoire, et principalement pour celle de 

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TV. par le meme Jesus-Christ notre Seigneur, qui vit et regne avec vous en l'unite du Saint Esprit, par tous les siecles des 
siecles. Ainsi soit-il. 

Ajoutez icy un De profundis, Pater etAve, avec l'oraison convenable a celuy, ou a ceux pour qui vous priez. 

Instruction a prendre pour vous-meme, comme si les dmes du Purgatoire vous la donnoient elles-memes 

Ecclesiastique, ch. 5. 

Ne soyez point sans crainte de I'offense qui vous a ete remise, et n 'ajoutez point peche sur peche. Ne dites point 
: la misericorde de Dieu est grande, et il aura pitie du grand nombre de mes pechez. Car son indignation est 
prompte aussi bien que sa misericorde, et il regarde les pecheurs dans sa colere. Ne differez point a vous 
convertir au Seigneur, et ne remettez point de jour en jour. Car sa colere eclatera tout d'un coup, et il vous 
perdra aujour de sa vengeance. 
Notez qu'il parte icy a une ame lache, qui peche facilement sous pretexte de la grande misericorde de Dieu. 



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Seconde Meditation 



1. Dieu se plaint par la voix de son Prophete de ce qu'il ne se trouve personne qui arrete le bras de son 
chatiment, et qui fasse comme un mur entre luy et son peuple, quoy que ce peuple fut idolatre. II montra assez par la le 
plaisir qu'on luy fait en faisant des efforts de charite pour empecher qu'il n'exerce son chatiment, en se mettant entre luy 
et celuy sur qui il le veut exercer, comme pour s'y opposer. Avec combien d'amour et de zele devons-nous done tacher 
de faire cette opposition entre luy et les ames du Purgatoire, puis qu'il s'agit d'arreter la verge de son chatiment, non pas 
sur des hommes du commun, mais sur ses plus chers enfants ? 

2. Jesus-Christ dit dans l'Evangile, que ce que nous ferons aux moindres des pauvres, qu'il appelle ses freres, il 
le tiendra fait a luy-meme. Pouvons-nous done rien faire de plus conforme aux desirs de Jesus-Christ, que de nous servir 
de ce que sa charite nous a mis entre les mains pour en pouvoir aider, non point ses moindres freres vivants sur la terre, 
mais des ames fideles et saintes qui ont consomme leurs jours mortels dans la charite ? 

3. Ce nous doit etre un grand plaisir que d'en pouvoir faire a Dieu, et cooperer a l'accomplissement des desirs 
de Jesus-Christ. Plus les sujets luy sont chers, et leurs besoins ne pouvant etre soulagez que par nous, plus nous 
entrerons dans les intentions de Dieu. Les ames du Purgatoire sont en cet etat. Elles sont tres cheres a Dieu ; elles ne 
peuvent plus s'aider elles-memes. II n'y a que nous qui puissions les secourir par nos supplications et par la penitence. 
Avec combien de zele devons-nous done nous y employer ? Avec quelle promptitude de charite devons-nous le faire ? 

Affections 

Representez a Dieu qu'il a par trois fois produit des paroles de plaintes par la bouche d'un de ses Prophetes de 
ce qu'il etoit contraint de se vanger de ses ennemis. He, Seigneur, il ne s'agit point icy de vos ennemis ; il s'agit de vos 
enfants, de saintes ames qui vous aiment et que vous aimez, etc. Vous vous estes applique a vous-meme la comparaison 
d'une mere qui ne peut oublier son enfant, ny s'endurcir sur luy de maniere quelle ne soit emue de pitie sur ses miseres. 
O Seigneur, montrez-nous done voire misericorde sur ces saintes ames pour lesquelles je vous prie, etc. Montrez que 
vous avez la bonte d'un pere et la tendresse d'une mere pour vos enfants souffrans, etc. Permettez que je vous dise avec 
le saint personnage Job : J'ay peche ; que vous feray-je, 6 souverain Gardien des hommes ? Pourquoy rn'avez-vous fait 
contraire a vous ? etc. O Seigneur j 'adore votre justice ; vous estes juste, Seigneur, et votre jugement est equitable. Mais 
j'ay recours a votre charite qui est infinie, a votre misericorde qui releve vos jugements, etc. 

Je vous conjure par cette charite que votre Apotre appelle trop grande, a cause qu'elle vous a fait livrer votre 
Fils unique pour nous tous, de delivrer ces saintes ames de leurs peines, etc. Je viens vous opposer un mur qui doit 
arreter le bras de votre justice ; e'est Jesus-Christ votre Fils bien-aime qui a receu sur soy-meme la discipline de notre 
reconciliation et de notre paix. Je vous offre l'humiliation qu'il a soufferte au jour de sa Circoncision, ses douleurs, ses 
playes, son Sang, qui a commence a crier de la terre pour nous obtenir votre misericorde. Interessez la sainte Vierge par 
sa tendresse de Mere, saint Joseph, et toute la sainte Famille de Jesus-Christ, par leur piete de s'interposer entre la 
severite de la justice de Dieu et ces saintes ames. 

Conjurez Jesus-Christ par son saint nom de Jesus, qui luy fut impose de faire valoir la vertu de son S. Nom sur 
cette sainte ame, et sur vous. O Jesus, soyez-nous Jesus. 

Priere 

O Dieu qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jetez les yeux sur la face de 
votre Fils Jesus-Christ. Voyez les marques de pecheur qu'il veut prendre dans la Circoncision, afin d'attirer votre 
misericorde sur tous ses pauvres freres adoptifs. Regardez son Sang, ses larmes, et la tendre compassion de sa sainte 
Mere, et recevez l'offrande que je vous fais de la gloire qu'il vous a rendue dans sa Circoncision, pour le soulagement 
des ames du Purgatoire, et specialement pour celle de N. par le meme Jesus-Christ notre Seigneur, qui vit et regne avec 
vous en l'unite du Saint Esprit par tous les siecles des siecles. Ainsi soit-il. 

De profundi s, Pater et Ave, avec l'oraison convenable. 

Instruction et avis pour vous-meme 

Ecclesiastique, chap. 7 

Souvenez-vous dans toutes vos actions de vos dernieres fins, etvous ne pecherez jamais. 

Ecclesiastique, chap. 11 

Ne perdez point le souvenir du mal au jour heureux, ny le souvenir du bien au jour malheureux ; car il est aise 
a Dieu de rendre a chacun au jour de sa mort selon ses voyes. Le mal present fait oublier les plus grands 
plaisirs, et a la mort de I'homme toutes ses ceuvres seront decouvertes. 



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Troisieme Meditation 



1 . Si nous voyions quel que homme du commun tomber dans le feu, et y demeurer sans se pouvoir secourir luy- 
meme, avec quelle promptitude irion nous a luy, et tacherions-nous de luy dormer du secours ? Mais nous serions encore 
bien plus empressez, et plus penetrez de compassion et de douleur, si nous reconnoissions que celuy qui est ainsi tombe 
et qui brule est notre frere et une personne de grand merite. Les ames du Purgatoire sont en cet etat ; elles sont nos 
soeurs, et leur merite passe celuy de tous les hommes vivants, puisque leur saintete est assuree. O quel objet de 
compassion ! et avec quelle promptitude de charite devons-nous done les secourir ! 

2. La foy ne nous decide rien d'absolu sur la qualite des flammes du Purgatoire ; et si e'est un feu qui agisse sur 
ces saintes ames, de meme que celuy de l'enfer agit sur les damnez. Mais il nous suffit d'entendre S. Paul, qui nous dit 
qu'elles seront sauvees, et que ce ne sera neanmoins qu'apres avoir ete purifiees comme par le feu. L'effet est certain ; il 
a du rapport a celuy du feu ; la douleur est grande ; elle merite un prompt secours de charite. Voudrions-nous user de 
quelque retardement, ou de quelque negligence a leur donner ce secours selon notre possible ? 

3. Si nous voyions que cet homme tombe ainsi dans les flammes, au lieu de s'impatienter, souffre en benissant 
Dieu, et en gemissant d'une maniere pleine de charite envers luy, en se soumettant a la justice de notre Pere celeste, avec 
ces sentiments de Job : Quand bien il me turoit, je ne cesseray point d'esperer en luy. O quelle seroit l'admiration, et 
l'estime qui se joindroit a notre compassion ! Ces saintes ames sont en cet etat, et elles nous prechent par leur exemple, 
faites penitence ; souffrez avec patience et aimez Dieu, qui est l'umque amiable, aussi bien quand il nous chatie, que 
quand il nous console. 

4. II y a quelque chose de plus releve que tout cela dans leur etat ; e'est l'amour qu'elles ont pour Dieu, qui est 
la cause de leur plus grande peine, et le reste n'est rien en comparaison. Le desir qu'elles ont de jouir de Dieu qu'elles 
connoissent et qu'elles aiment, et le retardement de cette jouissance font leur plus grand supplice. O que de respect 
meritent done des ames si saintes, et combien de raisons avons-nous de les secourir de toutes nos forces ! 

Affections 

Seigneur, votre nature n'est que bonte ; votre volonte est la puissance, et votre ouvrage est la misericorde. 
Faites-en ressentir les effets a ces cheres ames pour lesquelles je vous prie, etc. Representez a Dieu les oeuvres de 
misericorde qu'il recommande tant, etc. Dites-luy que vous luy offrez les gemissements de la compassion de votre ame 
sur les flammes qui brulent ces cheres ames, etc. Dites que vos larmes ne sont rien ; mais que vous recourez au Sang de 
Jesus-Christ, qui a de la vertu surabondante, pour eteindre ce feu, et pour les delivrer. Offrez a Dieu ce Sang de son Fils 
tout coulant de ses playes, et specialement celuy qui coule de son cote, qui vient du Coeur. Priez-le par la charite du 
Cceur de Jesus-Christ qu'il les delivre, etc. 

Invitez Dieu de considerer leur patience et leur amour ; et dites pour elles ces paroles de David : Regardez mon 
humilite et mon travail, et remettez-moy tous mes pechez, etc. O source de charite, pourrez-vous voir longtemps ces 
saintes ames languir d'amour pour vous sans les consoler, sans les delivrer promptement de leurs peines ? O cela n'est 
point possible. Montrez-leur seulement votre face, et elles seront sauvees. Car leur plus grand tourment e'est le 
retardement de la voir, etc. O Seigneur, etant indigne de rien obtenir de vous pour moy-meme, j'ay recours a votre Fils 
bien-aime. Presentez-luy l'offrande que luy en fit sa samte Mere au jour de sa Purification. Offrez-luy celle que tuy fit 
alors Jesus-Christ de soy -meme par l'entremise du Pretre ; les larmes de devotion de S. Simeon, et d'Anne la 
prophetesse. 

Implorez le secours de la samte Vierge, et de S. Joseph, en les faisant souvenir des consolations qu'ils 
receurent, la sainte Vierge en offrant son Fils, et satisfaisant a la loy de la purification ; et S. Joseph en rachetant le Fils 
de Dieu ; et dites-leur ce que vous attendez de leur intercession pour ces saintes ames, etc. 

Allez en esprit a ces saintes ames du Purgatoire pour leur temoigner votre compassion, votre admiration de leur 
patience, et votre congratulation de leur charite. O saintes ames, je voudrois bien vous pouvoir secourir beaucoup ; mais 
je vous offre ce que je puis. Dites-leur ces paroles de Joseph : Souvenez-vous de moy quand vous serez dans votre 
celeste prosperite ; suggerez a Dieu qu'il me tienne sous la protection de sa sainte grace . Dites-leur ce que la devotion 
vous suggerera pour obtenir de Dieu l'imitation de leur patience et de leur charite. 

Priere 

O Dieu qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jettez les yeux sur la face de 
Jesus-Christ votre Fils. Souvenez-vous de l'agreable offrande que la sainte Vierge et St Joseph vous en firent au jour de 
la Purification, et de celle qu'il vous a faite de luy-meme en odeur de suavite. II a voulu etre rachete luy-meme avant 
que d'achever l'oeuvre de notre Redemption, et il a voulu ainsi payer pour nous en toutes manieres. Recevez le prix de sa 
Redemption, que je vous offre pour le soulagement des ames du Purgatoire, et specialement pour celle de A T . Par le 
meme Jesus-Christ notre Seigneur, qui vit et regne etc. 

De profundi s, Pater, Ave, avec l'oraison convenable. 



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Instruction et avis pour vous-meme 

Ecclesiastique, chap. 14. 

Souvenez-vous de la mort, qui ne tarde point, et de cet arrest qui vous a ete prononce, que vous devez aller au 
tombeau. Car c'est la I 'arrest qui enveloppe tout le monde, que tout homme mourra tres certainement 

Ne vous privez point des avantages du jour heureux, et ne laissez perdre aucune partie d'un precieux don de 

Dieu. 

Cela veut dire, servez-vous bien de ses graces et de ses bienfaits. 



Quatrieme Meditation 

1. Si les souffrances des ames du Purgatoire sont grandes, ces saintes ames sont aussi dignes dune grande 
veneration. Ce sont des ames d'elite, et des vaisseaux destinez pour la gloire de Dieu, sur lesquels sa main travaille pour 
en oter toute la rouille, et pour les rendre plus beaux et plus conformes a sa Saintete. Ce sont des justes qui doivent luire 
comme des soleils dans le royaume de leur Pere. Ce sent des captifs de l'amour de Dieu, qui ne les tient en cet etat, que 
pour les disposer a joilir avec luy de son royaume. Enfin ils sont du nombre des plus chers enfants du Pere celeste qui 
les purifie. Voila bien des titres et des qualitez qui les rendent venerables. 

2. Mais les desirs et les demandes de ces saintes ames n'ont rien que de divin et de celeste. Elles ne soupirent 
qu'apres Dieu, et c'est a elles qu'appartiennent les paroles du Cantique des cantiques. Elles en sont dans la pratique ; 
toute leur occupation ne tend qu'a obtenir le baiser de sa bouche ; elles cherchent le bien-aime, et ne le trouvant point, 
elles s'adressent a tout ce qui se rencontre pour apprendre ou est le bien-aime de leur ame. Elles se plaignent 
amoureusement qu'il a passe, qu'il ne leur repond point, et qu'il se cache. Elles sgavent neanmoins et assurement qu'il 
est tout a elles, comme elles sont toutes a luy. Considerez tout ce qui est dit dans ce cantique de l'amour celeste, et soyez 
persuadees qu'il leur convient parfaitement. Qu'est-ce que ne meritent point de vous de si nobles et de si saintes epouses 
? 

3. Leur souffrance et leur privation augmente leur desir, et leur amour se purifie par les saints regrets qu'elles 
ont de s'etre endormies lors qu'il faloit veiller ; de ne s'etre point teniles assez propres aux yeux de ce saint Epoux, dont 
le cceur a ete blesse par quelque cheveu mal en ordre sur leur col, par quelque regard de travers d'affection envers les 
creatures, ou d'attache au prejudice de l'amour de ce divin Epoux, qui s'appelle un Dieu jaloux ; ou pour n'avoir point 
ete assez promptes a ouvrir la porte de leurs ames a ses inspirations. C'est dans ces saintes angoisses que leur amour 
travaille pour devenir epure et parfait. Combien un si saint amour merite-t-il d'avoir part au votre ! 

4. Vous ne devez point douter que leur celeste Epoux n'ait autant d'amour pour elles qu'elles en ont pour luy. 
Toutes les paroles de l'Epoux du cantique leur conviennent. Que pouvez-vous done faire de plus agreable au celeste 
Epoux, de qui vous attendez votre salut, que de prendre a cceur de secourir et servir ces saintes epouses en tout ce que 
vous pourrez ? Et que ne devez-vous point attendre de sa liberale generosite, s'il vous voit zelees, et fideles a prendre les 
interets de ses bien-aimees ? 

Affections 

Pensez que ces saintes ames vous adressent ces paroles du Cantique : Je vous conjure, Fille de Jerusalem, que 
si vous trouvez mon bien-aime, vous luy fassiez sqavoir que je languis d'amour pour luy. Allez a Dieu en esprit de 
confiance. O Seigneur, je ne merite point d'etre estimee du nombre de ces filles de la celeste Jerusalem ; mais je viens 
pour obeir a vos epouses, qui m'envoyent vous remontrer leur peine ; vous demander pour elles, etc. 

Dites que vous ne meritez point de n'en obtenir de luy ; mais que la qualite et la charite ses epouses meritent 
tout, etc. 

Seigneur, c'est vous qui voulez qu'on vous prie pour elles. O je viens le faire de tout mon cceur, etc. 

Demandez-luy la permission de luy dire ces paroles de David : Levez-vous, Seigneur, he, pourquoy vous 
endormez-vous ? Vous vous oubliez de nos afflictions et de nos peines . Confessez que vous meritez bien qu'il oublie les 
votres ; car votre peu d'amour et de fidelite vous en rendent dignes ; mais pour ces bonnes ames, Seigneur, est-il 
possible que vous fassiez semblant de les oublier ? cela ne vous convient point, etc. Elles vous demandent, elles vous 
cherchent, elles languissent d'amour pour vous ; et je viens vous chercher, et me jeter a vos pieds de leur part pour vous 
l'annoncer, et vous supplier de les tirer de peine, etc. 

Dites-luy que sa parole est engagee de se laisser trouver a ceux qui le cherchent. O Seigneur, je vous tiendray, 
et je ne vous quitteray point que vous ne m'ayiez ecoutee, et donne votre benediction pour ces bonnes ames. 

Recourez a Jesus-Christ, et faites-le souvenir de la peine qu'il causa a sa sainte Mere lors qu'il se cacha d'elle 

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pour rester en Jerusalem. 6 Seigneur, l'absence de son cher et bien-aime ne dura que trois jours ; et il n'y a que vous qui 
scachiez bien ce quelle souffrit pendant ce temps-la, etc. Priez-le par la compassion qu'il eut d'elle alors, en 
reconnoissant ce qu'elle souffroit, qu'il lui plaise d'abreger ce que souffrent ces bonnes ames de se voir privees de luy. O 
Seigneur, il y a deja assez longtemps qu'elles souffrent. Prononcez que c'est assez, et delivrez-les, etc. 

Recourez a la sainte Vierge, en la faisant ressouvenir de ce qu'elle souffroit en se voyant privee de la veile de 
son bien-aime. Dites-luy sur cela tout ce que la devotion vous suggerera, pour la porter a avoir compassion de ces 
saintes ames, et d'employer son credit pour leur prompte delivrance. 

Recourez a S. Joseph, qui etoit afflige pour l'absence du Fils, pour la Mere desolee, et pour luy-meme ; et 
conjurez-le par tout ce que vous pourrez de plus affectif, et de plus tendre, d'exercer sa charitable compassion envers ces 
cheres ames. 

Parlez enfin de l'abondance de votre coeur aux bonnes ames du Purgatoire ; congratulez-les de l'heureuse 
consommation de leurs jours dans la charite et de leur felicite prochaine ; et Priez-les de se souvenir de vous quand elles 
seront dans la jouissance de leur celeste Epoux. 

Priere 

O Dieu, qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jettez les yeux sur la face de 
votre Fils Jesus-Christ. Souvenez-vous de l'honneur et de la gloire qu'il vous rendit en quittant sa chere Mere, pour 
commencer a enseigner aux docteurs de la loy votre doctrine celeste. Recevez ce qu'il a fait et souffert dans cette 
occasion ; les soins et les larmes de sa sainte Mere, et les travaux de S. Joseph son cher Pere nourricier, que je vous 
offre pour le soulagement des ames du Purgatoire, et principalement pour celle de N. Par le meme Jesus-Christ notre 
Seigneur, qui vit et regne, etc. 

De profundi s, Pater, Ave. Avec l'oraison convenable. 

Instruction et avis pour vous-meme 

Ecclesiastique, chap. 14 

Faites des ceuvres de justice avant votre mort, parce qu'on ne trouve point de quoy se nourrir lors qu'on est 
dans le tombeau. 

Ecclesiastique, chap. 18 

Que rien ne vous empeche de prier en tout temps, et ne cessez point de vous avancer dans la justice jusqu'd la 
mort, parce que la recompense de Dieu demeure eternellement. 



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Cinquieme Meditation 

1 . Nous devons tenir a grand honneur que Dieu veuille bien que nos suffrages et nos aeuvres puissent etre utiles 
a ces saintes ames. He qu'y a-t-il dans nous qui puisse meriter cet honneur, puisque nous sommes si peu meritants pour 
nous-memes ? Mais la charite que Dieu se plait de nous voir exercer les uns envers les autres, est ce qui contente sa 
bonte, et qui attire les effets de sa misericorde. Combien devons-nous done estimer cette charite pratiquee ? 

2. La foy nous enseigne que nous sommes faits les membres de Jesus-Christ par le Bapteme ;et la communion 
des Saints qui en fait un article, ne veut dire autre chose que l'union et la participation de l'un a l'autre, qui est entre tous 
les membres du corps de l'Eglise, dont Jesus-Christ est le chef Les bienheureux qui sont au ciel demeurent done unis a 
nous, et ils sont les plus nobles membres de ce corps ; les ames du Purgatoire les suivent de pres ; et nous sommes les 
moindres membres. Nous ne pouvons servir de rien aux bienheureux ; mais nous devons nous faire un sujet de gloire de 
pouvoir servir de quelque chose aux saintes ames du Purgatoire. Nous le devons faire avec joye comme des membres 
moins nobles, qui servent les plus nobles de notre corps. 

3. C'est pour ces saintes ames aussi bien que pour nous que Jesus-Christ a institue le saint Sacrifice de la 
Messe, puis qu'il a voulu qu'on l'offrit dans son Eglise pour les morts aussi bien que pour les vivans : mais il a voulu 
laisser le soin de son application a notre devotion. He, pourquoy pensez-vous qu'il en ait ainsi dispose, si ce n'est pour 
nous procurer l'avantage de servir ces saintes ames ; et faire qu'en gagnant ses bonnes graces, nous gagnassions aussi les 
leurs par l'industrie et l'exercice de notre charite ? 

4. Nous devons done considerer la priere et la penitence pour les morts comme une matiere de negoce que 
Dieu nous a mise entre les mains, afin que nous en puissions tirer une double usure, par le plaisir que nous faisons a 
Dieu en servant ces saintes ames qui sont ses epouses bien-aimees, et par le service que nous leur rendons, qui engage et 
anime de plus en plus leur charite a nous vouloir du bien, et a conserver la memoire de celuy que nous leur faisons. 

Affections 

Humiliez-vous devant Dieu en reconnoissant votre rien miserable. C'est moy, mon Dieu, qui l'ay rendu 
miserable par mes pechez, etc. Produisez-en quelque acte de contrition. 

Dites-luy que votre humiliation devant luy, pour grande qu'elle puisse etre, n'est rien : mais que vous luy 
presentez celle de Jesus-Christ. Remontrez-luy cette forme de serviteur qu'il a prise, luy qui etoit Dieu ; qu'il ne s'est 
point seulement humilie mais aneanty, etc. 

Dites a Dieu que son S. Esprit a dit que la priere de celuy qui s'humilie penetre les cieux, et qu'elle ne se retire 
point qu'elle n'ait ete exaucee. J'espere done, Seigneur, qu'en me presentant devant vous avec un coeur contrit et humilie 
revetu de l'humiliation et de l'aneantissement de votre Fils bien-aime que je vous offre, vous m'accorderez la priere que 
je vous fais pour les saintes ames du Purgatoire. 

Remontrez a Dieu que c'est luy qui a temoigne par la bouche de son Fils qu'il se plaisoit d'etre prie par des 
pecheurs, et meme pour d'autres pecheurs semblables a eux ; que c'est luy qui nous dit, priez pour ceux qui vous 
calomnient, et qui vous persecutent, etc. Si vous vous plaisez, 6 mon Dieu, a ecouter nos prieres pour des mediants, 
vous ecouterez encore plus volontiers celles que nous vous ferons pour les bons. Que vos oreilles deviennent done 
attentives a la voix de ma priere pour ces ames souffrantes qui sont si bonnes et qui vous aiment tant, etc. Dites a Dieu 
que sa verite est infaillible, que la foy est fondee sur sa verite et quelle nous enseigne a rendre service a ces bonnes 
ames ; que vous estes pleine du desir de le faire ; que vous vous presentez devant luy pour satisfaire a sa volonte, etc. 

Je n'ay rien, mon Dieu, qui mente de vous etre presente ; mais je vous offre le tresor mepuisable des merites de 
Jesus-Christ, celuy de la sainte Vierge, et de tous les Saints. 

Offrez specifiquement la priere de Jesus-Christ au jardm, son agonie, sa sueur de sang ; et priez-le par la 
compassion que merite la detresse ou etoit alors son propre Fils, d'envoyer son Ange qui conforte ces saintes ames qui 
souffrent avec tant de resignation a sa sainte volonte, a l'imitation de son Fils. 

Addressez-vous a la sainte Vierge pour la conjurer par toute la tendresse de compassion qu'elle eut lors qu'elle 
apprit la prise de son Fils dans ce meme jardin, de vouloir s'interesser pour la delivrance de ces bonnes ames, etc. 

Dites-luy qu'elle ne fit que dire une parole aux noces de Cana, et que son propre Fils ne put luy refuser de 
convertir aussi tost l'eau en vin ; et que vous estes persuadee qu'une de ces paroles sera suffisante pour faire convertir 
les larmes de ces saintes ames en ce vin delicieux, dont les Bienheureux sont enyvrez. 

Priere 

O Dieu, qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jettez les yeux sur la face de 
votre Fils Jesus-Christ. Souvenez-vous de ce qu'il a souffert au jardin des Olives, de sa tristesse mortelle, de son agonie, 
et de sa sueur de sang, et recevez l'etat d'affliction ou il etoit pour lors, sa charite, sa resignation a votre sainte volonte, 
et toutes les merveilles de patience et de vertu qu'il pratiqua dans cette occasion, que je vous offre pour le soulagement 
des saintes ames du Purgatoire et specialement pour celle de A T . Par le meme Jesus-Christ notre Seigneur, etc. 

De profundi s, Pater, Ave, avec l'oraison convenable. 

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Instruction et avis pour vous-meme 

Ecclesiastique, chap. 38. 

Souvenez-vous du jugement de Dieu sur moy, car le votre viendra de meme. Hier a moy, aujourd'huy a vous. 

Que la paix oil le mort est entre, appaise dans vous le regret que vous avez de sa mort et consolez-vous de ce 
que son esprit est sorty et degage de son corps. 



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Sixieme Meditation 



1 . Plus une personne est eclairee, charitable et vertueuse, plus elle est sensible aux services qu'on luy rend, et 
en garde de reconnoissance. Que devons-nous done penser de ces saintes ames, qui etant depouillees de tout ce qui et 
grassier dans lhumanite, ne sont plus qu'esprit, et que comme une pure flamme de charite et de vertu ? Si elles 
concoivent des sentiments de reconnaissance envers ceux qu'elles voyent occupez a les secourir, qui surpassent de 
beaucoup les notres ; elles recoivent aussi une grande consolation par la pure charite qu'elles ont pour Dieu et pour 
nous, en nous voyant entrer dans les intentions de Dieu par la charite que nous pratiquons envers elles. II y va done icy 
de notre interet aussi bien que du leur ; et en nous etudiant a augmenter en cela leur consolation, nous nous attirerons la 
complaisance de Dieu et leur reconnaissance. 

2. La priere des justes qui est perseverante et fervente, est d'un grand merite devant Dieu. La samte Ecriture 
nous l'enseigne, et l'exemple d'Elie nous le prouve aussi bien que celuy des amis de Job, que Dieu renvoye a son 
serviteur Job, afin qu'il receut de luy des prieres, et qu'on sceut que e'etoit par son entremise qu'il pardonnoit a ses amis. 
Que ne devons-nous done point attendre de celles de ces saintes ames, qui seront sans cesse et sans fin devant la face de 
Dieu, remplies de charite et de reconnoissance pour les petits secours que nous aurons tache de leur donner ? Ce que 
nous faisons ne peut etre que peu de chose ; mais ce qu'elles nous rendront est bien grand. 

3. Jesus-Christ prend un si grand plaisir a voir secourir les necessiteux, qu'il est venu du ciel pour se mettre 
sous la forme d'un lepreux, afin de donner occasion au saint religieux Martyrius de le charger sur ses epaules, et de le 
reporter en sa maison, ainsi que nous le rapporte saint Gregoire. Quel plaisir prendra done Jesus-Christ, s'il nous voit 
empressez au service de ces saintes ames, comme pour les charger sur nos epaules, et les porter dans leur maison, qui 
est son Paradis ? 

4. Ces saintes ames sont ses fideles amantes et ses ecolieres, qui imitent et mettent en pratique tout ce qu'il a 
fait ; et s'il rend le centuple a ceux qui ont quitte quelque chose pour luy ; nous devons done etre persuadez, que leur 
charite et leur reconnoissance genereuse passera tout ce que nous pouvons attendre pour nous faire rendre au centuple 
ce que nous aurons fait pour elles. Prions done, et travaillons pour elles ; puisqu'en le faisant, e'est aussi pour nous que 
nous prions, et que nous travaillons. 

Affections 

Dites a Dieu ces paroles de David : Je vons chanteray, Seigneur, la misericorde et le jugement. Considerez que 
tout ce qu'il fait, est fait par un jugement veritable, qui n'a rien que de tres juste : Vous estes juste, Seigneur, et voire 
jugement est equitable. Adorez ses jugements, etc. Remontrez-luy que ses misericordes doivent importer sur le 
jugement a l'egard de ces bonnes ames, puisque ce sont ses misericordes qui ont fait eclater ses bontez, et qui l'ont fait 
connoitre par l'endroit le plus admirable et le plus aimable. Ce sont elles, Seigneur,qui vous ont fait livrer votre Fils 
pour le salut des homines : ce sont elles qui ont engage Jesus-Christ a mourir pour nous. Apres avoir fait cela, que ne 
devons-nous point attendre d'elles, etc. Ressouvenez-vous de vos grandes misericordes, et faites-en ressentir les effets a 
ces ames saintes pour lesquelles je vous prie, etc. Permettez-moy Seigneur, de vous dire avec Job : Voulez-vous montrer 
votre puissance en l' exercant contre une feuille que le vent emporte, et en poursuivant une paille seche ? 

Remontrez-luy que sa puissance et sa justice sont bien employees contre les ames arrogantes, dereglees, et 
revoltees contre luy. II est bien juste qu'il leur montre, qu'il est le Grand par excellence, et qu'il scait mettre en poussiere 
les superbes en exercant sur eux l'une et l'autre. Mais, Seigneur, ces bonnes ames sont humbles, contrites, soumises a 
vos chatiments, et pleines de reconnoissance et d'amour pour vous. Elles vous bemssent dans leurs souffrances. Ecoutez 
done leurs gemissements, et mettez une prompte fin a leur peine, etc. 

Recevez la contrition et l'humiliation de mon coeur, que je joins a leurs larmes, et prononcez-nous le grand mot 
de consolation de leur delivrance, etc. 

Presentez a Dieu les merites de la Passion et de la mort de son Fils bien-aime. Representez-luy et offrez-luy ce 
qu'il a souffert dans sa flagellation, dans son couronnement d'epines, dans sa crucifixion ; et sur tout, les larmes et les 
cris qu'il poussa sur la Croix en faisant le sacrifice de notre Redemption. O mon Dieu, je vous offre toutes ces 
merveilles de la charite de mon Seigneur Jesus-Christ, pour la satisfaction que doivent faire a votre justice ces bonnes 
ames, et pour celles que je luy dois aussi, etc. 

Remontrez a Dieu que tout ce Sang repandu de son Fils, est bien d'une autre force que celuy d'Abel, et qu'il 
crie de la terre bien plus efficacement pour attirer sa misericorde que vous implorez pour ces bonnes ames, etc. 

Priez la sainte Vierge par la tendresse de sa compassion, S. Jean l'apotre bien-aime, sainte Magdelaine, et les 
autres saintes Dames qui assistoient a ce Sacrifice, de vous assister de leur intercession pour la delivrance de ces saintes 
ames du Purgatoire. 

Priere 

O Dieu qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jettez les yeux sur la face de 
votre Fils Jesus-Christ. Souvenez-vous de tout ce qu'il a souffert dans sa douloureuse Passion, de sa flagellation, de son 

79 



couronnement d'epines, de ses opprobres, de sa mort sur la Croix, de son delaissement, et de la priere qu'il fist pour 
ceux qui le crucifioient. Je vous offre toutes ces merveilles de sa charite pour le soulagement des saintes ames du 
Purgatoire, et specialement pour celle de N. Par le meme Jesus-Christ notre Seigneur qui vit et regne avec vous, etc. 
De profundis, Pater, Ave Maria, avec l'oraison convenable. 

Instructions et avis pour vous-meme 

Ecclesiastique, chap. 41 

Ne craignez point I'arret de la mort, souvenez-vous de ceux qui ont ete avant vous, et de tous ceux qui 
viendront apres vous. C'est I'arret que le Seigneur a prononce contre toute chair ; que craignez-vous, puis 
qu'il ne vous peut arriver que ce qu'il plaira au Tres-Haut ? Qu'un homme vive dix ans, cent ans, mille ans, on 
ne compte point les annees de la vie parmy les morts. 



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Septieme Meditation 

1 . On pourroit penser que les prieres pour les morts ne sont point necessaires, puisque leur delivrance depend 
de Dieu seul, et qu'il en est le Maitre. Dieu pourroit tirer tous les pauvres de l'indigence ; mais il veut les y laisser, et il 
nous recommande de les assister. Dieu pouvoit racheter le monde par une seule parole ; mais il a voulu que ce fut son 
propre Fils qui le racheta au prix de son Sang et de sa vie. Faut-il done s'etonner s'il veut que les peines des ames du 
Purgatoire soient secourues par notre assistance ? Si sa justice soutient ses droits, e'est pour donner occasion a la charite 
de s'exercer, et de triompher de tout. 

2. II promet de nous mesurer a la meme mesure que nous aurons mesure les autres. II nous est done facile de 
nous amasser des tresors de sa misericorde et de sa charite. La misericorde et la charite que nous pouvons exercer 
envers notre prochain sont peu de chose ; mais celles de Dieu sont infinies. Qu'y a-t-il done a gagner pour nous en 
l'exercant envers ces ames justes, souffrantes et amies de Dieu ? Beaucoup plus sans doute que si nous donnions des 
morceaux de verre pour recevoir des diamants, ou de la paille pour recevoir de l'or. 

3. II se plait qu'on fasse du bien aux hommes bons et mauvais, tout de meme qu'il fait lever son soleil sur les 
uns et sur les autres. Mais il dit par ses oracles sacrez de l'Ecriture, que celuy qui fera du bien au juste, trouvera une 
grande recompense. L'honneur de plaire a Dieu en faisant ce qui luy est agreable est preferable a toutes les 
recompenses. Mais puisque la grande recompense qu'il promet est une preuve que ce qu'il recommande luy est plus 
agreable, faisons done avec joye et promptitude tout ce que nous pourrons pour ces saintes ames, qui sont justes et 
consommees dans la justice. 

4. Ecoutons la voix de ces saintes ames dans les paroles de Job, que l'Eglise nous prononce de leur part dans 
les Offices qu'elle a instituez pour eux. Appliquons-nous ces lamentables paroles, comme si nous les entendions de leur 
bouche : Ayez pitie de moy, ayez pitie de moy, vous qui estes mes amis, parce que la main du Seigneur m'a frappee. 
Souvenons-nous que nous serons quelque jour au meme etat qu'elles. Mettons-nous-y par avance, et faisons pour elles 
ce que nous voudrions qu'on fit pour nous ; et par ce moyen la parole de Dieu etant indubitablement vraye, nous 
trouverons grace et misericorde dans le ciel, et il nous pourvoira de secours sur la terre, en inspirant a nos survivans de 
f aire pour nous ce que nous aurons fait pour les autres, et en nous faisant mesurer, suivant sa parole, a la meme mesure 
que nous aurons mesure les autres. 

Affections 

Dites a Dieu ces paroles du Prophete : Si nos iniquitez font resistance contre nous, et nous empechent ainsi de 
recevoir les effets de votre misericorde, faites-la-nous pour la gloire de votre Nom. O Seigneur, si ces empechements se 
rencontrent dans moy, ils ne se rencontrent point dans les bonnes ames pour lesquelles je vous prie. Elles sont saintes, 
etc. O si je ne le suis pas, je le voudrois bien etre, etc. 

Produisez quelque acte de contrition, etc. et remontrez a Dieu qu'il est ecrit dans ses divins Livres, que des que 
Job eut temoigne son regret d'avoir parle trop legerement, Dieu se convertit a la penitence de Job. De severe il devint 
doux, pardonnant, bienfaisant, comblant de recompenses. 

Permettez-moy, mon Dieu, de vous dire avec votre Prophete : Convertissez-vous tant soit peu, 6 Seigneur, et 
rendez-vous exorable aux prieres de vos serviteurs ? Ces saintes ames du Purgatoire ne sont plus du nombre de ces 
serviteurs mfideles qui promettent et qui manquent a leur parole ; qui se convertissent, et qui retombent. Mais elles sont 
confirmees en grace, unies a vous par un nceud indissoluble de charite. 

Offrez a Dieu le Sang coulant des playes de Jesus-Christ mort sur la Croix, et specialement de celle de son 
cote, en luy remontrant que ce Sang precieux est capable de racheter une infinite de mondes, et le priant d'en eteindre 
cet esprit d'ardeur et de jugement dont il se sert pour laver les taches des Filles de Sion, ainsi que parle le Prophete. 

Representez-luy le corps mort de Jesus-Christ couvert de sang et de meurtrissures : et que voila ce qu'il a 
souffert pour les pechez de son peuple ; et priez-le par ce spectacle digne de la compassion et des larmes des Anges 
d'avoir pitie des ames souffrantes dans le Purgatoire. 

Addressez-vous a la sainte Vierge, en la conjurant par ce qui luy a coute si cher, par ce glaive de douleur qui 
luy a transperce Fame en voyant mourir son Fils, et qui fist dans elle-meme une mort spirituelle, qu'il luy plaise 
d'exercer sa tendresse envers son Fils pour ces saintes ames du Purgatoire. Dites-luy ces belles paroles de son hymne, 
Ave maris Stella : Montrez que vous estes Mere en offrant vos prieres pour nous a celuy qui a voulu etre votre Fils pour 
l'amour de nous. 

Addressez-vous a toutes les saintes ames qui assistoient aux funerailles de Jesus-Christ, et dites-leur ce que la 
devotion vous inspirera. 

Priere 

O Dieu qui estes notre Pere et notre Protecteur, daignez nous regarder en pitie, et jettez les yeux sur la face de 
votre Fils Jesus-Christ. Souvenez-vous de l'etat ou vous l'avez veu apres etre expire sur la croix, qui n'avoit plus de 
beaute, ny de traits de visage d'homme ; mais qui ressembloit plutot a un lepreux frappe de votre main. C'est la 

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discipline de notre paix que vous luy avez imposee qui l'a reduit en cet etat. Ressouvenez-vous de vos misericordes 
apres avoir fait passer votre cher Fils par une si severe justice pour l'amour de nous ; et permettez que je vous offre toute 
la gloire et les satisfactions qu'il vous a rendues dans sa mort et Passion, et que je vous supplie d'en faire une application 
singuliere aux saintes ames du Purgatoire, et principalement a celles de N. et N. Par le meme Jesus-Christ notre 
Seigneur qui vit et regne avec vous en l'unite du S. Esprit par tons les siecles des siecles. Ainsi soit-il. 
De profundis, Pater, Ave Maria, avec l'oraison convenable. 

Instruction et avis pour vous-meme 

Proverbes, chap. 3. 

Ne rejetez point la correction du Seigneur, et ne vous abbatez point lors qu'il vous chdtie ; car le Seigneur 
chdtie celuy qu'il aime, et il trouve-en luy son plaisir, comme unpere dans son fils. 

Sagesse, ch. 3. 

Les ames des justes sont dans les mains de Dieu, et le tourment de la mort ne les touchera point ; ils ont paru 
morts aux yeux des insensez, leur sortie du monde a passe pour un comble d 'affliction, leur separation de la 
vie pour une entiere ruine ; mais cependant ils sont en paix. 



Fin des Meditations 

Ce qui me reste a dire icy au subjet de vos retraites, c'est que si quelqu'une de vous a plus d'attrait de la faire au 
temps que nous ayons coutume de demander la priere pour l'anniversaire de notre Profession, la mere Prieure pourra 
luy permettre comme elle le jugera a propos. 

Mais comme en ce temps-la celle qui fera sa retraite sera seule, la mere Prieure ou la mere Spuprieure auront 
som de luy tenir compagnie au temps de la recreation, ou en cas d'empechement de luy deputer quelqu'autre avec qui 
elle puisse s'entretenir de bonnes choses. 



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Table des matieres 

Preface 3 

Chapitre Premier 

Sur la Charite 7 

Chapitre Deuxieme 

sur la maniere de vaquer a l'unique necessaire, a l'exemple de la Tres Sainte Vierge 13 

Chapitre Troisieme 

sur les avantages de la solitude, a laquelle notre etat nous engage, 

et les moyens qu'elle fournit pour ben vaquer a l'unique necessaire 19 

Pour les choses purement raisonnables - Pour les choses qui appartiennent au salut - Pour parvenir a 
l'union avec Dieu - La solitude du coeur - La solitude de L'Esprit - La solitude de Lame. 

Chapitre Quatrieme 

Sur l'estime et la pratique que nous devons faire de ces paroles de Jesus-Christ, 

de se renoncer soy-meme, de porter sa croix, et de le suivre 31 

Se renoncer soy-meme - Qu'il porte sa croix - Et qu'il me suive 

Chapitre Cinquieme 

sur les paroles et les voeux de notre profession 37 

Chapitre Sixieme 

Sur les obligations et les usages de la pauvrete, 

tels que nos devons les observer en conformite des statuts de l'Ordre 41 

Chapitre Septieme 47 

Sur le bon usage de la liberte, sur les livres qui sont ouverts sans cesse devant nos yeux, 

et sur l'amour de la correction 47 

Sur la liberte - Sur les livres ouverts - Sur l'amour de la Correction 

Chapitre Huitieme 

Sur la renaissance a laquelle notre Institut dispose les rehgieux de l'ordre pour representee 

chacun dans leur employ, l'enfance, la jeunesse, et l'age parfait de Jesus-Christ 55 

Son Enfance - La jeunesse - L'age parfait 

Chapitre Neuvieme 

Sur la ceremome de la consecration des vierges, et sur les dispositions qu'ony doit apporter 62 

Dans le Bapteme - Dans votre Profession - Dans votre Consecration 

Chapitre Dixieme 

sur l'etat des ames du Purgatoire 70 

Premiere Meditation 70 

Seconde Meditation 72 

Troisieme Meditation 73 

Quatrieme Meditation 75 

Cinquieme Meditation 77 

Sixieme Meditation 79 

Septieme Meditation 81 

Fin des Meditations 83 

Edition numerique 
salettensisfgjgmail.com 

disponible sur 
http : //www, chartreux. org 

et sur 
http://www.scribd.com/doc/37583035/Direction-Suiets-de-Meditation-Dom-Innocent-Le-Masson 

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